Angle mort

Ni raté ni sympathique

Impossible de parler des critiques sans sortir la célèbre formule de Robert Charlebois: les critiques sont des ratés sympathiques.

Vraiment?

Prenons Robert Lévesque, ancien critique de théâtre au Devoir.

Raté?

Si on imagine qu'être critique est l'habit de rechange de l'artiste en panne de succès, peut-être.

Si, par contre, on considère la critique comme un art en soi, qui exige une indépendance d'esprit et une dévotion pour la Culture avec un grand C, Robert Lévesque n'est certainement pas un raté.

Sympathique?

Des artistes lui en veulent encore pour des textes-matraques qu'il a commis voilà plus de 20 ans.

À une certaine époque, on jouait au dard sur son portrait dans les salles de répétition.

Disons que dans la catégorie "Personnalité médiatique la plus sympathique de l'année", Francis Reddy a un million plus de chances de gagner que Robert Lévesque.

Non, Robert Lévesque n'est ni raté ni sympathique.

Qu'est-il, alors?

Voici, voilà.

Robert Lévesque est un petit monsieur frisé qui sévit, de 1981 à 1996, en tant que critique de théâtre au quotidien Le Devoir.

Et d'un style cinglant il fut. Quand une pièce ne lui plaisait pas, il n'y allait pas avec le dos de la cuiller, comme on dit.

Et peu de pièces lui plaisaient.

Il ne se fit donc pas beaucoup d'amis dans le "beau milieu", comme on dit aussi.

Trois événements marquèrent son parcours.

D'abord, en 1984, une pétition signée par 176 noms de gens de théâtre et envoyée au Devoir appelait au boycottage du quotidien si le gros méchant Lévesque n'était pas relevé de ses fonctions.

Non seulement, le quotidien ne plia pas à ces demandes, mais l'affaire fit passer lesdits gens de théâtre pour des caves – eux qui souventes fois réclamèrent pour eux-mêmes l'entière liberté d'expression.

L'histoire nourrit les manchettes un moment, puis fut oubliée.

Puis, en 1996, un nouveau scandale éclata au Devoir. On découvrit que des textes de certains collaborateurs (dont Josée Blanchette et Daniel Pinard) avaient été sauvagement sabotés. Des passages avaient été remplacés par des niaiseries.

Coïncidence, le jour même où l'affaire éclatait au grand jour, Robert Lévesque démissionnait du quotidien.

Un plus un font deux. Même si le critique nia être l'auteur des sabotages, plusieurs ne le crurent point.

Parmi ceux-ci, Robert Lepage. Un metteur en scène que Lévesque avait encensé à ses débuts, mais étampé dans le mur lorsque ses pièces se sont mises à faire dans le fétichisme technologique.

Bref.

En 2001, ce même Robert Lepage annula une conférence de presse, car trois journalistes de sa "liste noire" devaient y participer, dont Robert Lévesque.

Pour qu'il disparaisse de sa blacklist, Lepage poussa le ridicule jusqu'à demander à Lévesque des aveux sur l'affaire des tripotages de textes au Devoir en 1996.

Pour couper court au niaisage, Robert Lévesque avoua. "Oui, c'était moi, le fantôme de la salle [de rédaction]", écrivit-il.

Enfin… voilà à peu près ce que l'on retrouve dans Le dernier mot, un documentaire d'Antoine Laprise qui retrace la carrière de Robert Lévesque.

Cinquante-deux longues minutes.

Car soyons francs, Robert Lévesque, l'homme… Tout le monde s'en fout.

Alors qu'il aurait été intéressant de se servir de lui pour parler de l'utilité du critique, de l'importance de ce témoin culturel, de la disparition d'un certain discours sur l'art – de plus en plus remplacé par la plogue et le copinage – on a décidé de viser l'anecdote.

On donne le crachoir à ceux que Lévesque a égratignés. On met les clips bout à bout.

Surtout, on s'éternise sur l'épisode Robert Lepage.

Une histoire d'une portée très, très locale, mettant en vedette un créateur qui a voulu "tuer" le critique qui l'a fait naître, comme un fils doit tuer son père pour devenir un homme.

Pis après?

Passez le mot: il y a encore un bon film à faire sur le rôle de critique au Québec.

Le dernier mot, à Radio-Canada, le dimanche 8 juin, 20h.

MAGAZINES /

Édité par le Centre justice et foi, le magazine Relations consacre un numéro au sujet de l'heure: la Chine. Des articles plutôt critiques sur l'envers du "miracle" chinois: le péril environnemental, le sort des femmes… et comment Confucius sert-il l'adhésion du peuple au Parti communiste! Relations, juin 2008, 4,95 $.

TELE /

En parlant de la Chine. TV5 diffuse durant le mois de juin une série documentaire qui nous mène jusqu'aux lieux les plus mystérieux de l'empire du Milieu. Splendide. Aux frontières de la Chine, sur TV5, première partie le jeudi 5 juin, 21h30.