Martin Bureau : Boucher les trous
Quand la censure s’abat sur la création, on crie haut et fort au scandale. Il arrive cependant que l’art profite de cette censure. Regard sur les plaques de trous d’homme de Folie/Culture.
Les rues du Pont et Saint-Vallier Est, près des bretelles Dufferin, étaient bloquées à la circulation vendredi soir passé pour l’inauguration des Regards fous de Folie/Culture. Comme événement de clôture de la Manif d’art 4, l’organisme voué à la sensibilisation dans le domaine de la santé mentale a invité 10 artistes de Québec à créer des plaques de trous d’homme fonctionnelles afin de les intégrer de manière permanente au tissu urbain. Parmi eux, Martin Bureau s’est vu refuser la coulée de sa maquette par la Fonderie Bibby Ste-Croix, un geste de censure appuyé par la Ville de Québec. L’oeuvre, qui amalgame les deux faces d’une pièce de 25 cents en reproduisant le portrait de la reine coiffée d’un panache de caribou, était "irrespectueuse", selon eux.
Martin Bureau, qui a fait appel à une autre fonderie pour la réalisation de son oeuvre, le temps de la "désinaugurer", vendredi, dit s’être inspiré du vaudeville politique autour de la place et du rôle de la reine d’Angleterre dans les fêtes du 400e. Sa reine panachée ne serait selon lui que le reflet de l’ambiguïté des célébrations. En contrepartie, il a voulu créer une plaque commémorative pour le 250e anniversaire de la prise de Québec par les troupes britanniques. Son bas-relief intitulé Hommage à Sa Gracieuse Majesté, sur lequel figurent les inscriptions "KWEBEC 1759-2009 QUART DE PIASSE", se présente ainsi comme un pied de nez à une fête qu’il qualifie de "coloniale".
Les autres artistes ont créé des oeuvres plus nuancées en jouant notamment sur l’aspect mystérieux des bouches d’égout. Comme métaphore à l’indicible de la ville, la Pêche interdite de Thierry Arcand-Bossé est sans doute l’oeuvre la plus réussie. François Chevalier, fidèle à ses insectes, a aussi exploité le jeu de surface avec son moustique écrasé. Les Soeurs Couture ont pour leur part été plus sensibles à la thématique de l’exclusion sociale en créant un corps de sirène composé d’empreintes de déchets du quotidien.
Si l’oeuvre de Bureau bouche les trous d’un récit à compléter et réaffirme les allégeances de Québec envers la couronne britannique, c’est dans le geste de censure qu’elle trouve son expression la plus achevée. Comme membre du Commonwealth, le Canada (et la ville de Québec par extension) reconnaît le souverain de la Grande-Bretagne comme chef symbolique. Par une solidarité plus morale que juridique, on est particulièrement attaché aux symboles du pouvoir et on ne touche pas à l’image de la reine. Plus que l’oeuvre elle-même, c’est le veto qui confirme ces allégeances. Sans lui, on pourrait croire que l’artiste mélange les histoires et que son oeuvre ne s’inscrit que comme une parenthèse dans les fêtes du 400e. Avec l’intelligence qu’on lui connaît, on doute cependant que l’artiste n’ait pas prévu le coup, lui qui "s’intéresse notamment aux notions de pouvoir, de surveillance et de contrôle".