Joana Hadjithomas et Khalil Joreige : Le labeur des fantômes
Arts visuels

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige : Le labeur des fantômes

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige travaillent sur la latence, sur l’impact des événements passés sur le présent. La mémoire comme bombe à retardement.

Je suis là même si tu ne me vois pas. Voilà le titre de cette expo. Titre parfait pour décrire son ambiance. Titre qui évoque des fantômes. Et qui nous place étrangement proche d’eux, comme si nous entendions les chuchotements qui révèlent leur présence ou, devrions-nous dire, leur absence active.

Bien sûr, nous avons tous nos fantômes. Il y a les gens morts ou absents de nos vies qui nous manquent. Il y a des fantômes qui troublent notre sommeil. Il y a pire, il y a ceux qui, de jour, nous empêchent de nous concentrer sur le quotidien.

Cette expo, du couple artistique et cinématographique Hadjithomas et Joreige, traite de ce type de fantômes qui hantent à la fois nos espaces privés et nos espaces publics, ceux issus de la guerre. Aucun espace ne leur échappe. Ils nous disent le souvenir comme maladie qui, tel un virus, tel le sida, s’infiltre en nous pour faire ses dégâts.

Au Liban, durant la guerre civile qui a duré 15 ans à partir de 1975, 150 000 personnes sont mortes et 17 000 personnes ont disparu sans laisser de traces. Et puis, il y a eu les guerres avec Israël et les divers attentats politiques…

Comment réagir à ces absences? Il faut continuer à vivre, certes, mais comment? Pour dire quoi? Comment dire qu’on n’a pas oublié sans tomber dans un discours uniquement tourné vers le passé? Quelles réponses les artistes peuvent-ils donner à cela?

On peut tenter de reconstituer ce passé en montrant sa fragilité, l’impossibilité de vraiment le retrouver. C’est la tactique que les deux artistes utilisent dans la série Faces, photos d’affiches politiques délavées, reconstituées en partie.

Je leur préfère la série Images latentes où Hadjithomas et Joreige ont décidé de ne pas développer des rouleaux de photos prises durant des années. Ils les ont conservés dans des tiroirs en prenant uniquement en note le descriptif de ces images. Pour ne plus subir le travail de disparition opéré par la guerre, c’est comme s’ils jouaient à devenir eux-mêmes un outil d’effacement. Dans le même esprit, soulignons aussi cette immense image de Beyrouth, le Cercle de confusion (produite avec le Mois de la Photo). Elle est composée de 3000 morceaux (collés sur un miroir) que le visiteur est invité à retirer.

On peut aussi faire de la quête le sujet de son oeuvre. C’est la démarche de Hadjithomas et Joreige dans Le Film perdu, sorte de road-movie qui parle de leurs recherches pour retrouver l’unique copie de leur premier long métrage, envoyée et perdue au Yémen.

Ce n’est pas une expo sur la ruine, sur un héritage lointain du romantisme. Le temps ici n’a pas vraiment le fragment comme trace, comme incarnation, comme stimulus. Cela est pire. Cette expo parle plutôt du pouvoir de ce qui a totalement disparu et qui néanmoins ressurgit comme affect.

Le 12 septembre à 21 h, la Cinémathèque québécoise présentera deux films de Hadjithomas et Joreige, Cendres (2003) et A Perfect Day (2005).

À voir si vous aimez /
Betty Goodwin