Harper craint trop les pelures de banane. Dion remonte la pente. Duceppe est sur le pilote automatique. Et Layton doit être plus qu'un "bon Jack".
Voilà en gros l'analyse de la "performance médiatique" des chefs en campagne que fait l'expert en relations publiques Bernard Motulsky. Titulaire de la Chaire de relations publiques et de communication marketing à l'UQÀM, il a coécrit, avec le chroniqueur économique René Vézina, le guide Comment parler aux médias. Un livre conçu pour ceux "qui se feront, un jour, questionner au téléphone ou flanquer un micro sous le nez."
C'est un peu beaucoup énormément le cas des chefs politiques. Pour survivre, ces gens-là doivent exciter quotidiennement la bête médiatique sans se faire bouffer tout rond, tout en embrassant des bébés. Périlleux exercice. Comment s'en sortent-ils?
Commençons par le meilleur: Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois.
Même au milieu d'une meute de journalistes affamés, il sait livrer la marchandise: une clip télévisable, une langue populaire et une petite blague de temps à autre. "Gilles Duceppe a eu tellement de difficultés au début de sa carrière politique que cela a été pour lui une excellente école", observe M. Motulsky. Pour le plaisir, rappelons d'ailleurs à la mémoire l'épisode dit "du bonnet". "La meilleure chose qui peut arriver à un politicien, poursuit l'expert, c'est de manger des claques pour comprendre."
Dans ce cas, tout n'est pas perdu pour Stéphane Dion, le chef du Parti libéral du Canada. Des claques, il en mange treize à la douzaine. Combien de fois s'est-on moqué de son style ampoulé, professoral, nerd, de son anglais approximatif? Or, on dirait bien qu'il commence à saisir les règles du jeu. Au Débat des chefs en français, il a été solide, plus clair que d'habitude et presque mordant. Médiatiquement parlant, Stéphane Dion remonte la pente. Malheureusement, ce sera peut-être trop peu, trop tard. "L'enjeu, dans son cas, dit Bernard Motulsky, c'est de remonter suffisamment la pente… peut-être pas pour devenir premier ministre, mais pour rester en selle."
Du côté des conservateurs, M. Motulsky reproche à Stephen Harper son manque de transparence. "On a l'impression que beaucoup de décisions [de ce gouvernement] ne sont pas expliquées, dit-il. Les coupures en culture, par exemple. On a du mal à comprendre pourquoi ils ont pris cette décision. Ce n'est pas en ne parlant pas qu'on va les comprendre!"
Dans La Presse de dimanche dernier, le chroniqueur Alain Dubuc soutenait d'ailleurs que les conservateurs auraient certainement évité la crise du financement des arts en expliquant clairement pourquoi ils supprimaient ces programmes et par quoi ils comptaient les remplacer.
La politique du silence de Harper semble être une tactique pour éviter les pelures de banane. Pas sûr que c'est l'idée du siècle.
"Lorsque les journalistes sont incapables de faire leur travail qui consiste à poser des questions afin d'obtenir des réponses, explique l'auteur de Comment parler aux médias, c'est l'opposition qui prend la relève." C'est peut-être la raison pour laquelle on entend beaucoup parler du mouvement "anti-Harper" depuis le début de cette campagne.
Le chef du NPD Jack Layton joue aussi à un jeu dangereux. Il souffre du tic de la "compassion automatique". "Quand un citoyen lui pose une question, dit Bernard Motulsky, Layton répond toujours: "Oui, je vous comprends, et si nous sommes élus, je vais vous le donner"."
Selon l'expert, il y a dans cette attitude de "bon Jack" une forme de manque de respect de l'intelligence des électeurs. Personne n'est dupe. Tout le monde sait fort bien qu'un gouvernement ne peut pas donner à chacun ce qu'il veut, tout le temps.
Un mot enfin sur la chef du Parti vert, Elizabeth May. Sa plus grande victoire dans cette campagne électorale aura été de gagner une place aux débats des chefs. Pour la notoriété, se faire entendre par plus de 1,6 million de téléspectateurs au Québec n'a pas de prix. "Au lieu de passer son temps à attaquer Harper, ajoute toutefois Bernard Motulsky, elle aurait pu profiter de cette tribune pour exprimer clairement les idées de son parti." Une occasion ratée. Et j'ajouterais qu'une bonne révision des participes passés en vue d'un prochain débat en français, aux prochaines élections, aiderait certainement à ce qu'on les comprenne, ces idées…
Comment parler aux médias
de Bernard Motulsky et René Vézina
Éd. Transcontinental, 2008, 136 p.
Ce livre dont parle Steve Proulx semble intéressant et il va attendre sa place sur la pile des livres et des textes que je compte lire au cours des semaines ou mois qui viennent.
Bernard Motulsky semble «épingler» de manière très perspicace les comportements, parfois brillants, parfois maladroits, des divers chefs.
Je voudrais, dans le présent texte, dire quelques mots sur Layton et Mulcair. Il est probable que, vivant dans le quartier Côte-des-Neiges, mon vote se porte sur Thomas Mulcair. Mais deux choses m’inquiètent, concernant le NPD.
Premièrement, il semble y avoir des liens bizarroïdes et troublants entre une certaine mouvance islamique de droite et le NPD qui s’affiche comme de gauche et socialiste. Et je trouve que les médias ont peu parlé de la candidate néo-démocrate Samira Laouni, membre du CIC (Congrès islamique du Canada) alors qu’ils ont profusément parlé de la candidate conservatrice, Nicole Charbonneau-Baron, membre de l’Opus Dei. S’il faut savoir comment parler aux médias, il faut aussi savoir parler des médias. Moi, je reproche aux médias leur «correctitude» intellectuelle, idéologique, morale et politique. Le politiquement correct, c’est souvent la haine de soi-même et la valorisation aveugle de L’AUTRE. Personnellement je veux vivre fraternellement avec tous les musulmans qui le méritent. Mais je déteste et «conchie» les islamistes radicaux qui incarnent une sorte d’extrême-droite religieuse.
Deuxièmement, je trouve inacceptable la participation de Thomas Mulcair à LOFT STORY, émission dont le titre «réel» est BIG BROTHER. Que fait un candidat «progressiste» dans le cadre d’une émission fondée sur «L’INTIMITÉ SUREXPOSÉE» et sur un mépris «rentable» de la vie privée? Peu de médias ont réfléchi à cette question. C’est bizarre!
En somme, je pense qu’il faut savoir comment parler aux médias mais que les médias doivent, eux aussi, savoir de quoi il faut parler. Je crains beaucoup LA CORRECTITUDE POLITIQUE, aussi appelée LE POLITIQUEMENT CORRECT.
Ce sont là quelques réflexions en vrac qui m’ont été inspirées par le texte de Steve Proulx, lequel fait un excellent travail de décodage des médias.
JSB, sociologue des médias
Le progrès, c’est justement l’accroissement de tous les échanges, la transparence imposée à tous les aspects de la vie.
Afin de produire le monde fraternel dont vous semblez rêver, force est de constaté que nous devrons transformés l’être humain. Comment le transformer sinon en l’infiltrant de partout par divers techniques ? Comment le transformer sinon en le libérant de tous ses secrets ?
…
De toute façon, il est complètement inutile d’opposer l’étiquette « progressiste » du NDP à l’émission « Loft Story ». Cette logique est beaucoup trop tordu et n’a probablement jamais traversé l’esprit du candidat Mulcair. À moins bien sur que vous ne vouliez infiltrer les intimes intentions des candidats du NPD. À ce moment, supportez la transparence !
Si, un jour, LA TRANSPARENCE quasiment totale devenait la règle ou la norme, je crois que je choisirais de mourir. Chaque être humain porte en lui des secrets, une intimité et des tiroirs strictement personnels. La transparence, ce serait la mort de l’humanité et un retour à la plus brutale des ANIMALITÉS.
Respectueusement!
JSB
La transparence totale, ce serait plutôt la « disparition » de l’humanité, non pas sa mort. Disparition non pas des individus eux-même, mais du concept même d’humanité.
Si le concept « d’humain » se fragilise avec l’avancée de la transparence, ce n’est pas parce qu’elle provoque un retour des bestialités, mais bien parce que la transparence RÉALISE l’humanité. Une fois disparues tous les barbarismes, l’humanisme perdra du même coup son référent, son contraire, son miroir. (Et on sent bien que nous y sommes presque…)
La transparence est déjà la norme, et ce, depuis longtemps. (Depuis la mort de Dieu peut-être…?) La rationnalisation du monde se substitue aux mystères du monde ; c’est tout le projet des Lumières (!), c’est le Grand Projet de l’Humanisme. Que vous vouliez conserver CERTAINES passions dans l’Homme, CERTAINS mystères chez l’Homme, c’est légitime (et je supporte cette volonté); cependant, c’est contradictoire avec la volonté de vouloir supprimer le barbarisme.
Le livre de M. Motulsky et M. Vézina m’apparait comme une mauvaise nouvelle. Je ne l’ai pas lu, donc je ne prononcerai pas de jugement définitif. Je pense cependant qu’il est légitime de se demander si ce livre servira la population. Est-ce un manuel de sophistique? J’espère que non, les élections prouvent que nous sommes déjà assez creux en la matière.
L’impression que me laisse les campagnes électoral canadienne et américaine est que, peu importe le programme du candidat, les gens vont voter pour le meilleur rhéteur, le plus beau sourire, celui avec qui ils aimeraient prendre une bière, le male alpha ou une autre superficialité de la sorte.
Obama te fait pleurer dans ses discours. Et alors? Il me donne le motton aussi (voir »A more perfect union »), mais quel rapport avec la fonction qu’il doit occuper? Même chose pour la platitude de Dion ou le froid de Harper. J’aimerais tellement avoir un politicien qui s’adresse à mon intelligence, devoir lire ses phrases deux fois pour en saisir la totalité.
Mais non, c’est le contenant et non le contenu.
La meilleure preuve de ce que j’affirme c’est le changement dans les intentions de vote. On peut passer de Dion à Layton, mais les positions de Harper sont tellement loin de ceux des autres sur un grand nombre de sujet, comment peut-on passer de l’un à l’autre si rapidement? »J’étais pour la mise en marché des armes militaires, contre l’avortement, contre l’intervention de l’état dans l’économie et pour la hausse du budget militaire… mais là je change complètement de position du jour au lendemain. » Même chose pour Obama et McCain, comment peut-on hésiter entre deux idéologie aussi lointaine? Le dédoublement de personnalité me semble êter la seule excuse valable.
De plus en plus, je me dis qu’on a les chefs qu’on mérite, malheureusement.
LP