Grandes gueules

Lettre ouverte à Lucien Bouchard

Femme en colère

Monsieur Bouchard, aimeriez-vous être parqué dans un corridor d’hôpital durant cinquante-six heures? Est-ce tout ce que vous avez à offrir à ceux qui ont consacré la plus grande partie de leur vie à leur famille et à leur travail? Est-ce là la part qui leur revient?

Pourquoi mon père ne peut-il avoir accès à une chambre d’hôpital, qui lui redonnerait sa dignité? Ma mère, trop âgée, ne peut plus s’en occuper. Épuisée, fatiguée d’avoir trop donné, après quatre-vingts ans de dévouement total. Seriez-vous rendu là vous aussi? Épuisé? Fatigué d’avoir trop donné?

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Après un séjour trop long à l’hôpital (cinq mois), en attente d’une place dans un centre de soins prolongés, et un séjour trop bref dans un centre transitoire, mon père se retrouve de nouveau à l’hôpital, à l’urgence, dans un couloir, offrant son intimité à chaque personne qui passe par là parce que vous avez remercié un personnel infirmier compétent; parce que vous avez mal évalué les besoins de notre société vieillissante; parce que vous fermez des lits; parce que vous ne payez pas le temps supplémentaire; parce que vous n’êtes pas dans la situation de dépendance des retraités à faibles revenus. Vous vivez dans un autre monde.

Ça vous dirait quoi de vous retrouver dans un coin de corridor d’hôpital, à laisser s’écouler, minute par minute, les derniers jours de votre existence?

Monsieur Bouchard et messieurs les ministres qui, soi-disant, administrez les services québécois, pourriez-vous uriner et déféquer dans une bassine sachant que l’on circule à quelques pouces de vos fesses? Pourriez-vous vous détendre, dormir au son des haut-parleurs, à la lumière qui ne s’éteint jamais? Les lits à la queue leu leu, tous collés les uns contre les autres?

Auriez-vous le goût de continuer à respirer sachant qu’on n’a rien d’autre à vous offrir que l’attente drabe de la mort, car elle seule peut vous sembler libératrice de ces trop longs moments?

Pendant ce temps, mon père continue de payer à votre gouvernement la chambre qu’on lui a trouvée dans un centre dit transitoire, de même que les assurances et les impôts que vous lui réclamez. Scandale!
Vous ne méritez pas vos électeurs, vous ne méritez pas vos fonctions, et tous les privilèges qui viennent avec. Vous m’irritez souverainement. Ce que les personnes malades réclament, ce ne sont pas des privilèges, c’est le respect.

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C’est la colère, la rage et un fort sentiment d’impuissance qui conduisent mon stylo sur ces pages après des mois d’émotions, de démarches, d’attente, d’espoir, de déceptions et de dépenses aussi.
Être méchante, je vous souhaiterais de devenir à votre tour un être anonyme et drabe, les fesses collées sur un piqué de lit de couloir d’hôpital; ou mieux, avec une couche souillée, des douleurs au coeur et à l’âme, mendiant vos besoins essentiels et tentant de trouver le sens de tout ce cirque. Un être à qui l’on aurait retiré son passé, son avenir et sa dignité.

Mon père se demande s’il doit continuer de lutter. Que lui répondez-vous?

Toutes ces personnes âgées qui ont bâti notre coin de pays sans jamais demander quoi que ce soit, fidèles aux valeurs traditionnelles, elles qui vous ont coûté le moins cher, n’auraient-elles pas droit à une fin de vie sereine, tranquille, dans un environnement paisible, sans avoir à demander pour combien de temps encore pourront-elles assumer ces dépenses?

ÂGE D’OR, EST-CE POUR RIMER AVEC CORRIDOR? 1999, ANNéÉE DES AINÉS OU DES CONDAMNÉS? DES OUBLIÉS? Sur les 154 heures passées à l’urgence, mon père en aura vécu cinquante-six dans le corridor.
Aux personnes plus jeunes qui nécessitent une aide post-opératoire à la maison, on répond que l’on priorise les personnes âgées! Bullshit! Pardonnez ma vulgarité verbale, c’est plus fort que moi!

Vous prétendez gérer l’économie du pays en fonction des jeunes qui suivront. Comment peut-on prétendre au respect des jeunes si on ne respecte pas ceux qui les ont précédés, les aînés, nos parents?

Ne devons-nous pas nous questionner collectivement sur notre médecine? Quelle qualité de vie voulons-nous offrir à ceux qui souffrent?

Vous avez voulu ces responsabilités, monsieur Bouchard, eh bien, assumez-les et corrigez cette situation intolérable pour tous. Sinon, vous ferez rimer fin de siècle avec fin de règne.