Mylène Gervais : L'enfance de l'art
Arts visuels

Mylène Gervais : L’enfance de l’art

Fidèle à son habitude, l’artiste Mylène Gervais soulève les pierres angulaires de notre société pour nous montrer ce qui est laid en dessous. Elle parle cette fois des enfants à travers un art qui dénonce. Qui dérange.

"Quand on creuse un peu, ce qu’on voit n’est pas nécessairement très beau", se désole Mylène Gervais. Dans la même veine qu’avec Érosion, réalisée en duo avec Valérie Guimond l’hiver dernier, l’artiste poursuit sa réflexion engagée sur le monde. Intitulée Le désespoir, sa proie et ses jouets, sa nouvelle exposition montre une fois de plus ce que nous préférons parfois ignorer.

"Érosion était un travail plus général sur la société. Cette fois, j’ai eu envie de travailler le tissu social vu par l’entremise de l’enfance." Le désespoir, sa proie et ses jouets traite de cette société qui a abandonné ses enfants, qui a baissé les bras. "Il y a de plus en plus de parents qui vont eux-mêmes porter leur enfant au centre jeunesse parce qu’ils ne peuvent pas s’en occuper. Pour les enfants, je trouve ça très dur. Bien qu’on dise qu’ils sont toujours la priorité, je ne le perçois plus."

C’est non seulement un sujet qui vient la chercher en tant qu’artiste, mais aussi en tant que parent, puisqu’elle est maman d’accueil de "petits loups" provenant de milieux difficiles. "Malgré toute la bonne volonté des intervenants, il y a des choses qui ne bougent pas. J’ai l’impression qu’on s’applique à protéger les parents inadéquats et non les enfants, alors que ce sont eux qui sont vulnérables. Pour moi, c’est incohérent."

QUI A PEUR DU GRAND MÉCHANT LOUP?

Composée de sérigraphies de très grand format, l’exposition met en scène un enfant anonyme qui marche sur un fil barbelé. On peut suivre son parcours sur ce qu’on devine être la corde raide d’une société défaillante, sous l’oeil des vautours et du grand méchant loup qui semblent guetter le moment où il trébuchera. Où ils pourront profiter de sa faiblesse.

Inspirée par le célèbre cliché du photographe Kevin Carter en 1993, sur lequel un vautour regarde une fillette mourant de faim au Soudan, Mylène Gervais affirme que ce qui la dérange, c’est de rester spectatrice. Comme le charognard qui lorgne l’enfant en attendant sa mort. Comme le photographe qui a fini par partir, abandonnant la fillette à son sort. "On est là à regarder, et on attend."

Un sujet lourd de sens qui a nécessité des recherches et des lectures pas toujours jojo. "Normalement, en créant, ça libère, mais cette fois, ça a généré beaucoup de colère et de tristesse", raconte celle qui, malgré tout, n’arrive pas à créer sans dénoncer. "Je pense que lorsque je n’aurai plus rien à dénoncer, je ne ferai plus d’art. La société telle qu’elle est a beaucoup pour m’inspirer. C’est malheureux, au fond." L’artiste s’accorde donc un moment pour souffler un peu. "Je dois décanter, faire le vide… et profiter de mes enfants."