David Altmejd : La distance et la contrainte
Arts visuels

David Altmejd : La distance et la contrainte

Le sculpteur prodige montréalais David Altmejd est de retour au bercail alors que le Musée d’art contemporain, en collaboration avec le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, lui consacre sa grande exposition estivale. Entrevue déambulatoire.

Résident de New York depuis 15 ans, le sculpteur David Altmejd est reconnu à l’international pour ses œuvres complexes et organiques, composées de moulage et d’objets, multipliant les matériaux tout en créant une exubérance minutieuse.

«Dans ma tête, j’invente un système symbolique avec mes pièces pour qu’elles racontent une histoire», évoque le sculpteur en entrant dans ce qui sera la première salle de l’exposition consacrée à son travail, au MAC. En ouverture de cette rétrospective, une œuvre qui fait parler d’elle depuis sa création, une sculpture de sa sœur Sarah qui, en lieu et place du visage, arbore un grand trou, cristallisé et ouvert vers l’infini: «Cette tête-là, c’est un peu comme le néant. Ce serait comme l’univers, juste avant le Big Bang. Avant l’exposition, il n’y a rien.»

À la base, pourtant, l’œuvre Sarah Altmejd demeure un autoportrait du sculpteur: «J’avais pensé faire un autoportrait par la combinaison des têtes de mon père et de ma mère, mais je trouvais que c’était un petit peu trop littéral. Alors que si je le faisais à travers ma sœur, je pouvais faire mon autoportrait et me retrouver devant un trou noir infini. Il y avait donc toutes sortes de niveaux qui rendaient l’expérience de création de l’objet intense et profonde, complexe.»

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David Altmejd (Crédit: Antoine Bordeleau)

En tournant le coin de la salle, s’offre ensuite une percée dans le cosmos, avec une œuvre abstraite. Cette structure installée sur un socle dans le style de l’artiste minimaliste Sol LeWitt est recouverte de miroirs: «Elle a l’air de disparaître, d’être dissoute.» Éclairée de lumière, elle reflète et explose vers les murs. Avec une répercussion vers la nouvelle intervention in situ, les deux structures créeront un effet cosmique, selon le principal intéressé: «C’est comme si on arrive juste après le Big Bang, mais avant que tout se soit aggloméré. Tout est un peu fragmenté.»

Créer pour évoluer

Cette revue du travail d’Altmejd des 15 dernières années reste cependant en constante évolution. À preuve, l’intervention in situ qu’il poursuivra tout au long de l’exposition, rappelant son travail architectural du début des années 2000, ainsi que les têtes sculptées et hybrides qui marquent sa production depuis ses débuts: «C’est comme si ça avait un rôle d’ajouter de la fraîcheur. C’est une œuvre qui est plus urgente.»

Autant l’exposition entière retrace en quelque sorte la création de l’univers, autant l’intervention in situ jettera un regard différent et rétrospectif sur les débuts de la production artistique de l’artiste d’à peine 40 ans, aux côtés de ses créations plus anciennes, en recréant l’évolution de l’Homme: «Je tiens à ce que [cette exposition] ne soit pas uniquement historique. Je suis quand même un artiste vivant! Je veux faire quelque chose qui respire, qui vibre! J’aime bien l’idée de travailler jusqu’à la dernière minute, de rusher, d’être un peu nerveux. Cette énergie-là reste dans l’œuvre.»

Ces contraintes de temps et d’espace, David Altmejd les accueille avec plaisir: «Il faut que je pense à ces choses-là, parce que ça m’aide à construire. Les problèmes techniques me servent et m’inspirent. Si je n’avais aucune contrainte, j’aurais de la misère à faire quelque chose. Ça me sert de tremplin.» Après avoir fait le tour de l’exposition en montage, une réflexion s’impose: «Si on me laisse à moi-même, si je n’ai aucune contrainte, je suis chaotique. J’ai besoin qu’on me mette des barrières, d’un cadre pour être capable de m’organiser. Si je n’avais rien qui me poussait, je crois que je me laisserais décomposer.»

La grande exposition synthèse consacrera aussi une salle aux Bodybuilders, ainsi qu’une autre aux géants et aux Watchers, des anges conçus sur le même principe que les hommes forts: «Des sculptures en plâtre qui utilisent des mains en plâtre pour déplacer la matière de leur corps. C’est l’objet lui-même qui est en contrôle de sa propre forme. J’aime l’idée que la sculpture contienne tous les outils qui servent à la former.»

The Flux and the Puddle

La dernière salle de l’exposition est réservée à une œuvre majeure du répertoire de David Altmejd, créée l’an dernier, après six mois de travail intense. The Flux and the Puddle, gigantesque création de boîtes de plexiglas, est entourée de murs tout en miroirs. À la base de l’œuvre, l’idée de construire la plus grosse structure possible en plexiglas qui pouvait rentrer dans son atelier new-yorkais: «J’allais l’utiliser comme une scène où combiner des personnes, des sujets, des couleurs, des textures, issus de mon travail de sculpture. Je voulais que ce soit comme un genre d’œuvre encyclopédique.»

Le travail de rétrospective était donc entamé, devenant une forme de synthèse de sa production globale, regroupant les préoccupations artistiques du sculpteur: «J’ai repris les cristaux, le loup-garou, les fruits, les hommes-oiseaux, les Bodybuilders. Je me suis dit que j’allais improviser un peu à l’intérieur de cette structure, que j’allais combiner des personnages qui viennent de différentes époques. Je me disais que ça deviendrait comme un genre d’opéra dramatique, mais finalement, c’est comme si tout avait commencé à se fragmenter, puis à s’agglomérer et à se restructurer. Au bout du compte, ce qui est ressorti le plus de la pièce, c’est le mouvement, donc je me suis concentré sur l’idée du cycle, du flux. Il n’y a pas un début et une fin. C’est juste un cycle continu.»

David Altmejd, The Flux and the Puddle, 2014. Installation, matériaux divers, 327,7 x 640,1 x 713,7 cm. Giverny Capital Collection. Photo : MNBAQ, Idra Labrie. © David Altmejd avec l’aimable autorisation de la Galerie Andrea Rosen. - See more at: https://www.mnbaq.org/exposition/david-altmejd-1243#sthash.hjIcHnE0.dpuf
David Altmejd, The Flux and the Puddle, 2014. Installation, matériaux divers, 327,7 x 640,1 x 713,7 cm. Giverny Capital Collection. Photo : MNBAQ, Idra Labrie. © David Altmejd avec l’aimable autorisation de la Galerie Andrea Rosen. – See more at: https://www.mnbaq.org/exposition/david-altmejd-1243#sthash.hjIcHnE0.dpuf

De New York à Montréal

Après des passages à Paris et au Luxembourg, l’exposition terminera sa tournée à Montréal: «C’était l’occasion de montrer à tout le monde d’où je viens, de montrer ce que j’ai fait pendant les 15 dernières années. C’est plus émotif et c’est plus de responsabilités. Ça me permet aussi de prendre une distance par rapport à moi-même. Je parviens à me voir, à l’intérieur de l’exposition.»

Puis, Altmejd poursuit, en expliquant une des raisons de son départ de Montréal: «Je me voyais toujours de loin. J’ai toujours été obsédé par le passé, par la mémoire, les souvenirs. Le fait de partir, de me retrouver dans un endroit où je ne connaissais personne, ça m’a permis de me concentrer sur le présent et de travailler très fort. Oui, je suis bien, j’aime ça, mais je pense que je serais capable de revenir à Montréal. Au début de la vingtaine, j’avais cette espèce de [difficulté à] me concentrer, parce que j’avais trop de distance par rapport à moi-même, parce que je me regardais, j’étais obsédé par le passé. Mais là, je pense que c’est fini.»

L’exposition Flux de David Altmejd aura lieu du 20 juin au 13 septembre 2015 au Musée d’art contemporain de Montréal.

The Flux and The Puddle est présenté au MNBAQ depuis ce 24 juin et pour les dix prochaines années.