Philippe a 37 ans. Maude en a 36. Mais il faut revenir six ans en arrière pour raconter leur histoire qui est celle de nombreux couples infertiles.
Notez qu’ils ont à l’époque la très jeune trentaine. Du monde en santé, de bonnes jobs et de saines habitudes de vie, comme on dit dans les pubs de yogourt. Ils forment un couple exemplaire, au sens où ils en représentent mille autres qui sont dans la norme et qui aboutissent dans le système de la reproduction assistée sans raison apparente.
Après un an d’essais infructueux, donc, Philippe et Maude entrent dans la machine et passent les tests. Spermogramme, réserve ovarienne, échographies. Rien d’anormal. Il y en a beaucoup pour qui c’est ici que ça se complique. On leur trouve des kystes, des trompes de Fallope obstruées, des cicatrices, des anomalies de toutes sortes qui peuvent se manifester lors de l’examen et n’ont généralement rien à voir avec l’âge ou le mode de vie. Puis il y a les empêchements chez l’homme, liés à la santé de sa semence, ou à certains troubles comme l’hypogonadisme.
Mais chez Philippe et Maude, rien d’irrégulier, sinon un nombre d’ovules un peu moins important que la moyenne.
Ils commencent par l’insémination artificielle, c’est une méthode efficace chez bien des couples qui ne présentent pas de problèmes majeurs. On injecte donc le sperme de Philippe à Maude, cinq fois en 18 mois. Nous sommes en 2008 lors de la première.
Tous les gars qui ont subi la chose m’ont évidemment raconté le bonheur de se branler dans un réduit à balais, entouré de magazines pornos qui semblent dater de la fin de la guerre du Vietnam. Mais ça, c’est rien. Vraiment rien.
C’est après, lorsque les méthodes plus simples ne fonctionnent pas, que ça se complique et qu’on entre dans la véritable épreuve qui est celle de la médicalisation totale de la conception. Je vous disais la semaine dernière la difficulté de certains parents à voir leur enfant conçu «en laboratoire» pour des motifs idéologiques et spirituels, mais en réalité, c’est la dynamique complète du couple qui est mise en éprouvette.
On fait une sorte de CTRL-ALT-DEL du système reproductif de la femme, puis on le booste au maximum. On prélève des ovules (assez pénible merci), on sépare les meilleurs éléments reproducteurs des moins bons, on féconde, on obtient des embryons qu’on implantera ensuite en choisissant les plus viables. Ça, c’est si tout va bien. Si tout est en ordre. Et je ne vous raconte pas les détails: l’horaire soumis au gré d’injections de toutes sortes, dont les douloureuses intramusculaires faites à la maison, les montagnes russes hormonales, les allers-retours en clinique. Et avant 2010, il y avait le fric. Dans une sorte de forfait qu’offrait la clinique de l’Université McGill, Philippe et Maude ont payé 11 000$ pour trois essais, en plus des 3500$ en médocs. Progestérone, estrogènes et Puregon pour l’hyperstimulation ovarienne.
Ensuite? Tout le monde se croise les doigts. Karine m’a raconté son bonheur d’avoir un troisième enfant grâce à cette méthode, même si on la regardait de biais en apprenant qu’elle avait utilisé la fécondation in vitro bien qu’elle ait déjà deux autres ti-culs. Sylvie, elle, écrit qu’elle vit depuis le plus parfait bonheur, que la fécondation in vitro est une bénédiction.
Pour ceux auquel il échappe, ce bonheur, les réactions varient. Il y a les plus zen qui se font une raison, qui étudient d’autres options, comme le don d’ovules, puis finalement l’adoption. Mais à l’intérieur de l’intimité des couples, dans ces liens pourtant tissés serré qui se délitent parfois sans qu’on puisse le voir de l’extérieur, l’enfant qui ne vient pas est un rêve fracassé duquel on ne se remet pas toujours. Certains ne pourront s’empêcher de chercher un coupable, la blessure devient insoutenable, chaque nouveau revers essuyé comme une claque sur la chair déjà à vif.
«On a passé à travers en se disant tout, en ne se refermant pas sur notre colère», raconte Philippe, mais d’autres amis à lui dans une situation analogue n’ont pas été capables de cette ouverture. «Des années à essayer d’avoir un enfant, à tout faire pour y parvenir pour finir par se cogner à une arnaque d’adoption en Europe de l’Est, ça les a détruits. Surtout lui, il ne veut plus en parler, c’est fini.» Leur couple aussi.
«Je suis allé chez le psy. Il m’a fait réaliser que la vie, c’est pas juste ça, que le couple ne se réduit pas à ça non plus», raconte Philippe qui, après un premier début de grossesse, a dû faire face avec Maude à une fausse couche. «Ce n’est plus le centre de ma vie, dit-il, j’ai retrouvé les intérêts que j’avais avant. Maude aussi. Nous continuons d’essayer, cette fois avec le don d’ovules de membres de la famille. Après, on verra.»
Sauf que lorsque t’as les enfants de tes amis dans la face à tous les soupers, les questions indiscrètes (pis vous, les petits, c’est pour quand?), l’actualité Facebook avec des photos de bébés partout, les partys de famille avec les neveux et les nièces, et que tu ajoutes à cela toutes les tentatives infructueuses et la montagne d’efforts fournis en vain, le quotidien devient un peu le théâtre de ton échec. Un théâtre de la cruauté.
Autour, ceux qui savent se taisent, par pudeur, par gêne, par peur d’ouvrir la blessure. Les autres qui ne savent pas, évidemment, ne voient pas. Les grands brûlés du cœur traînent un malheur invisible.
(La semaine prochaine: Éthique, politique et philosophie de la procréation)
Je ne vous avais jamais lu auparavant. Je suis tombée sur votre chronique par hasard, attirée par le titre. J’ai deux enfants. Mon mari et moi essayons depuis plus de cinq ans d’en avoir un troisième. Après une grossesse ectopique, on a découvert que mes trompes étaient obstruées. Une chirurgie, de la médication pour déclencher l’ovulation. Encore des mois et des mois d’essai. Rien. Puis une fausse couche il y a un mois. L’espoir ravivé, aussitôt détruit. Mon mari m’a dit « C’est pas grave, on va continuer d’essayer. » Je sais. Je n’ai jamais été obsédée par le fait d’avoir un autre enfant. Mais le rêve est là, au fond de moi. Et malgré moi, même si j’essaie de ne pas trop y penser, chaque mois, j’espère. En vain. J’ai toujours voulu avoir trois ou quatre enfants. Je voyais ma « famille nombreuse » réunie autour de la table. Bien sûr, j’ai pensé à la procréation assistée. Mon médecin m’en a parlé. J’ai le papier pour la consultation à Procréa. Il me reste juste à me décider. Mais je ne sais pas. Pas certaine que j’ai le goût de m’embarquer là-dedans. J’en ai déjà deux. C’est ça que tout le monde me dit : « Au moins, vous avez réussi à en avoir deux, un gars et une fille en plus. » Mais le temps avance. J’ai 35 ans. Les questions que je me suis posées, les enjeux auxquels j’ai pensé, les doutes que j’ai eus, vous les avez soulevés. Je ne peux pas parler pour les autres, chacun vit ça différemment. Mais en ce qui me concerne, vos deux chroniques ont mis le doigt sur bien des choses qui me trottaient dans la tête, et dans le cœur. Merci.
Je trouve que vous avez décrit avec justesse et sensibilité une réalité que j’ai côtoyée de près, pas en tant que parent mais en tant que donneuse d’ovules.
Cette démarche était pour moi l’aboutissement d’un questionnement en profondeur : de quoi est fait le désir d’être parent? La réponse à cette question est certainement différente pour chacun(e) et je crois qu’il n’existe pas de justification rationnelle. À mes yeux, en définitive, la seule bonne raison de devenir parent, c’est d’en avoir le désir sincère. Et lorsqu’un obstacle se présente, qui peut juger de la nouvelle forme que l’on donnera à ce désir viscéral, afin d’en réaliser l’essence?
Aujourd’hui un petit être existe quelque part qui fait le bonheur de ses parents grâce à ce geste que j’ai décidé de poser. Je l’ai fait par conviction et pas pour en tirer quelque avantage matériel. Et ça me rend vraiment très heureuse de l’avoir fait. Évidemment que c’est un peu plus compliqué qu’un don de sperme, mais quand même pas aussi fastidieux qu’on pourrait l’imaginer. Il faut surtout prendre la peine de choisir une clinique dans laquelle on se sentira traité comme un être humain à part entière, ce qui n’est malheureusement pas le cas partout.
Même si mon expérience a été positive, le don de gamètes est une pratique qui est fort mal encadrée en ce moment et il y aurait beaucoup à faire pour en améliorer les conditions, au bénéfice des parents, des donneurs, mais aussi des enfants qui en sont issus.
Votre premier article m’a fait réagir… Je ne donnais pas cher des suivants…
Mais contre toute attente, le 2e article est bien! Même très bien! Je suivrai la série en espérant que le ton du 2e se retrouvera dans les suivants et que vous vous abstiendrez de tomber dans les clichés (ils y pensent trop; il faut qu’ils partent en voyage; s’ils adoptent, ça marchera; s’ils adoptent un chien, ils pourront lui donner l’amour qu’ils ont à donner; …).
J’espère que vous poserez un regard juste sur un dysfonctionnement physique réel engendrant une détresse réelle, invisible, souvent sous-estimée par la population fertile parce que souvent cachée volontairement par les infertiles…
Je suis sceptique. Demander à des gens infertiles si l’État doit payer la procréation assistée revient à demander à un mourant si l’État doit lui payer un voyage sur la Lune ! Il y a un petit risque de raisonner avec un intérêt personnel particulier. Ce réflexe n’est pas à blâmer mais il faut le reconnaître.
Une décision, aussi intime soit-elle, a des répercussions sur autrui. Une décision comporte d’abord des valeurs que l’on souhaite véhiculer. Une décision, puisqu’elle a des répercussions sur autrui, comporte des contraintes provenant justement des autres. Qui sont ces autres ? Nos proches seulement ? Vivons-nous dans un monde hermétique où la vie des uns se vit en vase clos, en système fermé ?
À ceux et celles qui discréditent toute idée provenant d’autrui sur la base qu’il soit parent lui-même et qu’il ne peut comprendre, vous vous baîllonnez vous-mêmes : vous ne pouvez quémander un enfant prétextant que vous seriez de bons parents, puisque vous n’avez pas d’enfant…Vous ne pouvez comprendre! A ce compte, les hommes ne comprennent rien aux femmes (c’est connu) et ne devraient pas émettre leur idée à propos d’elles. Et vice et versa.
En bout de ligne, ce dont il est question, c’est enfanter et non être parent. À $15 000 l’essai, l’adoption pourrait être assez efficace pour parvenir à être parent.
Si une femme désire ardemment avoir un homme dans sa vie, car elle croit que cela la rendrait heureuse, doit-on lui fournir ? Farfelu, direz-vous ? Non, illusoire. Tout aussi illusoire que de penser qu’un enfant la rendrait enfin heureuse. Certes, il existe une joie d’enfanter (pas pour toutes) et de prendre soins d’un enfant, mais il existe d’autres joies dans la vie, que certains vivent et d’autres pas, malgré leur grand désir : le mariage, la promotion de carrière, l’exercice d’un travail qui nous plaît, une vie sociale bien remplie, la vie de couple et mille autres exemples.
Afin de s’affranchir, autant que faire se peut, d’une émotivité légitime, il y aurait des questions à se poser :
Qu’est-ce qu’une famille ?
Qu’est-ce qu’un désir ?
Qu’est-ce qu’un droit ?
Qu’est-ce qu’une maladie ?
Qu’est-ce qu’une politique de santé publique ?
Qu’est-ce que la parentalité ?
Qu’est-ce que le bonheur ?
La notion qui semble rapidement évacuée est celle du droit, puisque celui-ci est très contraignant face au désir présent.
Pouvoir enfanter n’est pas un droit universel, c’est un privilège de la nature. S’il s’agit d’un droit, attention messieurs, revendiquez haut et fort un budget pour y parvenir. Par contre, une femme ne désirant pas d’enfant, pourrait définir son infertilité comme une bénédiction…Dans le même ordre d’idées, l’infertilité (qui demeure un diagnostic nébuleux dans certains cas) peut s’apparenter à une infirmité qui, selon le cas, se vit comme un malheur ou une bénédiction. Le vieillissement diminue la fécondité, cela est à considérer. En soi, l’infertilité ne cause pas de situation handicapante dans la société, pour l’individu qui en est atteint. Il se peut que le diagnostic engendre une détresse émotive. De façon générale, tout citoyen (autre que les victimes d’actes criminels – et encore, va-t-on accorder $ 15 000 multiplié par 3 essais à s’en remettre, à une personne agressée sexuellement ?!?) qui éprouve de la détresse émotive se paie ses traitements psychologiques… Et cela est nullement obligatoire, car il y en a un bon nombre qui s’en remet naturellement à son entourage (Dieu pouvant faire partie de leur entourage, les chanceux !) pour panser leurs blessures. Comment alors justifier une aide sociale à des gens qui n’ont aucune défaillance majeure dans leur vie, autre qu’un rêve brisé ? En passant, un « rêve brisé » n’est pas une défaillance mais bien un dénominateur commun à tous les humains qui ont la chance de vivre assez longtemps pour passer par là.
Le choix de financer cette pratique est magistralement démesuré par rapport à la légitimité des soins requis. Dès lors, quels sont donc les motivations magistrales pour justifier un tel investissement ? Investissement….Investissement…Investissement…Qui gagne ? Les grands gagnants potentiels parmi les citoyens semblent être les gens infertiles, mais d’après les récits, ça n’est pas du tout certain. Cela représente tout de même une infime partie de la population (20 % des 40 ans et plus qui tentent le coup ou 16 % au total. Pour investir tant, il faut que ça rapporte assurément. Il est urgent de se pencher sur la question. Sans vouloir offenser personne, le gouvernement n’a pas injecté tant de fonds par humanisme et affection à la cause, quoiqu’elle soit beaucoup plus « cute » et propre que celles des pauvres et miséreux. Pas plus que le programme de BS n’a été intitué pour des causes humanitaires ; il s’agissait d’un régulateur d’économie.
Qui perd ? Les pauvres et miséreux, une fois de plus. Ceux qui en ont besoin.
« Le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), Gaétan Barrette, a affirmé que jamais un programme de santé publique n’avait été implanté d’une façon aussi rapide.» (Radio-Canada, 14 juillet 2010)
L’ennui, dans les décisions d’une telle envergure, prises aussi rapidement, c’est que le prix de cette incompétence et de cette immaturité sera à nouveau assumé par les citoyens.
Bête à dire, mais si la masse électorale vieillissante et infertile n’existait pas, et que la culture occidentale ne contrôlait pas la natalité si étroitement avec son idéologie qu’un enfant doit naître dans des conditions supra idéalisées, les gens souffrant réellement d’infertilité joindraient possiblement la catégorie des infirmités orphelines…Et auraient peu d’aide financière, qu’importe la source. Phénomène culturel, sociologique comme dit M. Desjardins.
En Occident, nous qui avons le luxe de réfléchir avec si peu d’enfants et tant d’argent, on dirait qu’on réfléchit de plus en plus à la droite, et qu’on raisonne de plus en plus gauchement.
En réponse à Fourchette :
« Demander à des gens infertiles si l’État doit payer la procréation assistée revient à demander à un mourant si l’État doit lui payer un voyage sur la Lune ! » (dixit Fourchette)
Non… l’exemple n’est pas bon…
La question devrait plus être : « Demander à des gens infertiles si l’État doit payer la procréation assistée revient à demander à un mourant si l’État doit lui payer ses soins médicaux! » Il va mourir, c’est un fait! Il ne rapportera pas d’argent… C’est un trou monétaire pour l’État (Je sais je suis assez directe!).
Du côté infertilité, pour une grande majorité, il y a un dysfonctionnement physique réel (spermatozoïde, ovaire, utérus, hormones, etc.). Certes, les infertiles ne mourront pas… Mais appliquer la logique : ne pas payer leur frais médicaux pour les soigner revient à ne pas payer les soins de fin de vie d’un mourant. Pourquoi favoriser les uns et pas les autres surtout quand l’État paie pour arrêter de fumée, l’avortement, la vasectomie, la vasovasectomie, la ligatures, etc.
On parle de qualité de vie… de traitements médicaux pour une maladie…
Finalement, la fiv est maintenant moins élevée que 15,000$… Mais elle est aussi le dernier recours… Dans les traitements remboursés n’oublions pas les insémination qui coûtent mois de 500$ à l’État et qui généralement, portent fruit!
Je suis d’accord avec Marie-Eve, le premier article m’a fait réagir. C’est pas toutes les femmes qui attendent après leur carrière pour avoir un enfant, il y en a qui essaie comme moi depuis longtemps et pour qui ca ne fonctionne pas, …
Par contre le deuxième article, je me suis reconnu, … merci pour ce texte que j’ai envoyé à mes proches pour leur faire comprendre ce que je vis réellement, …
Merci !!