Ça commence par une conversation amicale, en apparence inoffensive.
Il y a trois ou quatre ans que je n’ai pas croisé Jean Désy, écrivain, médecin et globe-trotter pour lequel j’ai, depuis une entrevue réalisée avec lui il y a une douzaine d’années, beaucoup d’affection et encore plus d’estime.
Jean fait partie des invités à une table ronde que j’anime le 23 avril, au lendemain de l’historique Jour de la Terre que nous venons de connaître, table ronde intitulée «Lis-moi ton Nord, je te lirai le mien». Nous sommes arrivés bien à l’avance lui et moi, alors nous parlons de tout et de rien, et surtout de l’électricité dont est chargé l’air du temps.
Les sujets de l’heure y passent. Plan Nord évidemment, grèves étudiantes. Puis nous interrogeons l’expression «Printemps québécois», que je trouve depuis le début plutôt déplacée étant donné la gravité de ce qu’évoque le «Printemps arabe», où étaient en jeu (et demeurent en jeu dans bien des pays) les notions fondamentales de démocratie et de liberté d’expression.
«Ici, on part de moins loin, quand même. On a notre mot à dire sur les grands enjeux.»
«En es-tu si sûr?» La question de Jean me surprend. Puis il se met à me raconter, lui dont la vie hautement romanesque l’a conduit à soigner les autochtones du Grand Nord autant que des membres de la mafia, en Russie, son expérience de régimes infiniment moins démocratiques, où règne l’opacité autour de la sphère politique. «Dans ces endroits-là, en un sens, on sait à quoi s’en tenir, on ne se fait pas d’illusions sur le pouvoir en place.»
Je ne voudrais pas être mal compris, Jean est un démocrate tout comme moi, mais il pointe quelque chose qui soudain m’apparaît crucial, symptomatique de notre société: nous avons beau vivre dans un état de droit, il y a quelque chose d’épuisant à ne pas voir clairement le visage de ce que nous combattons.
Une démocratie ensommeillée, comme la nôtre jusqu’à tout récemment, laisse libre cours à des forces qui font du système dont nous sommes si fiers un décor de carton-pâte, derrière lequel on brade allègrement les idéaux et les victoires d’hier.
La démocratie n’a rien d’un état immuable, elle est en péril à partir du moment où nous la tenons pour acquise.
/
Ma discussion avec Jean me donne envie de feuilleter un document posé sur mon bureau, une série de citations de l’écrivain et révolutionnaire Raoul Vaneigem, qu’un collègue m’a filé la semaine dernière en me disant: «Lis ça, c’est vraiment fort.» Avertissement aux écoliers et lycéens, ça s’appelle, un petit livre paru aux Mille et une nuits en 1995.
Voici quelques-unes de ces citations, souvent un peu radicales mais qui résonnent particulièrement dans le contexte actuel:
«L’entreprise scolaire n’a-t-elle pas obéi jusqu’à ce jour à une préoccupation dominante: améliorer les techniques de dressage afin que l’animal soit rentable?»
«Une école où la vie s’ennuie n’enseigne que la barbarie.»
«Désormais, chaque enfant, chaque adolescent, chaque adulte se trouve à la croisée d’un choix: s’épuiser dans un monde qu’épuise la logique d’une rentabilité à tout prix, ou créer sa propre vie en créant un environnement qui en assure la plénitude et l’harmonie. Car l’existence quotidienne ne se peut confondre plus longtemps avec cette survie adaptative à laquelle l’ont réduite les hommes qui produisent la marchandise et sont produits par elle.»
Pour ceux que le bougre intéresse, Vaneigem signe la préface du 2e tome de Subversions, des nouvelles publiées par le Bloc des auteurs-e-s anarchistes, à paraître le 3 mai.
Parcourir ces textes ne veut pas dire tout endosser, mais il y a quelque chose de bon à se frotter à d’autres pensées.
Le conflit étudiant a beau évoluer vers le dialogue, la boîte de Pandore est ouverte. Line Beauchamp et celui qui en tire les ficelles ont beau avoir extirpé la banane de leur oreille, certaines questions restent ouvertes, auxquelles nous ne répondrons pas avec des formules toutes faites.
/
Ces jours-ci, je suis d’accord au moins sur une chose avec les anarchistes: la grande main humaine formée de milliers de marcheurs, le 22 avril, aurait dû avoir les doigts repliés. Sauf celui du milieu.
J’ai connu Jean Désy comme prof à la faculté de Médecine. J’ai suivi son cours de littérature où on a discuté de la vie, en prenant comme base les livres à l’étude. Et je suis contente qu’il vous ait inspiré aussi. À mon sens, il est un grand sage.
« Ici, on part de moins loin, quand même. On a notre mot à dire sur les grands enjeux. »
En parlant de « Printemps québécois », on fait simplement allusion à une révolte (pacifique) qui se doit de prendre forme car, si on a notre mot à dire sur les grands enjeux, ils ne sont pas entendus. Le printemps est synonyme de renaissance, de résurrection, de nouveau départ … il prend donc, dans le contexte actuel, tout son sens.
À 51 ans, je n’en suis pas à ma première marche. Toutefois, le 22 avril dernier, c’était la première fois que je marchais dans une foule aussi immense, aussi intense malgré son calme. Des milliers de gens qui sentent, justement, leur démocratie en péril …
Note: j’ai écrit cette phrase, « Le conflit étudiant a beau évoluer vers le dialogue », hier en matinée, avant les événements que l’on sait. Nous mesurons maintenant à quel point l’ouverture ministérielle n’était qu’une opération de diversion.
Il y a trois ou quatre jours, je regardais à la télé (je ne sais plus trop à quel poste, peut-être «Savoir» ou «National Geographic»?) une émission traitant des univers parallèles que nous serions à côtoyer, sans nous en rendre compte, car ces univers parallèles se trouvent dans d’autres dimensions.
Une émission entrouvrant un peu la porte du côté de la physique quantique.
Or, selon la théorie quantique, il y aurait une infinité d’univers possibles. Et certains seraient, à quelques différences près, des copies quasi-conformes au nôtre. Et vous, moi, et tout le monde se retrouveraient également dans ces copies quasi-conformes. Sauf que untel qui serait chimiste ici serait, par contre, possiblement fermier ou politicien ou vedette, dans d’autres univers parallèles.
Et puis, tout ça m’a beaucoup rappelé la trilogie «Back to the Future» mettant en vedette Michael J. Fox. Comment quelques variantes peuvent modifier le comportement des mêmes individus.
Enfin, tout ça pour dire ceci: à voir ce qui se passe, et surtout ce qui se dit relativement au conflit étudiant, j’ai depuis un long moment la déplaisante impression de mettre réveillé dans un monde parallèle. Un monde cauchemardesque. Un monde où ce qu’il y a pourtant de plus évident passe souvent complètement inaperçu, ou au mieux est prestement balayé du revers de la main. Un monde déconnecté.
Tout d’abord, une grève/boycott pour tenter d’obliger les autres, soit l’ensemble de la société, à continuer à se taper 87% de la note universitaire ou, mieux encore, la totalité. Une grève/boycott stratégiquement lancée en privilégiant des votes à mains levées plutôt que des votes secrets démocratiques. Ensuite, le port de carrés rouges pour permettre de repérer immédiatement quiconque s’opposerait à la grève/boycott.
Une stratégie faisant en sorte qu’une minorité (vraisemblablement) empêche depuis tout près de trois mois une majorité d’étudiants d’aller à ses cours, et leur fera perdre session et emploi d’été ou projet de voyage.
À quelques reprises, la ministre Line Beauchamp a demandé que soient enfin tenus des scrutins secrets. Que tous les étudiants et étudiantes puissent enfin librement s’exprimer sans crainte de subir intimidation ou ostracisme (comme cela a été plusieurs fois rapporté, mais pas ici évidemment…). Sous divers prétextes, ou en disant laconiquement que des votes à mains levées leur convenaient parfaitement, les leaders des associations étudiantes ont rejeté l’idée de votes démocratiques. Maintenant du coup en otages tous ceux et celles qui étaient en désaccord avec la grève/boycott.
Au cours des deux derniers jours, pour qui ne l’aurait toujours pas décelée, la totale mauvaise foi démontrée à répétition par la CLASSE a atteint des sommets qui seront très difficiles à surpasser… En pleine trève convenue, sur son propre site la CLASSE annonce des manifestations. Avec de très édifiants «ostie de grosse manif» et «trève ridicule de la ministre Beauchamp» bien en évidence.
Ensuite, comme si ça ne suffisait pas comme non-respect d’un engagement donné (afin de permettre des discussions), voilà que la CLASSE se met à déchirer sa chemise sur la place publique. C’est la faute à la ministre! Nous, on ne le savait pas que notre site affichait – malgré la trève convenue – des manifestations imminentes. C’est pas nous…
Pendant combien de temps compte-t-on de la sorte nous prendre pour des imbéciles? À démontrer autant de mépris à l’égard de TOUS les étudiants et de TOUTE la société, pourtant si généreuse de se taper la très grosse part de la note de l’éducation et de bien davantage?
Je me suis réveillé dans un univers cauchemardesque où la démocratie est bafouée, où le bon sens a été jeté par la fenêtre, où les lendemains sont toujours plus menteurs et mesquins que les jours ayant précédés, et cela malgré que ces jours ayant précédés n’avaient rien de bien reluisant.
Mais peut-être qu’après tout, tout ça ne serait qu’un très mauvais rêve… Et que, d’un instant à l’autre, je vais enfin me réveiller dans mon véritable univers. Celui où la considération, l’équité sociale, le bon sens, la vérité et la justice ont encore la signification que ces notions avaient avant que je ne tombe en plein cauchemar.
Vivement que je m’éveille!
(D’autres ici qui seraient coincés dans ce même cauchemar? Courage. Le bout du tunnel va bien finir par se profiler à l’horizon!)
@claude
salut claude.
même affaire ici. moi aussi je cauchemarde.
des politiciens corrompus au service des donateurs de leur parti politique tentent d’imposer une nouvelle taxe à la classe moyenne qui aura pour effet de diminuer le niveau de connaissance de la société dans laquelle je vis. terrible, claude, terrible.
La CLASSE, en tant qu’institution réellement démocratique, n’a d’engagement QU’ENVERS SES MEMBRES, et ça inclut de donner tribune à l’annonce de manifs étudiantes qui ne sont pas sous sa responsabilité.
Si tu as une quelconque preuve d’un contrat qui aurait été signé entre la CLASSE et le Ministère, tu peux me le montrer, mais tout ce qu’on a vu jusqu’à présent de part de Mme. Beauchamp, ce sont des chèques en blanc et des insultes condescendantes en guise de « propositions ».
Dans L’Actualité, le journaliste Alec Castonguay signe un texte éclairant sur le rôle joué par les centrales syndicales dans la crise étudiante. On y apprend entre autres que :
— La CSN a versé 35 000 dollars à la FECQ, la FEUQ et la CLASSE depuis le début du conflit.
— Elle a payé la salle du Métropolis (5 000 dollars) pour un concert en appui au mouvement.
— Elle a nolisé des dizaines d’autobus en vue des rassemblements.
— La CSQ a dépensé 9 000 dollars pour construire le site Internet des étudiants contre la hausse et dépensé 7 000 dollars pour aider à combattre les injonctions obtenues par les étudiants opposés à la grève.
— La CSQ a payé la rédaction et la diffusion de communiqués de presse ainsi que deux envois massifs de journaux de grève aux étudiants.
— La FTQ a contribué pour 25 000 dollars à l’organisation de manifestations.
— Les syndicats paient pour la location des camions placés à la tête des manifestations, les porte-voix, les bâtons qui servent à tenir les pancartes, etc.
Le 22 avril a été non seulement une démonstration d’amour profond de cette terre malade ,mais aussi un rassemblement dénonciateur de tout ce qui est inéquitable envers une population exacerbée , par le manque flagrant de justice et de démocratie.
Le sentiment plus qu’évident de déstabilisation volontaire de l’éducation supérieur accessible à tous .Citoyens et citoyennes ,la prochaine élection sera notre délivrance.
En grand nombre nous y serons cette fois-ci .VIVE LA VRAI DÉMOCRATIE !!!!!
Mais, Tristan, dans la grande main humaine formée de marcheurs, les doigts étaient repliés sauf celui du milieu… C’était assez évident, où étais-tu donc ?
On a vu défiler ceux qui sont contre l’exploitation des gaz de schiste, ceux qui veulent un partage des profits de nos mines, ceux qui veulent une justice sociale, ceux qui veulent l’éducation au lieu de la collusion… les femmes de Sept-Iles, les grévistes d’Alma, les verts et le reste,et le reste…, les jeunes, les vieux et les vieilles…
Je suis bien d’accord, Lucille. Simple fantasme: il aurait été pas mal de joindre le geste à la parole!
Mais c’est une démocratie de carton-pâte! C’est pourquoi personne en dehors de la classe politique ne choisit qui siègera en assemblée, qui deviendra juge ou chef de police, ni n’aura la chance de voter ou abattre un projet de loi.
L’analogie de la Russie est appropriée, car la seule grande différence de la Russie avec le Canada, c’est que là-bas -comme dans les autres pays à culture orthodoxe- le gouvernement est assumé comme étant despotique et mafieux.
Alors qu’ici, voyez-vous, on se fait vendre des fantaisies permettant à la même sorte d’oligarches de rester au pouvoir, tout en camouflant leur colonisation d’Haïti, de l’Afghanistan et maintenant du Honduras, et y placer des dictatures meurtrières protégeant leurs intérêts.