Cinq films pour saluer le génie du regretté Alain Resnais
Cinémaniaque

Cinq films pour saluer le génie du regretté Alain Resnais

Il rêvait d’être acteur, mais il est devenu cinéaste. Ou plutôt bricoleur, comme il se plaisait à dire.

« Toi, tu feras mieux qu’acteur, lui avait dit l’un de ses professeurs au Cours Simon », me confiait Sabine Azéma en 2007 lors des Rendez-vous d’Unifrance à Paris à propos d’Alain Resnais, disparu à 91 ans samedi soir, dont elle fut la muse et la compagne. » Je crois que je lui plais en tant qu’actrice… « , m’avait-elle aussi lancé avec un regard pétillant au cours de l’entretien.

Ainsi, alors qu’il suivait des cours de théâtre, Alain Resnais s’intéressait davantage aux éclairages qu’aux personnages. Celui qui se définissait humblement comme un artisan et bricoleur voit ses premiers films faire scandale. En 1956, son documentaire Nuit et brouillard, qui traite de la déportation et des camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale, est retiré de la compétition à Cannes à la demande de l’Allemagne. Trois ans plus tard, c’est Hiroshima, mon amour, son premier film de fiction, qui est écarté de la compétition au Festival de Cannes afin de ne pas choquer les États-Unis.

Suivront deux œuvres sublimes où brille la regrettée Delphine Seyrig : L’Année dernière à Marienbad (1960), d’après le roman d’Alain Robbe-Grillet, qui lui valut le Lion d’or à Venise, et Muriel ou le temps d’un retour (1963), d ‘après un scénario de Jean Cayrol. En 1968, il signe Je t’aime, je t’aime, film de science-fiction où Claude Rich incarne un homme invité à voyager dans le passé après une tentative de suicide; sélectionné à Cannes, le film n’a pu y être présenté en raison des événements politiques ayant causé l’annulation du festival.

« Du matin jusqu’au soir, c’est un inventeur, expliquait Sabine Azéma en 2007 à propos de l’inventivité que l’on retrouve dans l’oeuvre de Resnais. Petit garçon (il est né en Bretagne), il devait déjà avoir cette même invention, cette même curiosité de la vie, cette même passion pour l’art. On voit que c’est quelqu’un qui respire le cinéma. Il n’y a jamais de coupure pour lui entre la vie réelle et le cinéma. Comme c’est quelqu’un de très perfectionniste, tout y passe! Il va tout repérer, tout voir, essayer de tout comprendre. Il a une observation hallucinante. Son cerveau est sans cesse en marche. Il a une pensée passionnante, intéressante, différente et, surtout, moderne. »

Lors d’une conférence en 2007 aux Rendez-vous d’Unifrance, le réalisateur révélait: « Je me laisse porter par des circonstances. Il n’y a pas de décision ni de choix, peut-être une inquiétude: je ne veux pas faire deux fois le même film. » Certes, on retrouve dès les années 1980 ceux qui deviendront les piliers de ses œuvres, André Dussolier (L’Amour à mort, 1984), Pierre Arditi et Sabine Azéma (La vie est un roman, 1983), mais cela ne veut pas dire pour autant que le grand cinéaste se cantonnera à un seul genre, à un seul champ d’intérêt. De fait, tant les travaux de Laborit (Mon oncle d’Amérique, 1980)  que la comédie musicale (On connaît la chanson, 1997), sans parler du théâtre, lui inspireront des œuvres singulières, inventives et originales.

« Depuis l’âge de 14 ans, j’entends que le théâtre est un art noble et le cinéma, un art secondaire, révélait-il en conférence de presse à Cannes en 2012. Jeune, quand j’allais au théâtre, je me demandais pourquoi on ne pouvait pas avoir le même effet au cinéma. Or, on peut prendre les choses en les faisant basculer. Il y a quelque chose de capital qui rapproche le théâtre et le cinéma: dans les deux cas, on a besoin d’acteurs et l’on ne peut interrompre la représentation pour reprendre une réplique qu’on n’a pas comprise. Il me semble qu’on peut peut-être aussi se servir de cette gémellité entre le théâtre et le cinéma. En tout cas, c’est ce que j’ai tenté dès mon premier film (Hiroshima, mon amour), que le son soit un son théâtral, en enlevant à cet adjectif son sens péjoratif. Je ne sais pas si j’ai réussi ou si j’ai raison, mais c’est ce que j’ai ressenti et je l’ai fait au naturel, voilà. »

«Chez Resnais, ça ressemble à un appartement d’étudiant. Il traîne toujours un sac plein de livres comme un étudiant. Il a une curiosité insatiable, un esprit non conventionnel et il cherche toujours à surprendre», disait Sabine Azéma en 2007. Si sa dernière œuvre, Aimer, boire et chanter n’a pas fait l’unanimité parmi le public de la dernière Berlinale, on lui a tout de même attribué le prix Alfred Bauer, en mémoire du fondateur du festival, «pour un film qui ouvre de nouvelles perspectives». Né le 3 juin 1922 à Vannes (Morbihan), Alain Resnais est mort heureux entouré de sa famille à quelques semaines de la sortie d’Aimer, boire et chanter. Pour bon nombre de cinéphiles, celui qui démarra sa carrière tardivement demeurera éternellement jeune de cœur et d’esprit.

Hiroshima, mon amour (1959)

Alors qu’elle tourne un film sur la paix au Japon, une actrice française (Emmanuelle Riva) croise un séduisant Japonais (Eiji Okada) qui devient son amant et son confident. « Tu n’as rien vu à Hiroshima », lui répète-t-il inlassablement tandis qu’elle énumère toutes les horreurs qu’elle y a vues. Puis, la jeune femme entreprend de lui raconter un douloureux souvenir de son adolescence à Nevers durant la Seconde Guerre mondiale. La beauté déchirante des dialogues incantatoires de Marguerite Duras, le phrasé parfait de Riva, le charme ravageur d’Okada, la musique hypnotique de Georges Delerue et Giovanni Fusco, les images de la guerre se superposant aux corps des amants font de cet audacieux hymne à l’amour un chef-d’œuvre impérissable.

Pas sur la bouche (2006)

Possédant un charme suranné qui rappelle les plus beaux films de Jacques Demy (Les Parapluies de CherbourgLes Demoiselles de Rochefort), Pas sur la bouche nous transporte en 1925 dans la riche demeure de Georges Valandray (Pierre Arditi), un métallurgiste qui est sur le point de s’associer avec l’homme d’affaires américain Eric Thomson (Lambert Wilson), qui a été le premier mari de Gilberte Valandray (Sabine Azéma). Par d’agiles mouvements de caméra, le brillant cinéaste compose de jouissifs plans-séquences où tant la beauté des lieux que le talent indéniable des acteurs sont mis à contribution. Bref, un pur ravissement pour l’oeil, l’oreille et l’esprit.

Cœurs (2007)

Nicole (Laura Morante) cherche un appartement même si le couple qu’elle forme avec Dan (Lambert Wilson), ex-militaire devenu pilier de bar, va à la dérive. Confident des tourments de Dan, le barman Lionel (Pierre Arditi) engage Charlotte (Sabine Azéma) célibataire pieuse pour prendre soin de son père malade (voix de Claude Rich). Le jour, Charlotte travaille avec l’agent mobilier Thierry (André Dussolier) qui en pince pour elle. Pour sa part, Gaëlle (Isabelle Carré), soeur de Thierry tente de trouver l’homme de sa vie grâce aux petites annonces. Porté par de savoureuses et spirituelles répliques que défend un casting de rêve, Coeurs illustre avec finesse la solitude des êtres qui vieillissent en ayant l’impression d’avoir passé à côté de la vie. Dirigeant merveilleusement ses acteurs, Resnais signe une mise en scène fluide, épurée, un rien théâtrale où les rafales de neige servent à ponctuer le récit et à en souligner la mélancolie. Lion d’argent du meilleur réalisateur à Venise.

Les Herbes folles (2009)

En sortant d’une boutique de chaussures, la dentiste et pilote d’avion Marguerite Muir (Sabine Azéma) se fait voler son sac à main. Plus tard, l’inquiétant Georges Palet (André Dussolier) trouve le portefeuille de la demoiselle. Commence alors entre eux une singulière relation. Narré par Édouard BaerLes Herbes folles se révèle un délice dépaysant. S’amusant à créer des mouvements de caméra surprenants, lesquels nous rappellent à chaque instant qu’on est bien au cinéma, où le rêve et la fantaisie sont rois, et non dans la vraie vie, Alain Resnais salue avec un ludisme irrésistible l’âge d’or hollywoodien. Enfin, se retrouvent dans cet univers peuplé de personnages irrationnels trois acteurs de Desplechin, Anne Consigny, Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric, qui rendent des plus savoureuses les répliques caustiques finement ciselées. Prix exceptionnel au Festival de Cannes en 2009.

Vous n’avez encore rien vu (2012)

Avec la complicité du scénariste Laurent Herbiet, Alain Resnais a fondu adroitement en une deux pièces de Jean Anouilh (Eurydice et Cher Antoine ou L’amour raté). S’amusant à brouiller les frontières entre le théâtre et le cinéma, comme il sait si bien le faire, le vénérable réalisateur signe non pas une adaptation pour le moins originale, mais une veillée funèbre placée sous le signe de l’amour et de l’art. Pas joyeux comme programme? Détrompez-vous! Vous n’avez encore rien vu s’avère une magnifique rêverie où la fantaisie et l’émotion se font écho avec éclat alors que les acteurs, séparés par un écran, deviennent de parfaits complices dans cette ludique mise en abyme. Au sein de la distribution prestigieuse, se démarquent Anne Consigny, par son interprétation à fleur de peau et Mathieu Amalric, par son hypnotique charme venimeux.