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Déclaration d’amour à Simon Boulerice

Exaltation. C’est le mot qui me vient pour parler des livres de l’auteur/comédien/danseur/metteur en scène Simon Boulerice. J’avais à peine terminé son roman illustré Martine à la plage que j’ai sauté dans le récit poétique Nancy croit qu’on lui prépare une fête.

Dans celui-là, j’ai corné une page.

Nancy crie à l’injustice
les ressorts de son matelas lâchent
ce n’est pas le sexe torride
seulement l’histoire de ce grand lit
fatigué du poids de Nancy

Mais j’aurais pu les corner toutes. Parce que Boulerice a un talent fou. Dans ses histoires d’adolescentes furieuses et incendiaires, la vérité crie. C’est le désir qui nous mène, le désir qui nous perd aussi, parfois.

Les livres terminés, j’avais une envie folle de lui parler, à Simon Boulerice, alors je l’ai appelé.

Il est jovial au bout du fil, bavard, plein de bulles comme un 7up. Il me raconte la genèse de Martine à la plage, l’histoire d’une adolescente érotomane qui tombe sévèrement en amour avec son voisin, un homme marié, optométriste de son état. Martine a vécu sa vie de pièce de théâtre avant d’être édité sous forme de roman graphique par la jeune maison d’édition contemporano-trash La mèche.

«D’abord, c’est un clin d’oeil évident à la série des Martine. Je me suis rappelé la série, les dessins, et surtout le personnage hyper naïf, que j’ai eu envie de pervertir. Je voulais la propulser dans le monde de l’adolescence qui est une période cruelle, une période de paradoxes: il faut vivre avec des interdits alors que les pulsions sont tellement fortes! J’avais aussi envie de créer un spectacle très visuel. J’avais fait Qu’est-ce qui reste de Marie-Stella? qui incorporait la musique, puis Simon a toujours aimé danser qui mélangeait le théâtre et la danse. Martine à la plage, c’est mon show Robert Lepage! J’ai incorporé beaucoup d’effets visuels dans la mise en scène, entre autres j’ai eu l’idée de mêler la table de Ouija et la charte des optométristes.» Sans compter les petits mots aimantés que Martine dérobe chez le voisin en les cachant dans sa «craque de boules».

Et d’où lui vient cette fascination pour les personnages féminins?

«C’est bizarre ce que je vais dire, mais j’aime surtout les adolescentes! Actuellement, je suis en train d’écrire une histoire sur la demi-soeur de Cendrillon, Javotte, qui est cruelle. Mais on comprend que c’est parce qu’elle se sent vivre quand elle est cruelle, sinon, elle se sent morte. L’adolescente m’intéresse plus que l’adolescent, parce que je vois en elle quelque chose de pur, une absence de censure qui fait qu’on sent le vide, la carence humaine. Il nous manque quelque chose et on va l’arracher à quelqu’un. J’aime les antihéros, la faille, l’échec. Martine, c’est une Lolita qui ne fonctionne pas! Elle n’arrivera jamais à se faire aimer de Gilbert, son voisin. Il va lui dire, voyons ma p’tite chouette, c’est pas possible

«Peut-être que j’ai trop lu Violette Leduc. J’ai tout lu d’elle. C’est une contemporaine de Camus, et c’est de Beauvoir qui a insisté pour qu’elle soit publiée. C’est une femme qui écrivait sur ses échecs, sur le fait que personne ne l’aimait. Elle tombait amoureuse de tous ceux qui ne pouvaient pas l’aimer, de Beauvoir qui était hétéro, de Sarraute. Des gens intelligents qui la rejetaient. Ça m’a beaucoup marqué. Juste les titres de ses livres : Ravages, La bâtarde, Affamée, ça dit tout. D’un autre côté, j’aime beaucoup Gabrielle Roy, qui est la dignité incarnée. Ce sont mes deux auteures-phares, j’essaie de me promener entre les deux, entre pudeur et impudeur.»

Les destins tragiques sont parfois lourds, ce ne l’est pas avec Boulerice. La tragédie et le rire sont siamois, indissociables. «Je suis attiré par l’atypique, le surprenant, le saugrenu. Je découpe les articles insolites dans le journal parce que ça me donne des idées. Ça crée une unicité, ça aide à sortir du cliché.» Quand Martine essaye de se scrapper la vue en lisant les ingrédients de la crème solaire dans le noir, quand elle fait des parades nuptiales avec ses swim-aids et des spaghettis dans la piscine du voisin, tout ça est à la fois pissant et triste au possible.

La touche d’humour est plus qu’un choix esthétique, c’est un trait de personnalité fort chez l’auteur. Un art de vivre même. «J’ai décidé de faire une formation de comédien, parce que j’avais envie d’être entouré de gens drôles. J’avais envie d’être diverti. Et ça a marché! Aujourd’hui, je suis entouré de gens drôles.»

(Merci au cours de clown de Ste-Thérèse.)

Homme-orchestre, Simon Boulerice admet que c’est dans l’éparpillement des projets qu’il se sent bien. Les noms de Woody Allen et Xavier Dolan surgissent. «Comme eux, ça m’attire de toucher à tout : écriture, mise en scène, interprétation. Et puis chaque jour je varie. Aujourd’hui j’écris un roman et demain peut-être que je vais travailler sur ma prochaine pièce.» En attendant, je me promets d’aller voir la reprise de Martine à la plage au Théâtre Denise-Pelletier en septembre.

Avant de raccrocher, j’ai presque envie de lui citer le graffiti qui apparaît dans Martine : «J’ai perdu tout le temps que j’ai passé sans t’aimer.» C’est peut-être excessif, mais c’est mieux que finir en disant belle découverte.

 

Martine à la plage
Simon Boulerice
Roman illustré
(illustrations de Luc Paradis)
Éditions La Mèche
90 p.
2012

 

Nancy croit qu’on lui prépare une fête
Simon Boulerice
Poètes de brousse
66 p.
2011