Le dossier est clos, donc. Pour des raisons douanières, Bertrand Cantat ne pourra entrer au pays avant un bail. Ni pour venir à la pêche aux petits poissons des chenaux, ni pour monter sur la scène d'un théâtre.
Des raisons douanières. Je ne peux m'empêcher de trouver dommage que le débat soit rendu caduc pour ces raisons-là. Peu importe les annonces que fera Wajdi Mouawad au sujet du Cycle des femmes, quelques heures après la parution de cette chronique, nous n'aurons pas l'occasion de mener à terme cette réflexion devenue collective, chacun s'assoira sur ses positions, sûr d'avoir eu raison.
Au bout de ce tourbillon somme toute assez vain, je n'espère plus qu'une chose: que ceux qui s'obstinent à juger dorénavant infréquentable la musique de B.C. aient assez de suite dans les idées pour également fermer les yeux sur les toiles du Caravage; pour ne plus jamais ouvrir un recueil de Verlaine; pour ne plus écouter les chansons de Lennon, tant qu'à y être.
Le Caravage, qui a tué un homme en mai 1606; Verlaine, qui a tiré sur son amant Rimbaud en juillet 1873; Lennon, dont on sait qu'il avait parfois des accès de violence folle, qu'il a déjà frappé sa femme Cynthia et qu'il a déjà battu si sauvagement un type qu'il croyait lui-même l'avoir tué… (David Foenkinos raconte l'épisode dans Lennon, paru il y a quelques mois.)
Imagine all the people
Living life in peace
You hou, hou ou ou…
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Au bout de ce tourbillon, je retiens surtout quelques réactions périphériques. Celle de Mohamed Lotfi, par exemple, que nous publions cette semaine dans notre espace jepenseque.voir.ca.
L'animateur de l'émission Souverains anonymes, conçue pour et avec les détenus de la prison de Bordeaux, nous parle entre autres du principe de base qu'il observe: "Je n'ai jamais voulu connaître les crimes des détenus qui participent à mon émission. Au début, c'était pour me protéger de moi-même, de mes préjugés. Aussi, n'étant pas criminologue ou psychologue, je ne voulais pas naviguer dans des eaux qui ne relèvent pas de mes compétences. Au fil des années, j'ai pris conscience à quel point ne pas demander à mes Souverains les raisons de leur incarcération cultivait, entre eux et moi, cette confiance indispensable à toute entreprise de réhabilitation."
Je trouve l'idée d'une grande élégance morale. Elle me rappelle d'ailleurs ma chère grand-mère, qui a pendant des années, parallèlement à sa charge de cours au cégep Bois-de-Boulogne, donné des cours d'histoire de l'art dans les prisons – ceux qui l'ont connue savent à quel point elle n'en avait pas le profil!
"Ce n'est pas à moi de les juger", m'avait-elle dit le jour où, tout jeune encore, j'avais capté qu'elle allait régulièrement rencontrer les "méchants".
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Tiens, toute cette histoire me donne envie de relire cette lettre étonnante, qui traîne quelque part sur mon bureau. Une lettre reçue fin mars de Philipsburg, Pennsylvanie:
Bonjour,
Je suis présentement incarcéré aux États-Unis dans une prison fédérale privée, destinée aux non-Américains. Nous sommes plusieurs Canadiens ici, dont plus de vingt personnes de la région de Montréal.
Malheureusement, nous avons peu de moyens d'avoir des nouvelles de notre région. Lorsque quelqu'un reçoit un journal de Montréal (c'est compliqué car, officiellement, nous ne pouvons pas recevoir de journaux de notre famille, seulement directement de l'éditeur), on se le prête à tour de rôle, précieusement. Cela n'arrive environ qu'une fois tous les deux mois.
Cela m'amène à vous demander s'il y aurait moyen de recevoir votre magazine ici. Beaucoup d'entre nous sont intéressés à savoir ce qui se passe au niveau culturel, mais également (aussi étrange que cela puisse paraître) à pouvoir lire des petites annonces, car plusieurs doivent se chercher un endroit où vivre (et travailler) à leur sortie.
Je vous remercie et vous prie d'accepter mes meilleures salutations,
Daniel Pelchat
Je ne sais pas vous, mais moi elle me bouleverse cette lettre.
Je vous parlais la semaine dernière des récents résultats PMB, selon lesquels le lectorat de Voir Montréal a fait un bond de 9 %. Étrangement, cette demande me fait autant plaisir que de savoir que 325 000 personnes nous sont fidèles jeudi après jeudi.
Le paquet est prêt, il partira sous peu pour la Pennsylvanie.
Et pour ceux que ça intéresse, Daniel Pelchat raconte sur son site l'histoire assez rocambolesque qui l'a mené dans les geôles de Philipsburg: www.danielpelchat.chatpel.com.
Je lui laisse d'ailleurs le mot de la fin, en vous souhaitant de savoir appliquer ces très sages paroles à vos vies d'hommes et de femmes libres: "Un prisonnier, qui n'est plus ici, m'a dit un jour que le paradis était à 100 pieds de l'autre côté de la clôture. Je lui ai dit de ne jamais l'oublier lorsqu'il serait à 1000 milles de l'autre côté. On oublie vite, lorsqu'on est à l'extérieur, que chacun des petits plaisirs de la vie est un privilège."
La liberté de B.Cantat n’est pas en cause c’est son retour rapide sur la scène qui est en cause surtout sur celle d’un théâtre dans une société occidentale qui ne se fait plus un faux devoir de refouler l’état de ressentiment qui est compris dans l’être humain. Le ressentiment maudit par les philosophes de la philosophie classique et redécouvert par la psychanalyse est expression d’un état post traumatique des victimes qu’il faut savoir reconnaître.
Comprendre le phénomène du traumatisme engendré par la violence est de type progressif et ne s’assimile pas aux conservatismes des Bush et Harper. Dans toute cette histoire, Cantat est libre suite à 4 ans de prison certains lui demandent de se faire discret. Certains pays sont plus répressifs sur le plan judiciaire, d’autres moins. M.Cantat est libre suite à un meurtre en 2003 pendant que pour un homicide volontaire celui de John Lennon, plus de trente ans plus tard, M.Chapman est toujours emprisonné.
Trente ans plus tard!
Nous sommes capables relativement de faire la part des choses. La réalité est complexe entre le trop peu ou trop plein de réhabilitation ou le trop plein ou le trop peu de répression.
http://www.gala.fr/l_actu/c_est_officiel/mark_david_chapman_reste_en_taule_209171
Ajoutant ceci suite au commentaire précédent. L’artiste dispose t-il d’un statut sacré dans la civilisation occidentale qui a brûlé tous ses dieux?
En rapport avec le degré de réhabilitation désiré par plusieurs qui se veut très favorable envers B.Cantat et en rapport avec le sort réservé à l’assassin de J.Lennon emprisonné depuis trente ans.
L’artiste maudit ou pas depuis Rimbaud, Baudelaire, Van gogh occupe une grande partie de nos coeurs et de nos sens.
Très bien. Si ce n’est que l’art ne doit pas devenir complètement mythique.
Plutôt étrange, cette chronique, où l’auteur se lamente du manque de débat au sujet de l’affaire Cantat mais s’empresse aussitôt d’écrire un texte ou le débat est tout aussi escamoté d’un ton convenu. mais il est vrai que toute l’affaire à des coté assez navrants. Je vais me mouiller. Tiens, elle est tiède…
C’est certain qu’il y a un pan complet de la société qui a une opinion sur le sujet pour des raisons strictement Pavloviennes. Ils n’ont jamais mis les pieds au theâtre, ignorent qui est Cantat et se contre-foutent de la démarche artistique de Mouawad. Mais voilà, la cloche a sonné et ils salivent. Le méchant a été condanné pour avoir fait mal à une femme, cela me suffit. Méchant Cantat! C’est assez primaire mais passons – car ils ont raison.
Avez-vous déjà été amuseur public? J’ai déjà fait la chose, il y un bail, dans les rues de Montréal, Paris et Amsterdam. Évidemment, c’était avant que cet exercice soit codifié et régimenté par des permis et comité de la Ville de Montréal… Après avoir attiré des gens, je faisais mes tours de mime et magie et passais le chapeau. Maintenant, la chose intéressante quand on se prête à cet exercice est que le feedback est immédiat; si les gens n’aiment pas, on le voit dans le chapeau. Car les gens donnent génreusement quand ils aiment, et pas du tout – et même s’éloignent assez rapidement, mais non sans avoir fait part clairement de leur désapprobation – si ils n’aiment pas. Car un amuseur public se doit d’être aimé – au delà de l’efficacité du numéro. Ce n’est pas le meilleur jongleur qui passe le mieux la rampe, ni le guitariste virtuose; c’est celui qui séduit. Le spectacle, c’est avant tout une séduction. Faut que les gens vous aiment.
Et Bertrand Cantat, on n’aime pas, ou plus, ou on a jamais aime, c’est selon. Il a fait une bêtise majeure et en paie le prix. Et cela même si il est réhabilité, même si il est repenti, même si des démons le torturent peut-être toutes les nuits… On ne l’aime pas, et on ne l’aimera plus. Il a perdu son abilité à être un amuseur public. Il pourrait être soudeur, avocat, jardinier ou podiatre… Mais les occupations qui requirent l’approbation d’un public, pour lui, c’est fini.
(D’autres clameront qu’il n’est pas un amuseur public, mais un artiste. Je leur reponds que, à mon avis, un artiste n’est qu’un amuseur public prétentieux – mais qu’il ne l’a pas réalisé.)
Les “artistes” revendiquent haut et fort le droit (le besoin?) d’aller au bout de leur passion, mais si cette passion est destructrice… elle ne trouvera qu’un auditoire limité. Et leur Art aussi. Et les agissements hors de leur démarche artistique – leur vie personelle – ont un solide impact sur leur succès commercial, surtout en cet ère de communication. Certains réussissent le pari d’inclure ces excès à leur “image”, tel Christian Mistral, mais le succès est plutôt mitigé dans son cas.
Et la réhabilitation?
En fait, la réalité est que la réhabilitation, c’est comme les éoliennes; tout le monde adore les grandes patentes écologiques nobles et propres mais personne ne les veux dans sa cour. Il y a un coté Not In My Back Yard qui est évident, quand on parle d’installer le pédophile fraîchement libéré dans la rue voisine. Le meurtre, on pardonne mal. Au moins, la réaction a le mérite d’être candide.
J’ai écouté Souverains Anonymes pendant plusieurs années, tout en me demandant si c’était vrai que tous les prisonniers étaient innocents et que nous étions les méchants juges à l’extérieur des murs.. Je me souviens même d’un ancien détenu qui m’avait vendu un couteau pour peler les patates la veille de Noël, et je dois dire qu’il m’avait bien eu avec son baratin, car l’objet en question ne valait pas un clou…
Vous m’avez dit que j’avais le droit d’être en désaccord avec vous et je n’en ai jamais douté. Mais même dans la lettre de Daniel Pelchat, il y a un élément de regret qui saute aux yeux. Si vous avez pris le temps de lire mon billet intitulé « Théâtre et peuple con », je dis que c’est avant le crime que le travail doit se faire. Des « erreurs de parcours » comme tuer une femme à coups de poing, laisse une marque indélébile et on a beau regretter et pleurer toute les larmes de son corps, rien ne pourra la ressusciter.
Doit-on pardonner plus facilement aux artistes parce qu’ils adoptent un mode de vie intense dans leur immense désir de création? Et qu’ils sont plus sujets à commettre des erreurs étant donné leur situation de vulnérabilité et de fragilité?
Peut-être que mon commentaire vous a semblé un peu « red neck », mais le pardon fait appel à un ensemble de circonstances et pas seulement à la compasssion. Je serais étonné de savoir si Wajdi Mouawad n’était pas conscient de la possibilité, que toute cette triste histoire amène autant d’inconfort et de questionnement, dans une société qui accepte mal une justice molle et permissive.
J’ai écouté l’entrevue de Wajdi Mouawad à 24 heures en 60 minutes.
Quelques premiers points de ses arguments qui me viennent en tête.
– il affirme qu’en ce qui concerne B.Cantat et son invitation pour le faire participer dans son projet de pièce, il faut distinguer entre justice et morale. Que son projet avec B.Cantat se légitime parce qu’il prend acte d’une peine de justice maintenant terminée que oui si l’acte d’homicide involontaire de Cantat est irréparable, il est juridiquement compatible maintenant avec une démarche de réhabilitation.
La question de la perception de l’acte criminel de B.Cantat se pose essentiellement en définitive sur le plan moral selon M.Mouawad et non plus sur le plan de la justice signifiant par là que l’opposition envers son projet théâtral du fait de la présence de Cantat au Québec repose sur des prises d’opinions légitimes mais ne reposerait de nos jours que sur la morale, une morale totalement subjective au 21ème siècle ne trouvant son articulation que dans une pluralité de points de vues perçus implicitement par W. Mouawad comme discutables donc questionnables.
-Mme Dussault demandant les réactions de l’auteur quant au mouvement de protestation populaire des Québécois suite à la présentation de son dernier projet théâtral. W.Mouawad a avancé que les problèmes identitaires des Québécois concernant notamment la difficulté de réaliser l’indépendance, que la division sociale et politique des Québécois pourrait lorsque des situations se manifestent enclencher un processus d’unité, de convergence populaire temporaire afin de réduire un incontournable désarroi populaire québécois. Thèse qu’il assume comme subjective de sa part, peut être frivole ou erronée qu’il considère néanmoins probablement.
– Sur l’objet de l’inclusion de B.Cantat dans le projet théâtral, il le défend comme un processus à travers Sophocle d’une démarche recherchée de réconciliation et non de pardon dans le cadre d’un individu artiste qui dans sa vie privée a bel et bien commis l’irréparable et qui se confronte à une tradition théâtrale d’exploration de la souffrance et de la violence. L’auteur insistant sur la condition du pardon qui ne serait reliée qu’aux proches de la victime.
J’ai résumé les points essentiels de cette entrevue sans trop de partialité.
Toute prise de position néanmoins y compris la mienne reste dans son caractère entier comme subjective à partir du moment que M.Mouawad ne travaille pas en science pure, dans le domaine de la théorie et de la pratique propre à la science.
Ainsi s’il défend une conception complètement distincte entre le domaine de la justice des lois et du point de vue moral. Rien n’interdit pour plusieurs autres intervenants de défendre une conception séparée de la réhabilitation d’un artiste qui a commis un homicide involontaire dans un cadre de violence conjugale sans l’inclure dans une confrontation de choc dans une rencontre avec le caractère littéraire, fictif de la tragédie grecque.
Sortir du cadre tragique, rituel, incantatoire mais fictif ou représentatif de la tragédie grecque pour l’investir dans une rencontre avec le vécu privé d’un artiste dont la vie a rencontré la tragédie peut être contesté perçu également comme discutable.
Quant au désarroi identitaire québécois qui enclencherait un processus de protestation populaire cherchant le bouc émissaire opportun ça me semble un peu court comme explication de la part de Wajdi Mouawad. Face à ce genre de tragédies meurtrières que la mort de Marie Trintignant rappelle, il y a chez toutes les victimes de la violence notamment physique des séquelles, du ressentiment, une affection psychologique qui laisse à ce point des traces que le théâtre ou la littérature ne peuvent seuls procurer de soins pour apaiser l’âme. L’art console l’âme mais pas à ce point depuis longtemps la pratique religieuse pour le meilleur et le pire et maintenant le soutien de thérapies ou de psychologues assure un suivi pour tous ceux qui ont subis la violence post traumatique.
L’objet d’une réconciliation? C’est quoi la différence entre la réconciliation et le pardon? Si le pardon est lié aux personnes privées. La réconciliation est une notion pour la société? Un processus de réhabilitation d’un artiste est porté sur une scène pour proposer une démarche sociale de réconciliation autour de la violence commise? Cela demanderait des éclaircissements.
Voici le lien audio vidéo. L’affaire a porté suffisamment pour créer de possibles réactions à la réaction de Wajdi Mouawad.
http://www.radio-canada.ca/emissions/24_heures_en_60_minutes/2010-2011/
@ Michel Asselin: Cher Monsieur Asselin, pour affirmer que j’escamote le débat dans une chronique « d’un ton convenu », sans doute n’aviez-vous pas lu ma chronique précédente, publiée une semaine plus tôt et dans laquelle je prenais, il me semble, clairement position:
http://www.voir.ca/blogs/tristan_malavoy-racine/archive/2011/04/06/vade-retro-bertrand-cantat.aspx
Cher Monsieur, j’ai en effet manqué votre chronique de la semaine précédente – alors mes excuses pour l’entrée en la matière de mon billet…
Pour ce qui est du reste, je persiste et signe. Les artistes sont, comme nous, humains et ils on le droit à la faute… mais nous, observateurs, sommes aussi humains. Le public n’est tout simplement pas prêt à l’entendre ou à pardonner.
(Je ne sais pas vraiment quoi penser de marketing provoc’ du TNM – des pros de la communications qui se devaient de connaître leur public. Qu’ils soient surpris de la réaction du public est, en soi, assez aberrant. D’un autre coté, si on voulait attirer l’attention sur la prochaîne saison du TNM, c’est passablement réussi.)
Mais pourquoi diable la présence de Monsieur Cantat serait aussi importante, dans cette oeuvre? N’est-il pas ici qu’un interprête? Après tout, il s’agissait des textes de Mouawad et non des siens. Son casting était-il primordial et essentiel… ou s’inscrivait-il justement dans un rôle de provocation?
On ne le saura sans doute jamais, à ce point-ci…
Les opinions de M.Mouawad envers les Québécois et leur condition identitaire sont t-elles l’expression d’un sentiment xénophobe envers sa patrie d’adoption? Une phrase qui fera scandale dans Voir sur le web et pourtant en dehors d’une proclamation de rectitude politique conditionnée, la question se pose. La souveraineté ne fait pas l’unanimité chez les Québécois dont ceux qui sont issus de plusieurs générations, le lien identité nationale- opposition à la présence de Cantat au TNM est donc plus que douteux.