Ondes de choc

Se plaindre le ventre plein

Depuis quelques semaines, tout le monde me pose la même question: "Qu’est-ce que tu penses de la grève? Pourquoi tu ne t’es pas encore prononcé? Tout le monde a écrit sur le sujet, sauf toi. Qu’est-ce que tu attends pour prendre position?"

La réponse est toute simple: j’avais besoin de temps. Je voulais être sûr de bien comprendre tous les tenants et tous les aboutissants du conflit avant d’écrire la moindre ligne sur le sujet.

J’ai donc fait mes devoirs. J’ai lu toutes les chroniques, tous les éditoriaux, toutes les lettres ouvertes et tous les textes d’analyse traitant de la question.

Et aujourd’hui, je suis enfin capable de dire ce que j’en pense.

Ils se plaignent le ventre plein.

Voilà, c’est dit.

"Tu vas écrire ça?" m’a demandé un ami incrédule.

Oui, je vais écrire ça. Même si je risque de m’aliéner 90 % des lecteurs de Voir et de passer pour un vieux croûton de droite.

C’est pour ça qu’on me paie, non? Pour dire ce que je pense, pour dévoiler le fond de ma pensée, indépendamment des conséquences.

Hé bien, le fond de ma pensée, c’est ça.

J’ai l’intime conviction que les joueurs de hockey se plaignent le ventre plein. Moi, si j’avais leur salaire, j’arrêterais de pleurnicher, je lacerais mes patins et je sauterais sur la glace.

Comme l’écrivait un journaliste du Chicago Tribune au sujet de la grève qui a paralysé la NBA en 1998: "Regarder cette grève, c’est comme être témoin d’une collision entre deux limousines. Le passager de la première limousine se plaint d’avoir renversé son verre de Château Lafite Rothschild, alors que le passager de la seconde se plaint d’avoir égratigné sa Rolex."

Bref, on s’en fout.

Il n’y a rien de plus ennuyant que de voir des millionnaires jouer à celui qui est le plus pauvre…

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Quoi?

Ce n’est pas de cette grève que vous me parliez?

Mais sur quelle grève, alors, voulez-vous que j’écrive?

Ah, la grève des étudiants!!!! Mais il fallait le dire, les amis!

Quoique… Entre vous et moi, je me demande bien pourquoi vous voulez que j’écrive sur cette grève.

Ce qui est amusant, quand on est chroniqueur, c’est de brasser la cage, de prendre un sujet à rebrousse-poil, d’amener les lecteurs à questionner leurs certitudes et à voir la réalité sous un autre angle. Or, qu’est-ce que je peux dire de nouveau sur la grève étudiante?

Afin de sauver de l’argent, un gouvernement a décidé de sabrer dans l’éducation. Pire: il s’en est pris aux étudiants qui en ont le plus besoin…

Me semble que c’est clair, non? C’est une décision dégueulasse, que les jeunes ont parfaitement raison de dénoncer.

Qu’est-ce que vous voulez que j’écrive là-dessus? Il est où, l’angle?

Quoi? Vous me dites que cette grève est controversée, et que plusieurs personnes condamnent la réaction des étudiants?

Come on, vous me niaisez! Je ne vous crois pas…

Nous vivons une époque extraordinaire. Une commission d’enquête est en train de mettre au jour l’un des plus gros scandales de corruption de notre histoire, impliquant des millionnaires qui contournent joyeusement la loi pour engraisser leur portefeuille, et sur qui on varge? Sur les étudiants!

"Ils ont rien qu’à arrêter d’acheter des disques et d’aller voir des spectacles…"

Ça me fait penser à ce qu’on dit sur les assistés sociaux. "Ils ont rien qu’à arrêter de fumer et de manger des chips…"

C’est fou comme on doit être vertueux quand on est au bas de l’échelle sociale! Quand t’es assis tout en haut, pas de problème, tu peux avoir tous les vices possibles et impossibles. Mais quand t’es en bas, tu dois être plus catholique que le pape. Pas fumer, pas sortir, rester de glace devant le matraquage publicitaire qui t’incite à (sur)consommer, jamais te fâcher. Un vrai petit ange!

Si les coupures du gouvernement Charest pénalisaient les étudiants riches, pas de problème. Mais elles pénalisent justement ceux qui ont le plus besoin de l’aide de l’État.

Et vous dites qu’il y a encore des gens qui se demandent si cette grève est justifiée ou pas?

Wow.

On vit vraiment une époque formidable.