Pérou: royaumes du soleil et de la lune au MBAM : Riche comme le Pérou
Arts visuels

Pérou: royaumes du soleil et de la lune au MBAM : Riche comme le Pérou

L’art du Pérou nous est quelque peu étranger. Le Musée des beaux-arts de Montréal nous le dévoile et nous permet de réfléchir à des sujets maintenant incontournables.

On l’oublie peut-être, mais le Musée des beaux-arts a, depuis ses débuts, une mission encyclopédique. Sa collection englobe autant les cultures anciennes (grecque, chinoise, islamique…) que l’art contemporain mondial ou l’art baroque européen. Et elle inclut aussi les arts décoratifs. 

Ce mandat généraliste est souligné ces jours-ci avec l’expo Pérou: royaumes du soleil et de la lune. Une présentation qui embrasse 3000 ans d’histoire et qui montre autant de l’art «précolombien» (vaste dénomination européocentriste qui regroupe bien des cultures différentes) que de l’art moderne ou de l’art religieux «colonial». Le visiteur y retrouvera autant des objets de rituels anciens en or, en bois, en poterie que de la sculpture du 18e siècle ou de la peinture moderne… Tous les moyens d’expression et toutes les époques y passent. Ou presque. Un volet art contemporain aurait pu compléter ce parcours.

À l’ère du postcolonialisme?

À notre époque qui tente, plus ou moins honnêtement, de sortir des rapports de pouvoir et des vieilles habitudes coloniales dans les échanges nord-sud, voilà une expo qui a plusieurs vertus. Il s’agit avant tout d’une présentation qui nous confronte à la question de nos critères esthétiques. Le milieu de l’art et nos sociétés se font croire, encore de nos jours, que l’amour de l’art transcende la séduction par le beau ou le joli. On croit aussi que le jugement esthétique dépasse toutes les habitudes et les contextes culturels. Et pourtant… Dans la section sur l’art colonial, qui est ici qualifié d’art vice-royal, le visiteur se retrouvera certainement à réfléchir au fait que l’art créé par ce qui est considéré comme la périphérie (ici, le Pérou) est souvent déconsidéré par rapport à ce qui a été produit dans le centre économique et politique (ici, l’Espagne et l’Europe). Néanmoins, le visiteur du MBA ne pourra nier la valeur esthétique de l’art précolombien ou de l’art colonial, tout comme aucun Occidental ne peut plus totalement rejeter l’art qui est fait de nos jours en Amérique du Sud (ou sur le reste de la planète). Au moins depuis les Magiciens de la terre, expo montée en 1989, l’art non occidental est regardé un peu différemment. Mais la reconsidération des normes esthétiques dominantes n’est pas si facile. Cela s’avère un processus d’autant plus lent que ceux qui vivent en périphérie ont tendance eux aussi à mépriser l’art local. Au Pérou, ce fut parfois le cas (entre autres au 19e siècle où bien des intellectuels évaluèrent comme primitives les traditions artistiques indigènes). Cette expo affirme avec force la valeur d’un art déconsidéré avec de fantastiques masques funéraires lambayeques, une somptueuse Vierge datant du 18e siècle attribuée à Bernardo Legarda.

Cette présentation parle aussi du problème du commerce illégal du patrimoine des pays émergents ou du tiers-monde. Une des pièces maîtresses de cette expo en est un témoin majeur. Il s’agit d’un poulpe en or mochica, rebaptisé par certains journalistes «la Mona Lisa du Pérou», sculpture qui a été volée lors de fouilles illégales dans la vallée de Jequetepeque en 1988, puis retrouvée à Londres en 2004 et enfin restituée au Pérou en 2006…

Une expo qui tombe à point, au moment où le mouvement Idle No More (que l’on peut traduire par «Finie l’apathie») tente de nous faire réfléchir à la place donnée aux cultures aborigènes dans nos sociétés. Une place qui mérite, à l’évidence, une reconsidération majeure.