Ondes de choc

Préparez vos mouchoirs

"Les riches ne sont pas comme vous et moi."

– F. Scott Fitzgerald

Laissez-moi vous raconter la triste histoire d’une pauvre fille. (Je vous avertis: si vous avez l’émotion facile, tournez la page, car vous risquez de faire une crise.)

Elle s’appelle Jill Barad. Cette superbe Américaine de quarante-six ans est très versée dans le milieu des affaires. En 1981, elle a décroché un emploi chez Mattel, la firme qui fabrique les poupées Barbie, les autos Hot Wheels et les jeux Fisher-Price. Salaire annuel: 38 000 dollars US. Peu à peu, cette gérante des produits a grimpé les échelons, et est devenue big boss de la compagnie en janvier 1997.

Tout le monde avait les yeux tournés vers Barad. Elle était la businesswoman la plus puissante du pays, on lui promettait un avenir extraordinaire, digne d’une légende.

Malheureusement, quelques mois après que Jill Barad eut été nommée Chief executive officer, son étoile a commencé à pâlir. En avril 1998, les ventes de Barbies enregistraient une baisse de 16 %, le premier signe de déclin en cinq ans. Pire: au lieu de s’arrêter, la chute a continué. Lors du premier trimestre de 1999, Mattel a empoché un profit de 3,1 millions de dollars (ce qui est extrêmement modeste pour une entreprise de cette taille); et un an plus tard, la compagnie était dans le rouge de 171,2 millions de dollars.

Résultat: on a poussé Barad vers la porte de sortie. En février dernier, après avoir fait la une de tous les magazines d’affaires, la Barbie de la haute finance remettait sa démission au conseil d’administration de Mattel, s’excusant d’avoir fait baisser la valeur des actions de quarante sous.

Habituellement, quand un employé met sa compagnie dans l’embarras, on le fout dehors à coups de pieds dans le cul et l’on s’assure qu’il ne travaillera plus jamais. Mais voilà: Barad ne vivait pas dans le vrai monde. Elle évoluait dans les hautes sphères des grosses multinationales. Là-bas, les cadres fautifs ne sont pas renvoyés manu militari. Ils sont remerciés.

C’est ainsi que Barad s’est retrouvée avec une jolie fortune en poche. En effet, Mattel, l’entreprise qu’elle a poussée au bord de la faillite, a "acheté" son départ:

* En lui versant une prime de séparation de 26,4 millions de dollars (soit l’équivalent de cinq fois son salaire annuel, plus bonus).

* En remboursant une hypothèque de trois millions de dollars qu’elle avait contractée en 1994.

* En remboursant un emprunt de 4,2 millions qu’elle avait contracté en 1997.

* En payant toutes les taxes qu’elle devait au gouvernement (valeur: 3,31 millions).

* En payant son assurance-vie, son assurance-santé et ses abonnements à plusieurs clubs privés sélect (valeur: cinq millions).

* Et en lui versant 708 989 $ par année – et ce, jusqu’à sa mort.

De plus, pour ne pas passer pour des pingres, les membres du conseil d’administration de Mattel continueront de payer les gardes du corps de Madame, lui donneront tout son équipement de bureau, et lui vendront "à prix symbolique" son automobile de compagnie de même que toutes les oeuvres d’art qui garnissaient les murs de sa suite (dont une toile d’Andy Warhol valant plusieurs centaines de milliers de dollars).

Ah oui, j’oubliais: Barad a aussi une option d’achat sur 6 440 759 actions de Mattel.

Je vous l’avais dit: c’est une triste histoire.

De quoi faire pleurer de jalousie J. R. Shaw, pdg de Shaw Communications (salaire en 1999: 26,6 millions de dollars); Frank Stronach, pdg de Magna International (34,2 millions); Gerald Schwartz, pdg d’Onex (11 millions), et J. S. Hunkin, pdg de la CIBC (6,1 millions).

Serrez-vous la ceinture, qu’ils disaient. Les temps sont durs, nous devons tous faire des sacrifices.

Bien tiens…

***

Une petite note personnelle, en terminant.

Guy Paquet, le père de notre éditeur, Pierre, est mort des suites d’un cancer, la semaine dernière.

J’ai rencontré cet homme chaleureux à plusieurs reprises. Il avait le coeur sur la main, toujours le sourire aux lèvres, et toujours prêt à vous rendre service si vous en aviez besoin.

Il venait d’un milieu modeste, mais c’était ce que j’appelle un homme riche. L’héritage d’émotion qu’un tel homme laisse derrière lui est inestimable.

Nos plus sincères condoléances à son épouse, à ses trois enfants et à ses nombreux amis.