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Procréation assistée 1re partie – Deuils, désir et droit

Le taux d’infertilité a doublé en 20 ans. De 8,5% en 1992, il est passé à 16%. En 1984, c’était seulement 5,4% des couples qui ne parvenaient pas à avoir d’enfant après un an sans contraception.

J’avais lu ces données dans Le Devoir (Amélie Daoust-Boisvert, 18 février 2012), puis comme tant d’autres nouvelles avant, celle-ci est allée rejoindre l’immense corbeille de ma mémoire morte.

J’étais avec un couple d’amis l’autre soir. Ce sont eux qui ont ramené cette statistique à la surface quand ils m’ont annoncé qu’ils sont «enceints». Ils irradiaient l’enthousiasme inquiet de ceux qui ne mesurent pas encore exactement ce qui les attend, mais qui sont contents pareil. Très contents.

Ils me racontaient donc leurs difficultés à concevoir, leur joie d’y être parvenus, mais avec une extrême pudeur. Parce qu’ils savent que le spectacle de ton bonheur, c’est parfois le cauchemar des autres. «J’étais plus capable d’aller sur Facebook et de voir toutes ces histoires de bébés, m’avoue la moitié féminine du duo. J’étais sincèrement contente pour mes amies, mais ça me rappelait toujours ce que je n’avais pas, moi.»

Cette série de chroniques, je l’écris pour ces amis, pour tous ceux qui m’ont écrit en nombre ahurissant quand j’ai annoncé qu’il serait question ici de procréation assistée. Je l’écris aussi parce que derrière les statistiques et la décision du gouvernement de financer la procréation assistée depuis 2010, il y a des gens, des histoires. Plusieurs questions éthiques, politiques, économiques. Et sociologiques aussi, parce nous décidons de faire des enfants de plus en plus tard, et c’est surtout cela qui compromet notre capacité à y parvenir.

Répétons: 16% des couples ne parviennent pas à procréer naturellement au bout d’un an. Après 40 ans, le chiffre passe à 20%.

Dans la tête et dans le cœur de tout ce monde, il y a quelque chose qui chavire.

Vous constatez une défectuosité. Première étape dans le processus de médicalisation de la procréation, vous passez des tests pour trouver le bobo.

«Quand j’ai reçu mon spermogramme qui montrait que mes spermatozoïdes étaient, disons, paresseux, j’étais en tabarnak», confie Patrice, 38 ans. «Ma blonde ne comprenait pas, elle voulait se rapprocher de moi, me rassurer, je voulais rien savoir, j’étais vraiment en colère.»

Au-delà de l’idée de performance, c’est le processus naturel qui est mis en cause. La chose la plus simple du monde devient soudainement complexe. Et ça altère considérablement l’expérience humaine d’avoir des flos.

C’est une dimension rarement abordée. Sans doute parce qu’au moment d’en arriver aux méthodes de fécondation ou de stimulation de la fécondité, toute idée romantique de la procréation a déjà été évacuée. Si on a étudié le calendrier, pris des rendez-vous pour baiser, et levé les pattes au ciel, on est déjà dans la mécanique.

«Tomber enceinte, c’est pas comme aller acheter une télé plasma chez Future Shop, écrit Françoise. C’est pas juste une affaire de cellules. Il y a une dimension spirituelle là-dedans, d’amour aussi – et c’est difficile à réconcilier avec l’idée que notre bébé va être conçu dans un laboratoire.»

Dans les dizaines de témoignages recueillis, il y a cette idée de deuil qui ponctue presque tous les récits. D’abord, celui qui se construit lentement, et qui prend la forme d’une incertitude: il est possible que je ne puisse pas avoir d’enfant. Puis il y a autre chose qui devient clair: si ça fonctionne, ce ne sera pas fait naturellement.

Il y a aussi celles qui, voyant le temps qui leur file entre les doigts, font un autre deuil. Celui du père. «Il y a des filles qui se font des fuck friends, arrêtent de prendre la pilule et tombent enceintes sans le dire au gars. Mais je ne pouvais me résoudre à ça, ça m’écœurait», raconte Nathalie. Elle s’est rendue chez Procrea, clinique très connue, on lui a trouvé un donneur anonyme dans une banque de sperme et elle est rapidement tombée enceinte… Pour faire une fausse couche quelques semaines plus tard. «Je me donne un an. Après, si ça marche pas, je sais pas… Je me ferai un autre plan de vie.»

Quand je lui demande si avoir des enfants est un droit fondamental, elle me répond que oui. Catégorique.

Je n’ose pas lui dire en pleine face que je ne suis pas d’accord. Que nous prenons mille décisions qui altèrent nos chances d’avoir des enfants. «Tu cherches le bon gars, tu veux faire avancer ta carrière, tu attends le bon moment, et tu te rends compte que tu as peut-être trop tardé»: presque toutes les filles m’ont dit ça, écrit ça.

Nous avons décidé de faire passer l’individu avant la famille, un glissement social désormais cautionné par l’État, qui le finance. On estime que ce «choix de société», fruit d’un lobby acharné mené par Julie Snyder, coûte au-delà de 65 millions de dollars par an au gouvernement du Québec.

En fait, ce qui m’agace, c’est qu’il est presque impossible de débattre de ce sujet parce qu’en l’espace de quelques secondes, on nage dans le psychodrame, dans l’émotion du désir d’enfant qui est vrai, tangible, sans doute parfois presque physique. On me reprochera de ne pas comprendre, parce que je l’ai, moi, mon enfant.

C’est vrai. Je ne peux pas comprendre. Et puis vous me direz que c’est une injustice que la procréation assistée ne soit réservée qu’aux plus riches.

Mais aussi légitime soit-il, et malgré le drame de ceux et celles qui ne parviennent pas à avoir d’enfant, ça reste un désir dont on a fait un droit.

(La semaine prochaine: À l’intérieur de la machine, ou le difficile processus de la procréation assistée quand rien ne fonctionne)