Il était trop beau, cet été 2012. Météo de rêve, bonne humeur épidémique, lectures égrenées tranquillement au hasard des coins d’ombre… Trop beau, quoi. Nous voilà tous avec l’impression d’avoir été éjectés d’un hamac, forcés de remettre avant l’heure le nez dans les livres de comptes et les dossiers épineux.
Je vais faire ma part, bon citoyen que je suis. Durant les prochaines semaines, j’ouvrirai souvent des essais politiques et autres bouquins susceptibles d’aider notre boussole électorale à ne pas perdre le nord. Mais pas tout de suite. Permettez au lecteur ahuri de remonter dans son hamac, de faire la sourde oreille et de préférer la poésie des livres à celle des slogans.
Bon, j’en étais où avant que les libéraux ne rompent le charme? Ah oui, je terminais un vieux Mankell en format poche que mon père, fan absolu du Suédois, m’avait refilé.
PARENTHÈSE: Vous ne pouvez pas imaginer le bonheur qu’éprouve le chroniqueur littéraire en vacances à ouvrir un livre aux pages écornées, jaunies par les saisons. Lui qui passe l’année dans les odeurs d’encre fraîche et le papier immaculé, le voilà étrangement excité, habité d’une joie idiote, devant un roman amoché. Il doit y avoir là un lointain équivalent de l’école buissonnière.
Mankell, donc. Avant le gel, paru en 2002 (2005 pour la traduction française). Alors que tant d’écrivains ont écrit à l’époque leur livre post-11 septembre, référant directement aux attentats new-yorkais (Jonathan Safran Foer, Don DeLillo, Frédéric Beigbeder), le maestro du polar scandinave s’en inspire ici de loin, pour tisser une enquête qui révélera peu à peu les projets d’un petit groupe d’extrémistes religieux, chrétiens ceux-là.
Ça commence par de mystérieux sacrifices d’animaux – des cygnes qui flambent en plein vol, un taureau imbibé d’essence et lui aussi brûlé vif – puis, comme le redoutait le toujours intuitif commissaire Wallander, ça se dégrade rapidement. Aidé contre son gré par sa fille Linda, qui s’apprête à entrer à son tour dans la police, le fin limier d’Ystad réalisera bientôt qu’une lourde menace pèse sur sa péninsule comme sur l’ensemble de notre pauvre monde de pécheurs.
La morale de l’histoire est évidemment un peu convenue («un extrémisme ne vaut pas mieux qu’un autre»), mais puisque l’auteur nous la sert avec sa dégaine habituelle, son petit côté mi-grave, mi-nonchalant, on achète.
Parlant de Mankell, quelqu’un a lu son dernier, L’œil du léopard? Il est comment?
Un tigre dans le jardin
Je dois aussi quelques belles heures estivales à T.C. Boyle, qui parvient à rendre crédibles, étonnamment attachants, des personnages à côté de leurs pompes que vont venir secouer des circonstances exceptionnelles.
Dans ces nouvelles rassemblées sous le titre Histoires sans issue, on croisera tour à tour un chauffeur immobilisé sur une route californienne après un glissement de terrain, ce qui n’aurait pas été bien grave s’il n’avait eu dans son coffre, sur un lit de glace, un foie destiné à une transplantation imminente; une femme qui tombe nez à nez avec un tigre dans son jardin et qui, passé la surprise, fait le projet de le garder dans son garage à l’insu de tous; un petit Mexicain surnommé Sin Dolor parce qu’il ne ressent absolument pas la douleur, particularité dans laquelle son père verra vite une occasion d’affaires…
Ce qu’ils ont en commun? Ils sont tous vaguement désabusés mais n’ont pas renoncé au monde, il y aura des moments lumineux dans leurs boires et déboires. Pourquoi «boires»? Parce que plusieurs sont des éponges à alcool, l’écrivain américain décrivant avec science la dangereuse beauté de l’ivresse: «Il leur restait à peine un demi-verre chacun de leur seconde bouteille de vin, et le monde se révélait dans la plénitude de ses détails, les contours étaient plus définis, plus nets – comme s’il avait eu besoin de lunettes depuis des lustres et venait d’en chausser une paire.»
On finit par entendre une petite mécanique, par trouver un peu appuyée l’intention de créer l’inattendu, mais quelle patte, quel génie à croquer en quelques traits ses personnages et leurs névroses; à se moquer du genre humain tout en le serrant dans ses bras.
La palme de mon été, c’est pourtant à une BD que je la décerne. Les derniers corsaires, ça s’appelle, un album d’abord paru en 2006 et réédité il y a quelques mois par les éditions La Pastèque. On y suit la carrière chaotique du lieutenant Woolf, sous-marinier anglais durant la Deuxième Guerre mondiale, un ambitieux qui brûle de commander son propre bâtiment mais qui restera longtemps dans l’ombre de capitaines plus aguerris, d’autant plus qu’il a quelques gaffes majeures à son dossier – celle, entre autres, d’avoir fait perdre à la Royal Navy l’un de ses meilleurs sous-marins.
Jocelyn Houde (merveilleux dessinateur québécois disparu en 2007) et Marc Richard nous servent l’histoire en partie vraie d’un homme, donc, de sa déchéance et de sa rédemption, mais aussi l’Histoire avec un grand H des violents combats qui ont eu lieu sur et sous les eaux européennes, au début des années 1940. Un scénario impeccable, qui nous réserve une finale belle à pleurer, porté par un dessin à la fois précis et des plus stylés. De la BD de haut vol, en somme. Ou plutôt de grande profondeur.
Et vous, quels auteurs vous ont accompagnés dans le hamac?
Je retiens le titre « Les derniers corsaires » pour un cadeau à une personne qui table sur la force de l’histoire en bande dessinée.
Je ne suis pas encore sortie de mon hamac. Mes choix délinquants sont à venir, puisque je pars en Gaspésie dans 3 jours. Pas pour visiter (nous y allons chaque année), mais pour lire devant un vent frais et une mer froide pendant qu’il y en a un que je perds dans la ligne d’horizon, penché au-dessus de ses agates.
Mes titres délinquants n’auront pas les coins écornés, mais ne seront pas de première jeunesse. Je compte absolument lire « Les fous de Bassan d’Anne Hébert ». Je n’en reviens pas encore de ne pas avoir lu « Rouge, mère et fils », j’avais pourtant tellement hâte quand je l’ai reçu en cadeau l’été passé. Je lirai Marina Lewycka, Des Adhésifs dans le monde moderne, en ayant conscience de déroger à ma mission de mousser la littérature québécoise (alto : édition québécoise tout de même). La sensation de balancement dans le hamac vient surtout que personne attend que je termine ces livres.
Les vacances une parenthèse où je prends mes aises.
Oups…. « Rouge, mère et fils » de Suzanne Jacob.
Bonne idée Venise, mon petit doigt me dit que la personne en question aimera!