Catherine Bolduc : Enchantée
Artiste montante de la scène canadienne, Catherine Bolduc expose à Laval. L’occasion d’apprécier son travail fantastique qui transcende les Twilight, Harry Potter et autres récits magiques hantant notre monde contemporain.
Née à Val-d’Or, mais vivant entre Montréal, Berlin et Tokyo, Catherine Bolduc est en pleine expansion créatrice. Son oeuvre prolifère, se diversifie, prend forme dans des dessins, sculptures, installations… Elle se sert autant du chocolat que de la vidéo, de pailles en plastique que de fausses perles… Un art qui sait tout métamorphoser, hybride et mutant, en un mot, postmoderne.
D’Alice au pays des merveilles à Ali Baba
Il y a du magique là-dessous, tout au moins dans ses thèmes. Ses oeuvres semblent traiter du fantastique et du merveilleux. Dans certaines de ses pièces, nous pouvons voir des volcans paraissant cracher des pierres précieuses. Dans un dessin, nous pouvons deviner une sorte de terrier tricoté, digne d’Alice au pays des merveilles. Ailleurs, dans le Jeu chinois, elle nous invite à entrer dans une sorte de caverne d’Ali Baba disco, couverte de miroirs et vibrant au rythme d’un stroboscope. Bolduc explore un monde onirique et enchanté comme beaucoup d’artistes de nos jours: Ed Pien, Tricia Middleton, Marcel Dzama, Max Wyse, et participe de fait à une présence exponentielle du fantastique en arts visuels, mais aussi en littérature et au cinéma (Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter, Twilight…).
L’art, qui au 20e siècle s’est occupé de grandes questions politiques et sociales, mais aussi plastiques (reconsidération de tous les paramètres de création et de présentation de l’oeuvre…), se serait replié sur des problématiques plus restreintes, sur de petits récits de l’enfance? Bolduc a su créer un art du féerique qui sait éviter le côté décoratif et illustratif inhérent à ce genre à la mode. Elle nous y parle de la catastrophe non pas comme une mort absolue, mais comme une source de possible renaissance.
Fantastique?
Mais le mot "fantastique" est-il le bon pour définir son travail? Catherine Bolduc ne croit pas "que la tendance des artistes à se tourner vers la fantasmagorie, le fantastique, l’émotion, l’évasion du réel, telle une forme de nouveau romantisme, soit seulement une "mode"". Elle ajoute qu’il existe une grande variété dans les manières d’introduire une nouvelle forme de "fantastique" dans l’art. "Je crois, dit-elle, que si autant d’artistes se tournent vers une forme de "réenchantement" de l’art, c’est parce qu’on en a peut-être assez de l’ironie qui a dominé le monde de l’art pendant de si nombreuses années, du désenchantement, de la victoire du non-sens ou encore du conceptualisme froid."
Elle avoue être "troublée de voir [s]on travail qualifié d’ironique ou de ludique". "Ma quête est exactement le contraire; si j’ai choisi de faire de l’art, c’est justement parce que je cherche à donner du sens, pas seulement à l’art, mais aussi à la vie, en allant au-delà de la plate réalité banale, au-delà d’une attitude de pure ironie devant le non-sens, ce qui est un geste bien au-delà du pur ludisme."
Alors à quoi sert le fantastique dans son travail? "Je travaille vraiment sur une tendance de la psyché à interpréter la réalité à son avantage, à lutter pour que désirs et réalité se confondent. Il ne s’agit pas seulement de se réfugier dans un monde fantastique, mais bien de chercher à accepter sa propre condition humaine et à donner un sens à la non-coïncidence entre désirs et réalité, par une forme d’enchantement conscient."
Artiste demandée
Le mois dernier, Catherine Bolduc exposait Le Voyage d’une fabulatrice à la Galerie [sas] à Montréal. Cet automne, elle faisait partie de l’expo Sublime démesure au Musée d’art contemporain des Laurentides, aux côtés d’artistes aussi reconnus que BGL, Marie-Claude Bouthillier, Michel de Broin, Ed Pien, Anne Ashton… L’été dernier, on lui consacrait une rétrospective, intitulée Mes châteaux d’air, au Centre Expression de Saint-Hyacinthe, expo qui vient d’être remontée et augmentée pour la Maison des arts de Laval (jusqu’au 11 avril). Bolduc est aussi d’une exposition collective, La Langue des ombres, commissariée par Gilles Daigneault à la Galerie Joyce Yahouda (jusqu’au 20 février). Rarement a-t-on vu artiste aussi active, présente aussi à l’extérieur du Québec. En 2009, elle faisait partie de l’événement Manoeuvres à la Galerie Toni Tàpies de Barcelone. L’année précédente, elle avait un solo à la Künstlerhaus Bethanien de Berlin. Et ces jours-ci, pour six mois, elle a une résidence d’artiste au Japon, qu’elle a quittée quelques jours, le temps de venir installer son expo à Laval sous le commissariat de Geneviève Goyer-Ouimette… Bolduc aurait-elle trouvé le secret de la télétransportation et de l’ubiquité?