Mots croisés

L’école de la rue

À la fin du VIIIe siècle, Charlemagne, roi des Francs et bientôt empereur d’Occident, a une idée qui fait sursauter tout le monde autour de lui: dorénavant, chaque monastère et chaque cathédrale abritera une école. Deux écoles en fait. L’école intérieure, réservée aux clercs et aux moines, et l’école extérieure, gratuite et ouverte à quiconque souhaite apprendre des prières, des psaumes, mais aussi la lecture et la grammaire.

Mieux: Charlemagne fonde également l’école dite «palatine», à même son palais. Une école d’un haut niveau académique, destinée d’abord aux enfants des seigneurs, mais où le monarque se plaît à accueillir des enfants pauvres.

On raconte qu’un jour, animé d’un souci décidément étonnant pour l’Europe du VIIIe siècle, Charlemagne fait passer un examen aux élèves, ceux de sang rouge comme de sang bleu. Les premiers, qui ont travaillé plus fort, obtiennent de bien meilleurs résultats. Le puissant homme les félicite, leur promet de belles situations s’ils persévèrent dans leurs études, et réprimande les autres, qui tiennent pour acquis leur rang dans l’organisation sociale de l’époque.

Sacré Charlemagne qui, s’il n’a pas inventé l’école, contrairement à une croyance un peu bête (des lieux d’enseignement existaient en Égypte 3000 ans av. J.-C.), a entrevu l’intérêt de la répandre et de l’ouvrir à tous.

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Je ne serai pas à la mode, je ne verserai pas dans la démagogie et les raisonnements de poubelle. Je ne soutiendrai pas que 11 siècles avant Charest, Beauchamp et Bachand, un guerrier médiéval avait développé une conception plus large que la leur du rôle de l’éducation dans une société. Mais je dirai une chose: ce débat ne date pas d’hier, il touche aux valeurs fondamentales d’une collectivité et ne peut être abordé comme n’importe quel dossier politique.

Devant l’argumentaire gouvernemental, difficile de croire que les hausses des frais de scolarité prévues au Québec sont le fruit d’une réflexion large. Prenons deux des principaux arguments.

1. Tout augmente, dans tous les domaines, il est naturel d’exiger aussi un effort des étudiants. S’il y a bien une chose qui n’augmente pas, c’est la capacité financière de ces étudiants, sans compter qu’avec 75% de hausse sur cinq ans, on est loin du taux d’indexation (2,66% cette année). C’est d’une explosion des frais que nous parlons.

On appelle ça une solution facile. Il y a un trou dans les coffres des collèges et universités, pigeons dans les poches, pourtant presque vides, des étudiants. «On le fait ailleurs, pourquoi pas ici?», comme si l’observation avait valeur d’argument. Comme si, surtout, il n’y avait pas matière à être fiers d’être différents sur ce plan.

2. Les étudiants moins nantis vont se détourner des études? Ben non, le régime des prêts et bourses prendra le relais. Fumisterie ministérielle. Ce qui est envisagé dans les faits, c’est de hausser le seuil de contribution parentale – salaire annuel au-delà duquel on considère que les parents doivent contribuer aux frais de scolarité – de 30 000$ à 35 000$. Ouh là, quel assouplissement. Et pour tous ceux en mesure de contribuer, la note sera proportionnelle aux hausses annoncées, représentant par exemple, en 2012-2013, plus de 5000$ pour une famille biparentale avec 60 000$ de revenus. (Au fait, saviez-vous que des étudiants dont les parents ne contribuent pas à la hauteur de ce que l’état leur demande peuvent, techniquement, les poursuivre?)

Demandez à une mère ou un père de famille monoparentale de Montréal gagnant 35 000$ par an combien il reste, une fois tous les comptes payés, pour les études collégiales et universitaires de ses enfants. Nul besoin de mener une recherche poussée pour conclure que plusieurs vont faire une croix sur les études, de plus en plus assimilées à un risque financier.

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Je m’arrête là. Le danger avec les réflexions comptables, c’est de n’y répondre que par des chiffres. Le débat actuel va beaucoup plus loin, c’en est un de valeurs, de vision politique.

Un citoyen instruit est socialement rentable, de toute évidence, mais il a surtout un avis éclairé sur une foule de sujets, son savoir guide chacun de ses choix et de ses gestes. À travers ces milliers de jeunes qui marchent dans la rue, je ne peux pas m’empêcher de voir, au-delà des légitimes préoccupations financières, une génération qui a soif de connaissances, d’équité, de renouveau.

Je ne peux pas m’empêcher d’être immensément fier de ce Québec de demain qui parle haut et fort, qui refuse la facture et surtout la vision qu’on tente de lui enfoncer dans la gueule. Apprendre, c’est aussi apprendre à interroger le monde et les structures sociales, c’est apprendre à dire non quand la situation le commande.

«La jeunesse est la seule génération raisonnable», disait Françoise Sagan. Et si elle avait raison?