L'homme des doléances
Médias

L’homme des doléances

C’est à la cour du roi de Suède, au début du XIXe siècle, que le premier ombudsman – mot qui signifie "homme des doléances" – reçoit les plaintes adressées au roi.

L’idée a fait son chemin. Aujourd’hui, on retrouve dans nombre d’organismes publics ou privés un personnage chargé de traiter les plaintes des citoyens. Quelques médias ont aussi leur ombudsman. Pas beaucoup. Trois au Canada, selon l’Organization of News Ombudsmen. Une au quotidien Toronto Star et deux à Radio-Canada (un pour le service anglais, l’autre pour le service français).

Étonnant qu’il y en ait aussi peu, compte tenu du caractère foncièrement "public" des médias (dans le sens de "qui s’adresse à la population"). Car pour améliorer la qualité de l’information et veiller au respect des plus rigoureuses pratiques journalistiques, ce département des plaintes est un outil point pire pantoute.

Récemment, l’ex-ombudsman du service français de Radio-Canada, Renaud Gilbert, publiait un rapport spécial sur son mandat au sein de la société d’État.

Les médias ont surtout retenu sa charge contre le "mélange des genres", cette tendance à mélanger information et divertissement, notamment dans des émissions telles qu’Infoman, Et Dieu créa… Laflaque, Tout le monde en parle.

L’ex-ombudsman de Radio-Canada, qui n’a juridiction que sur le secteur de l’information, constate qu’un nombre croissant de plaintes porte sur l’information traitée à l’intérieur des émissions de variétés. Selon lui, le mélange des genres est risqué et peut "créer la confusion dans l’esprit du public".

Tandis qu’on y est, une plainte liée au mélange des genres a été traitée en mai dernier par l’actuelle ombudsman de Radio-Canada, l’ex-journaliste Julie Miville-Dechêne.

L’objet: le passage de Bernard Derome sur le plateau de Guy A. Lepage, le 25 mars dernier. Devant 1,9 million de téléspectateurs, et à quelques jours des élections provinciales, l’illustre chef d’antenne et sa crédibilité de téflon avaient alors prédit que Bernard Drainville (l’ancien journaliste radio-canadien devenu député péquiste) allait "aller très loin en politique". Fin de la citation.

En entendant ceci, un téléspectateur – accessoirement candidat pour Québec solidaire – a jugé que Bernard Derome avait failli à son devoir de réserve, "en procurant (à Drainville) un avantage indu." Il s’est plaint à l’ombudsman. Et l’ombudsman lui a partiellement donné raison.

Dans son explication, elle soutient: "[…] après le vote du 26 mars, l’opinion de Bernard Derome sur Bernard Drainville serait apparue anodine. La veille du scrutin, elle ne l’était pas." L’ombudsman se veut aussi critique envers la direction de Radio-Canada et le mélange des genres au célèbre rendez-vous dominical: "Ce talk-show (Tout le monde en parle) est un véhicule publicitaire extraordinaire pour le service de l’information (de Radio-Canada). […] Les invités veulent être à la fois intéressants, drôles et vifs d’esprit." Or, l’effort peut être périlleux pour les journalistes de Radio-Canada, soutient-elle, car même s’ils sont invités à une émission de variétés, ils sont toujours soumis aux normes et pratiques journalistiques.

Je ne crois pas que Bernard Derome ait commis la bourde du siècle. C’est somme toute anodin. Mais je trouve rassurant qu’il existe à l’intérieur des murs de Radio-Canada une instance qui peut être à ce point critique. C’est un plus pour la crédibilité des "chiens de garde de la démocratie", plutôt mise à mal ces dernières années. Et c’est dû à la présence d’un ombudsman.

Je me demande à quel point la qualité de l’information s’améliorerait s’il y avait à TVA, à TQS, au Journal de Montréal, à La Presse ou au Devoir un ombudsman chargé de cueillir les doléances du peuple.

C’est étrange, mais j’ai comme l’impression que deux ou trois artisans de l’information, vendeurs de rigueur à gogo, tomberaient assez vite de leur piédestal.

Le Bureau de l’ombudsman de Radio-Canada

(www.radio-canada.ca/ombudsman)

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TÉLÉ /

En parlant de mélange des genres, à quelques jours de l’Halloween, Et Dieu créa… Laflaque revisite un classique de l’horreur, Frankenstein à la sauce Laflaque. Tourné en noir et blanc comme le film original. Et Dieu créa… Laflaque, à Radio-Canada, le dimanche 21 octobre à 19h30.

Un dommage collatéral de l’armée dont on parle peu: le sort des épouses de militaires. Isolées, soumises à des déménagements répétés, elles finissent souvent par perdre le contrôle sur leur vie. Un documentaire réalisé par Claire Corriveau. Les Épouses de l’armée, aux Grands Reportages de RDI, le lundi 22 octobre, 20h.