Je ferai ici l’hypothèse, que je pense raisonnable, que la majorité des résolutions prises en début d’année ne sont pas tenues.
Pourquoi en est-il ainsi? Nul doute que des psychologues ont de bonnes explications à proposer pour l’expliquer. Mais je voudrais suggérer ici quelques pistes d’explication que des philosophes mettraient volontiers de l’avant et qui, elles aussi, méritent réflexion. Qui sait? Elles aideront peut-être quelques personnes à mieux prendre, et surtout à mieux tenir, leurs résolutions…
Les Anciens utilisaient le mot akrasia pour désigner cette faiblesse de la volonté par quoi A et B étant des actions possibles (fumer ou ne pas fumer, par exemple) et sachant B préférable, je fais quand même A.
Pour Socrate, si cela se produit, c’est que la personne qui fait ce choix ne sait pas vraiment que B est préférable. «Nul ne fait le mal volontairement», soutient-il, et si quelqu’un choisit A, c’est par ignorance. Plausible? À vous de voir. Mais voilà en tout cas une vision bien intellectualiste de l’action et de la moralité, et les penseurs ultérieurs, à commencer par Aristote, feront valoir que si on peut en effet choisir A, c’est parce que notre vie morale n’est pas exclusivement intellectuelle: on cède parfois à des désirs, à des pulsions, à des envies qu’il faut, le cas échéant, apprendre à dominer. Vous voulez cesser de fumer? Il vous faut alors ces vertus morales que sont la résolution, le courage, etc., et pour les acquérir, il vous faut longuement, patiemment les pratiquer, idéalement dès l’enfance, afin qu’elles deviennent en vous, par l’habitude, une seconde nature.
Ce n’est pas le fait de prendre une fois l’an la résolution d’être non fumeur, économe ou ce que vous voudrez qui vous rendra tel, mais la pratique dans la durée des vertus que cela présuppose. Une hirondelle ne fait pas plus le printemps (le mot est d’Aristote) qu’une simple résolution ne fait une personne vertueuse.
Mais il est vrai qu’il faut vouloir ce dont on prend la résolution. Et ici, la réflexion d’un bon vieux rationaliste classique comme Alain est éclairante. C’est sur ce vouloir qu’on se trompe, explique-t-il. Vous voulez arrêter de fumer sans le vouloir vraiment. Vous le voulez comme nombre de gens veulent écrire un roman, obtenir un diplôme, devenir leur propre patron, etc. C’est que ces vouloirs-là sont de simples désirs et que «désir est paresseux».
Vouloir, vouloir vraiment, c’est autre chose, écrit Alain: c’est vouloir aussi ce qu’on ne veut pas. Vous désirez peut-être arrêter de fumer, mais vous ne le voulez pas vraiment tant que vous ne voulez pas aussi ce qui vient avec ce désir qui, autrement, reste un embryonnaire vœu pieux.
Ce qui doit accompagner ce désir pour le transformer en résolution, c’est de vouloir aussi ce qui vient avec lui s’il est sincère: la souffrance, le manque, la douleur, choses qu’on ne veut pas facilement. Assurez-vous donc de vraiment vouloir avant de prendre une résolution, dirait Alain.
Mais, parvenu à ce point, Sartre pense de son côté que la situation est un peu plus complexe en raison de certaines fascinantes caractéristiques de la conscience humaine. Voyons cela pour finir.
Sartre a défendu l’idée que nous sommes toujours et tout le temps libres: nous choisissons, non certes nos circonstances, mais ce que nous faisons d’elles. Je n’ai pas choisi d’être en cellule, torturé par des criminels: mais je choisis ce que je ferai de et dans cette situation. Serai-je lâche ou courageux? Vais-je parler ou préférer mourir plutôt que de trahir mes camarades? Je dois choisir, c’est là mon sort. Je peux choisir de ne pas choisir: mais c’est encore choisir.
Or, Sartre fait remarquer que notre conscience est ainsi faite qu’elle est capable de se donner la douce et rassurante illusion qu’on n’a pas eu le choix. Ce faisant, on se ment à soi-même en se faisant croire qu’on n’a pas le choix et qu’on est sincère, tout cela dans un fascinant jeu de duplicité intérieure par quoi on se refuse à affronter cet effrayant gouffre de la liberté. On se donne ainsi l’illusion que nous sommes comme ces objets du monde, déterminés par leurs circonstances et soumis au déterminisme. Ce ballet intérieur est subtil et complexe. Mais il est bien réel. Ceux qui le pratiquent, les adeptes de ce qu’il nomme la mauvaise foi, sont appelés par Sartre des salauds.
Revenons à votre résolution non tenue. Se pourrait-il que vous ayez dansé ce ballet de la mauvaise foi en la prenant, que vous vous soyez menti à vous-même? Et peut-être le danserez-vous encore en renonçant plus tard à votre résolution: «Je n’en pouvais plus; c’était plus fort que moi; je n’avais pas le choix.»
Bonnes résolutions. Et une très heureuse année.
Let’s hope it’s a good one / without any fear (J. Lennon)
N’oublions pas Ovide et son fameux « video meliora proboque, deteriora sequor. » soit l’idée que l’intelligence de l’homme lui montre le droit chemin de la vérité mais que sa faiblesse et la recherche du plaisir l’entrainent vers le mal.
Ah les grands anciens :)
Suis toujours impressionné par tout de que tu sais, Marie.
Que nenni, il me reste fort heureusement encore beaucoup à connaitre! Mais merci!
Et pour continuer sur le sujet, très beau passage d’un cantique de Racine:
« Je veux et n’accomplis jamais,
Je veux, mais ô misère extrême,
Je ne fais pas le bien que j’aime,
Et je fais le mal que je hais »
C’est dire si l’Humanité s’est de tout temps interrogée sur la nature du mal et les raisons de le commettre.
Pourquoi vous ne parlez jamais de Freud, M. Baillargeon? J’espère que vous ne rangez pas sa méthode dans la catégorie des pseudo-sciences!
Dans ce cas aussi, la psychanalyse pourrait expliquer pourquoi il y a une si grande distance entre le vouloir et le fait accompli. La volonté est supposée être une faculté supérieure de l’homme, mais c’est moins sûr quand on réalise que parfois le côté rationnel et conscient n’est pas suffisant pour entreprendre une action. Je décide d’arrêter de fumer, je prends cette décision consciente avec toute mon autonomie de personne, mais je ne réussirai à vraiment arrêter que si et seulement si, mon inconscient (le « ça ») en a ainsi décidé.
Je sais, c’est pas très beau à lire, la notion de liberté prend un coup, mais c’est comme ça. Le « maitre chez nous » n’est même pas vrai dans notre propre esprit (pour ceux qui diront que Freud à été totalement réévalué, je répondrais qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent).
Il me semble que ce n’est pas ce que Freud dit. La santé mentale réside un peu dans l’habileté du Moi à être le maître.
Il me semble que ce n’est pas ce que Freud dit. Selon lui, la santé mentale réside beaucoup dans la faculté du Moi à être ce maître chez soi.
Non Hugues, je ne parle pas pas de santé mentale mais simplement des motivations de nos actions. Rarement nos décisions sont purement rationelles, presque toujours il y a un facteur inconscient qui commande nos décicions et nos resolutions. De nos jours on préfère parler d’intuition, ça fait plus chic, on repugne à parler d’inconscient.
Dans l’acte de fumer il y a une dependance physique, aussi psychologique mais surtout c’est un besoin inconscient qui se réalise. Freud parlait de sa propre addiction : « j’ai complètement renoncé à fumer, alors que pendant 50 ans cela m’a servi de protection et d’arme dans la lutte pour la vie (…). Les arguments pour fumer servent à cacher des manques, le tabac est un substitut, un produit de remplacement qui « protége » le fumeur ».
Excusez-moi de revenir sur ça, vous connaissez certainement les « offenses » à l’égo, les blessures narcissiques selon Freud : l’offense cosmologique (la Terre n’est pas au centre de l’Univers), l’offense biologique (l’humanité descend de l’animal) et l’offense psychologique : il existe en chacun de nous des processus psychologiques qui nous échappent. Freud le dit mieux que moi : « le Moi n’est pas maitre dans sa propre maison » (j’ajouterias l’offense relativiste (aucun point de vue n’est supérieur à un autre) et l’offense quantique (un pan de la réalité est inaccessible à la raison humaine)).
Permettez-moi ED
L’offense existentielle (réflexion sur Les chaises de Ionesco):
Toute votre vie vous cherchez un sens auquel raccrocher votre existence. Vous l’inventez, vous le fabulez, vous le remplacez tous les 10 ans, et de causes en projets le temps passe et c’est votre mort qu’il faut encore encenser pour convaincre des chaises vides que votre présence parmi elles ne fût pas inutile.
Très intéressant de revenir sur ce problème par la philosophie… car il est vrai, dans mon cas, que j’aurais plutôt cherché à y répondre par la psychologie ou même la psychanalyse comme le mentionne ED.
Je pense que selon les situations l’une ou l’autre de ces réponses peut être adéquate. Sans compter que nous procédons toujours à une relecture, une évaluation ex-post de nos actions qu’il s’agisse d’une réussite ou d’un échec.
Par exemple, lorsque j’ai arrêté de fumer il y a 12 ans. J’y suis arrivé en comprenant le sacrifice que ça implique dans le temps long d’une vie. Alors, l’argumentation d’Alain me semblait probable…
Mais, quand je pense à de nombreuses réévaluations de l’échec de mes résolutions, je dois admettre que les « chorégraphies » du ballet de ma conscience pouvaient être assez tordues! Sartre devait parler de par son expérience…
Au départ établir une distinction entre désir, besoin et manque pourrait être utile à faire dans une philosophie de la conscience dont son horizon serait la liberté. Pour prendre une résolution un minimum de liberté de choix est nécessaire !
La psychanalyse peut enrichir la compréhension de ce qu’est le désir. Elle demeure tout de même dans la tradition de la parole, d’une parole maïeutique avec son horizon de se connaitre soi-même qui suppose une prise de conscience de soi et une liberté d’agir.
Est-ce que la philosophie peut nous apprendre quelque chose sur l’addiction quand un corps étranger comme la nicotine prend possession de nous-mêmes et provoque un manque jusqu’à des symptômes physique ? Ce n’est pas un hasard qu’on nous propose des timbres de nicotine pour déjouer cette addiction par petit dose !
La conscience et même l’inconscient se fait jouer le facteur de vérité qu’est le timbre de nicotine !
Ma Résolution, c’est de faire une équipe de Quidditch, c’est déjà commencer!
Moi, j’aime bien les mises en situation où l’on place un public – lecteur ou autre – devant ce qui paraît inextricable. Comme d’avoir à tenir ses bonnes résolutions année après année. Et de se retrouver immanquablement à la case départ au mois de janvier suivant. Relativement aux mêmes résolutions…
Il y a pourtant une solution tout simple et formidablement efficace pour éviter de faillir. Ce que je fais avec un succès qui ne se dément pas depuis des décennies déjà. Quoi donc? J’évite de prendre des résolutions.
Ah… en voilà une approche bien boiteuse, faussement gagnante, ferez-vous valoir. Vous trouvez?
Que je vous explique un peu la chose, donc. L’idée même de résolutions devant être tenues évoque un malaise. Elle suppose contrariétés et inconforts, et une lutte sans merci à des habitudes depuis longtemps bien ancrées. En pratique, on a ici affaire à une cause perdue d’avance.
Et si vous voulez vraiment passer à autre chose, peu importe quoi, que faire alors? Eh bien, tout simplement passer à autre chose! Sans en faire tout un plat. Vous voulez cesser de fumer? Terminez ce paquet contenant encore quelques cigarettes et n’en rachetez plus. Oui… mais… Non. Pas de oui… mais…
Ça marche à merveille. Beaucoup plus sûrement que si vous officialisez indûment l’affaire, vous embarquant dans un «combat» contre le tabac. Cessez de fumer, point. Nul besoin de ces béquilles vendues en pharmacies (à gros prix). Évitez de transformer ce que vous comptez faire en défi. Du coup, vous aurez réussi.
Oubliez donc cette habitude déficiente consistant à prendre de bonnes résolutions en début d’année. Car c’est là la formule assurée pour échouer. Prenez plutôt une seule bonne résolution, peu importe quel jour indiquera le calendrier, soit de ne jamais prendre d’autres résolutions que celle-là.
Trop beau pour être vrai?
Non. Pas trop beau. Tout simplement vrai.
claude. détenteur de la vérité vraie. merci claude.
Nous sommes libres par nature en ce sens que personne ne nous dicte nos choix (surtout depuis que Dieu est mort). Par contre, nous sommes soumis aux aléas de la vie, et sur ce, nul n’a d’emprise. Alors, dire que nous sommes libres quand on n’a pas choisi d’être soumis à l’emprisonnement ou la torture m’apparaît bien mince comme concept de la liberté. Je connais aussi une sorte de salaud qui, sans jamais avoir connu de véritables épreuves, se permet de juger de la vie de l’un ou de l’autre. L’Amérique a adopté ce mythe de l’homme qui se construit lui-même. Quand tout va bien, l’homme se vante d’être l’unique artisan de son bonheur. Quand ça vire au vinaigre c’est la faute au monde entier.
La réalité m’apparaît beaucoup plus complexe, elle dépasse l’entendement. Et l’homme, dans sa quête de bonheur, provoque bien souvent sa déchéance, ayant peine à discerner ce qui est bon pour lui. Car le rationnel n’est pas source de vie et de plénitude.
C’est vrai que la définition de Sartes semble un brin rigoriste.Tout le monde ne peut pas prétendre au statut de héros en premier lieu parce que tout le monde n’est pas doté de la même personnalité, du même système de valeur ou du même vécu. J’ai été moi même assez choqué par cette vision manichéiste des choses qu’il faut sans doute ramener au contexte de l’auteur (oh ironie).
Des sociologues comme Bourdieu ont depuis longtemps fait voler en éclat le mythe voulant que tout est toujours question de choix et qu’il y aurait partout deux catégories d’individus que seul le mérite sépare. On peut trouver d’excellentes explications et un bon résumé de la chose ici: http://jeanneemard.wordpress.com/2012/11/13/le-reve-americain/
Prétendre que l’humain est déconnecté de son contexte et a toujours le choix est parfaitement ridicule. Cependant, Sartre voulait probablement dénoncer ceux qui se réfugient faussement derrière cette réalité pour justifier des actes innommables. Rien n’est jamais simple, en somme.
Merci Marie pour ce lien fort pertinent. Les mythes sont utiles en ce sens qu’ils révèlent nos rêves et nos aspirations. Faut bien comprendre qu’il s’agit de mythe. Obama invite le peuple à travailler dur pour réaliser cette utopie (au profit des classes riches, bien sûr). Quand le mythe se change en carotte qui nous pend au bout du nez pour nous faire avancer, il faut cesser de faire l’âne.
Ce mythe est aujourd’hui un archaïsme issu du temps des colonies britanniques dans lesquelles à peu près toutes autres nationalités étaient réduites à la servitude ou l’esclavage. Ce mythe fondateur se retourne aujourd’hui contre le peuple comme ce droit constitutionnel du port d’arme. La désuétude n’est jamais bonne conseillère.
Bien sûr, on peut pardonner à Sartre sa mauvaise démonstration. Et vous avez sans doute raison sur le fait que cet homme pour le moins exceptionnel devait être passablement irrité de voir des gens plier sous le poids de la volonté de Dieu dans une France encore très Catho.
Je lis avec plaisir ces chroniques toujours pertinentes et, qui plus est, nous apprennent beaucoup. Par exemple, l’année 2012 en philosophie qui est un véritable bijour en plus de retracer les grands courants philosophique (en résumé, entendons-nous). Réussir dans une même chronique à nous dire ce qu’est la folie et à résumé la pensée obsolète du FMI, il faut le faire! Merci Norman Baillargeon pour tant de perspicacité!
Merci des bons mots.