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Réélire Jean Charest en une étape facile

À une époque pas si lointaine, les élections québécoises se jouaient sur la question nationale.

Pas totalement, mais en grande partie. On votait selon les aléas de la ferveur nationaliste et du spectre de la souveraineté. Les Patriotes et les Canadians ne changeaient pas d’idée. L’allégeance des autres — les mous, les indécis, les « traîtres » — fluctuait au gré des frustrations politiques et économiques du moment.

Puis, il y a déjà plusieurs mois, des milliers de Québécois ont voulu changer d’air. Personne ne sait exactement pourquoi. Ils ont flushé le Bloc et se sont rués vers le NPD. Ils ont porté la CAQ à plus de 40% dans les sondages. Ils ne voulaient plus entendre parler de fédéralistes et de souverainistes: ils voulaient confronter nos défis sociopolitiques et économiques sans complaisance et sans partisannerie.

Aux yeux de plusieurs, les vieux partis ont soudain eu l’air de dinosaures. Les débats de l’heure étaient portés par de nouvelles voix, à droite comme à gauche. On ne parlait plus de référendum ou de constitution, on parlait de Révolution tranquille et de modèle québécois. Plusieurs ont vu là le début d’un réalignement de la politique québécoise sur l’axe gauche/droite.

Ce désir de changement perdure. N’en déplaise à la brigade de la ceinture fléchée et du monoculturalisme, seulement 4% des électeurs considèrent la souveraineté comme le principal enjeu de la prochaine élection (dans le cas de la langue, c’est 2%).

À ses débuts, le « printemps québécois » a marqué l’apogée de cette nouvelle polarisation. La hausse des droits de scolarité constituait la première étape d’un virage tarifaire. Le Québec faisait face à un débat essentiel sur la délimitation de la responsabilité personnelle et collective. Après des années d’ennui, des milliers de Québécois de toutes les allégeances se sont apparemment découvert un intérêt pour la politique.

Et puis, soudain, tout ça a foutu le camp.

Les manifs nocturnes ont commencé. Puis les affrontements avec la police, le vandalisme, les blocages de campus, les bombes fumigènes, le mépris des injonctions, les émeutes au Palais des congrès et à Victoriaville.

L’enjeu public a basculé. D’un questionnement essentiel sur la tarification et le collectivisme, on est passé à un débat largement stérile sur l’état de droit et le respect des institutions démocratiques — débat qui n’a rien à voir avec la droite et la gauche, le fédéralisme ou la souveraineté.

Le résultat est sans équivoque.

Entre février et juin, l’appui au gouvernement est passé de 48% à 56% alors même que l’appui aux étudiants passait de 44% à 35%. Semble que le gouvernement ait maintenant un avantage de 21% dans l’opinion publique.

Au plan personnel, la popularité de Jean Charest a augmenté de 7% entre décembre 2011 et juin 2012. Dans le cas de Line Beauchamp, les appuis ont augmenté de 18%. Michelle Courchesne? Hausse de 16%. Raymond Bachand? Hausse de 12%. Amir Khadir, défenseur le plus affirmé des carrés rouges? Chute de 11%.

En date d’aujourd’hui, les sessions sont suspendues et le calme est revenu. Mais tout le monde sait que c’est le calme avant la tempête. Elle arrivera à la mi-août, quand le rattrapage des sessions suspendues doit normalement commencer. Des associations étudiantes ont déjà prévu recommencer les blocages de campus. L’escouade anti-émeute reprendra du service. On replongera vraisemblablement dans le bal des manifs, des affrontements, du gaz poivre et des arrestations.

Et la popularité de tous les partis opposés au hooliganisme — PLQ en tête — remontera dans les sondages, juste à temps pour une élection qu’on attend pour septembre.

Certains membres des assos étudiantes comprennent très bien cette dynamique (même à la CLASSE). Mais il n’est pas clair qu’ils seront majoritaires lors des prochains votes.

Dans une élection portant sur la corruption et le financement politique (surtout avant la Commission Charbonneau), le gouvernement Charest se serait sans doute fait démolir. Dans une élection où les vieux partis auraient ressorti leurs drapeaux canadien et québécois, la CAQ (parce qu’elle se fiche officiellement de la question nationale) aurait peut-être su tirer son épingle du jeu. Une élection sur le rôle de l’État, la Révolution tranquille et notre modèle de société aurait — de loin — suscité les débats les plus intéressants, et les résultats les plus difficiles à prédire.

Mais dans une élection portant sur l’état de droit et le respect des institutions, le résultat est visible à des kilomètres: les anarchistes et les révolutionnaires vont se faire ramasser.

En d’autres mots, si vous voulez réélire Jean Charest en septembre prochain, bloquez les campus en août. Laissez faire les têtes brûlées. Cassez des vitrines. Violez des injonctions. Résultat garanti.

Et tant pis pour les Québécois qui auraient souhaité un nécessaire débat de fond sur la droite, la gauche, la responsabilité personnelle et les missions de l’État.