Desjardins

Le juste prix et la dissidence

C’est du théâtre de coulisses. Celles du pouvoir, là où se fabriquent les chefs, leur image, leurs discours, leurs plans d’attaque; là où leurs alliés leur plantent parfois des couteaux dans le dos. C’est de la fiction qui nous permet de voir ce que le réel nous interdit, un endroit secret, loin des regards du public, ce qui a quelque chose de vaguement irritant quand on sait que c’est là que se joue l’avenir des politiciens, mais surtout le nôtre.

J’ai passé les 2 heures et 40 minutes de L’absence de guerre (à Premier Acte) rivé à mon siège, suivant avidement le feuilleton politique qui m’était proposé, et qui m’habite depuis que j’en suis sorti.

Parce qu’à la fin, tu te dis: c’est la faute à qui, au juste? Qu’est-ce qui corrompt quoi?

Est-ce le désir de prendre le pouvoir et de le garder par tous les moyens qui a fucké la politique? Ou est-ce nous, le problème? Est-ce que la société est à ce point habituée à ce qu’on lui vende tout et son contraire comme s’il s’agissait de savon à vaisselle qu’on en est venus à acheter les politiciens de la même manière qu’on magasine une souffleuse ou un abri Tempo?

Bref, à quel moment les idées se sont-elles évanouies au profit de la mise en marché et qui doit-on blâmer?

Dans cette pièce de l’Anglais David Hare (mise en scène par Édith Patenaude), on assiste de l’intérieur à la campagne électorale des travaillistes qui, pour une fois, ont une chance de défaire un gouvernement conservateur en déroute. Mais les déchirements intérieurs et le grenouillage au sein du parti auront raison du peu de cohésion nécessaire à la victoire.

Une victoire que le parti voulait obtenir à tout prix, pourtant. Quitte à bazarder quelques idéaux au passage.

Et voilà pourquoi, monsieur et madame, la gauche ne pourra jamais gagner: parce qu’elle fait la promotion de choses vaporeuses, comme la justice sociale, tandis que la droite, elle, parle avec brio d’une économie qu’on illustre, qu’on chiffre, qu’on évalue. La gauche ne gagnera jamais, parce qu’elle ne pourra jamais vaincre le désir de confort avec des bons sentiments.

Elle ne gagnera jamais, nous ne la laisserons pas faire. Parce que son amour de la démocratie finira toujours par lui nuire en donnant l’impression qu’elle est chicanière plutôt que libre. Parce qu’il y aura toujours quelqu’un pour venir lui dire que l’économie ne peut pas être à gauche quand le monde entier est à droite.

Et cela aura l’air du gros bon sens, et nous opinerons silencieusement, parfois avec dépit, mais nous opinerons quand même, comme l’a fait le parti travailliste dans le réel, sous Tony Blair, en devenant un parti de centre-droite.

Nous nous dirons qu’au fond, nous ne vivons pas vraiment en démocratie. Mais dans un marché, ça oui. Ça c’est sûr. Un marché libre, où l’on choisit les produits qu’on achète. D’où notre obsession toute simple du juste prix, jusque dans l’isoloir.

DÉSOBÉIR – Il y a un truc qui me tanne depuis les premiers moments de l’occupation qui s’est terminée en début de semaine à Québec, dans la foulée de nombreux démantèlements de camps semblables à travers le continent.

Un truc qui provient du discours des indignés, et qui m’agace profondément.

Cette chose: c’est leur attitude devant la volonté de la Ville et des propriétaires du terrain de les chasser de là, et leur réponse enrobée de bons sentiments qui renvoient au droit de manifester, et blablabla.

Pourquoi, si je suis d’accord avec eux sur le fond, j’ai l’impression d’entendre des ados de 13 ans en train de dire «heille, j’ai le droit, bon»? Pourquoi j’ai le sentiment qu’ils boudent alors qu’ils devraient crier?

Probablement parce qu’il y a dans leur naïveté tout ce qui manque pour que le mouvement décolle. À commencer par l’esprit de dissidence, le vrai. Pas de la révolte d’écolier qui braille quand on l’oblige à démonter sa tente, mais la vraie contestation, celle qui s’accompagne de conséquences parce qu’elle rompt avec l’ordre établi au lieu de chercher à s’en faire un ami. Ça m’énerve un peu d’avoir à dire ça, parce que je partage la même indignation devant l’arrogance des grands financiers et des gouvernements qu’ils soutiennent, mais on ne fait pas la révolution en occupant un parc pacifiquement et en discutant avec les autorités ou en pleurnichant quand on vous en refuse l’accès. Il faut prendre des risques, les assumer. Sinon, on vous dira que vous êtes venu faire du camping. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé.

Qu’est-ce qu’on disait déjà à propos de la gauche qui se déchire de l’intérieur?