Desjardins

Le gros bon sens en otage

La fin de semaine dernière, le gouvernement du Québec a dépensé 165 000$ en publicité pour faire connaître son offre aux associations étudiantes.

Le chiffre lui-même? On s’en fout. Ce qui m’intéresse, c’est l’extraordinaire cynisme de nos dirigeants, parce qu’il semble que la population n’en perçoit rien. En fait, le plus ahurissant, c’est à quel point le quotidien, votre quotidien, l’emporte sur tout le reste. À commencer par la raison.

Mais avant, revenons à cette pub. À sa fonction, surtout, qui n’est pas informative. Le gouvernement, en période de crise, n’achète pas de l’espace publicitaire à grands frais pour mieux informer la population. Il fait de la propagande. Ou plus clairement, il détourne des fonds publics à des fins électorales, en toute légalité, puisque les élections n’ont pas été déclenchées. Pas encore.

En ce moment, avec tout le cynisme dont il est capable, ce gouvernement fabrique du consentement.

On l’a dit, on le répète. À moins que vous viviez sous une roche, vous avez entendu au moins une douzaine d’analystes de toutes les familles médiatiques vous dire la manœuvre électoraliste dont je parlais ici il y a deux semaines, bref, vous savez que les libéraux de Jean Charest tablent sur l’unique dossier dans lequel ils trouvent un appui populaire pour rebondir dans l’opinion publique.

Cette pub à 165 000$, c’est la même chose que «les deux mains sur le volant» ou «nous sommes prêts». C’est l’image du bon père de famille que cherche toujours à donner de lui-même le Parti libéral du Québec.

Et que fait-il chaque fois que nous lui rendons le pouvoir et la carte de guichet? Il assure la pérennité d’un système politique pourri. Il donne notre NIP à n’importe qui sous prétexte qu’il créera de la richesse. Le hic, c’est que les compagnies qui créent de la richesse sont plutôt désireuses d’en soutirer. Sans payer leur juste part d’impôts, si possible. Et le bon gouvernement rend cela possible.

Jusqu’ici, je ne vous apprends rien. C’est vrai. Vous savez tout cela.

Et c’est bien ce qui me dépasse: vous. Vous dans votre petit quotidien. Vous dans votre moite tiédeur immobiliste. Vous qui craignez bien plus d’être ralenti par le trafic que provoque une manif étudiante que de vous faire escroquer des millions par une firme de génie-conseil.

Mai 2012. Le gros bon sens a été pris en otage par une droite qui ne voit plus clair et qui s’indigne de quelques vitrines brisées tandis qu’on l’arnaque en lui promettant que c’est pour son bien. La population souffre du syndrome de Stockholm. C’est clair.

On vous a roulés dans la farine, et encore une fois, le gouvernement en place va parvenir à tirer profit de votre peur du changement. Parce que vous ne voulez pas que les choses bougent. Je l’ai écrit quatorze millions de fois: nous votons pour la continuité, avec de nouvelles têtes de Turc au gouvernement. Mais qu’on ne vienne surtout pas nous dire que nous vivons mal, que notre mode de vie doit être révisé. Ça non. Tout est parfait comme c’est là.

Personne n’aime se faire dire qu’il s’est trompé, qu’on lui ment et qu’il y a cru. Pire: qu’il s’est menti à lui-même parce que ça faisait son affaire. La population souffre du syndrome de Stockholm, disais-je. Elle crache au visage de ceux qui défont ses chaînes pour lui montrer ce qui se passe à l’extérieur de la caverne.

Et là, il n’est pas même question d’une révolution, de ce qu’on appelle pompeusement «printemps érable». Il est question de préférer le confort de l’ignorance à la brûlure de la vérité qui nous forcerait à avancer, à aller voir ailleurs.

Cette vérité, c’est que nous n’aimons pas vraiment la liberté. Nous la confondons depuis trop longtemps avec le désir de continuité d’un quotidien bien réglé, sans surprise.

Cela nous fait faire des contorsions que personne ne dénonce parce qu’elles suivent le parcours tortueux de nos désirs, qui sont difficilement réconciliables.

Nous soutenons implicitement, par le silence, l’enrichissement honteux des amis du parti, mais nous dénonçons le financement de la culture quand les artistes nous écrasent au visage nos renoncements.

Nous animons une émission de radio dans une station qui s’est battue pour la liberté d’expression, mais quand un chauffeur d’autobus du RTC écarte un groupe d’étudiants avec le nez de son engin rue Saint-Jean, nous déclarons sans déconner qu’il mérite une médaille, et les auditeurs applaudissent.

Nous croyons à l’état de droit, mais dissimulons difficilement notre satisfaction quand les flics le violent si c’est pour coffrer une bande de gauchistes qui manifestent.

Nous nous glissons dans la réconfortante doudoune de la haine de l’autre, surtout si cet autre confronte nos certitudes, et devenons les complices d’un gouvernement que nous devrions tous détester parce qu’il nous trompe.

Ce même gouvernement vient de dépenser 165 000$ pour nous convaincre que nous avons raison. Pour nous assurer que tout va bien, pôpa s’occupe de toute.

Les étudiants ont un peu dérangé notre sommeil, mais nous pouvons nous rendormir, dit-il.

Et personne ne hurle. Tout le monde opine, se laissant aveugler par son petit mépris des intellectuels de gauche de la CLASSE, par sa propre aliénation qui lui fait dire: qu’ils travaillent et qu’ils s’endettent eux aussi. Nous sommes aveuglés par le fatalisme, par la conviction que les choses ne peuvent pas aller mieux, que le monde meilleur, c’est maintenant.

En fait, que nous ne soyons pas dans la rue, en ce moment, à réclamer la démission de ces gens qui se moquent de nous, voilà qui justifie amplement le mépris qu’ils entretiennent à notre égard et envers la démocratie.