Jauran, Belzile, Jérôme, Toupin… : Mondrian contre Borduas
Arts visuels

Jauran, Belzile, Jérôme, Toupin… : Mondrian contre Borduas

Jauran, Belzile, Jérôme, Toupin… La Galerie Simon Blais souligne les 50 ans des premiers plasticiens et la publication de leur manifeste.

1955 est une année assez riche pour le Québec. C’est, bien sûr, l’année de la suspension de Maurice Richard et des émeutes au Forum. Mais en art aussi, il y a de l’activité. Alfred Pellan a une rétrospective de son œuvre au Musée d’art moderne de Paris. Ozias Leduc meurt à Saint-Hyacinthe à l’âge de 90 ans. Guido Molinari et Fernande Saint-Martin fondent L’Actuelle, première galerie d’art non figuratif à Montréal (elle ne restera ouverte que deux ans). C’est aussi le moment de la création de la Société des arts plastiques de la Province de Québec par Claude Picher. Et en février, trois expositions importantes ont lieu à Montréal. Chez Agnès Lefort, sont à l’affiche Edmund Alleyn et Claude Picher (le même que celui de la Société des arts plastiques); au Musée des beaux-arts est présenté l’événement Espace 55, qui montre l’état de la peinture au Québec (avec la participation d’Ulysse Comtois, Paterson Ewen, Pierre Gauvreau, Jean McEwen, Jean-Paul Mousseau, Guido Molinari); et puis, le 10 février, un groupe de quatre peintres inaugurent leur expo à la galerie-bar-restaurant L’Échourie. Ils en profitent pour publier un texte qui fera parler d’eux, le Manifeste des plasticiens.

Il y a donc 50 ans que le critique Rodolphe de Repentigny (qui publia entre autres à La Presse), sous le pseudonyme de Jauran, ainsi que Louis Belzile, Jean-Paul Jérôme et Fernand Toupin signaient leur manifeste. Ils y rendaient hommage à Borduas: "La peinture non figurative a acquis à Montréal ses droits de noblesse depuis les premières expositions automatistes. Elle a pu naître ailleurs avant, mais elle est véritablement née ici, alors. Dans la solution qu’apportent les Plasticiens au problème posé par leur désir de peindre, la révolution amorcée par Borduas apparaît comme germinal", écrivent-ils. Mais dans leur texte, nous pouvons aussi sentir un désir de laisser parler les formes plastiques, d’aller vers une recherche plus purement formelle où toute référence à la figuration aurait disparu. Cela donna quel type d’art?

La Galerie Simon Blais nous permet d’effectuer, entre autres à travers la collection d’un particulier (Michel Brossard), un survol de la production de ces premiers plasticiens, qui furent vite remplacés par une seconde vague (formée par Guido Molinari, Claude Tousignant…).

Je dois dire que j’aime plus ou moins le travail de ces premiers plasticiens. Et c’est encore une fois, sans nul doute, le travail de Toupin qui s’en sort le mieux. Ses deux tableaux découpés, deux shaped canvases, sont bien originaux. Ils doivent certes beaucoup à Mondrian, artiste célébré dans le manifeste des plasticiens comme la vraie référence, celui qui "a permis de réduire l’ultime aliénation de l’œuvre peinte, l’extériorisation de la concertation sur soi-même". Mais ces deux œuvres tiennent bien la route et semblent tourner le dos avec aplomb au travail de Borduas, ne serait-ce que dans leur absence d’intérêt pour la texture picturale. On ne peut toujours en dire autant des œuvres des autres.

Néanmoins, l’expo est à voir. Elle nourrit notre vision du milieu de l’art québécois de l’époque, même si on regrettera, étant donné l’ampleur d’un tel mouvement artistique, de ne pas en voir plus. À noter: une expo plus importante sur le sujet aura bientôt lieu, mais pas à Montréal. Elle sera présentée cet été au Musée des beaux-arts de Sherbrooke. Ce sera peut-être l’occasion de réviser notre jugement…

Jusqu’au 14 mai
À la Galerie Simon Blais

Voir calendrier Arts visuels