Théologie Médiatique

Grève étudiante et médias sociaux

Le 24 avril dernier, par le biais d’une chronique publiée dans les actualités du Conseil de presse du Québec, Fabienne Vinet proposait un Regard de la presse sur la grève étudiante, tentant ainsi de dresser un bilan de la couverture médiatique du conflit.

Invité à se prononcer sur cette question, Jean-Jacques Stréliski affirmait: «Les étudiants ont court-circuité les médias traditionnels par le système des réseaux sociaux, que de grands groupes comme Quebecor contrôlent très mal. Les étudiants ont donc fait un travail admirable parce que malgré que le plus pesant des joueurs de l’information soit contre eux, ils sont arrivés à gagner la bataille de l’image et de l’information.»

Ce constat est indéniable et repose sur une sorte de démographie numérique. J’ai utilisé pour ma part, par le passé, le terme «cyberboom» pour englober ce phénomène. L’idée est assez simple: si les baby-boomers étaient – et sont toujours – plus nombreux, assez pour peser plus lourd dans la balance de l’opinion publique, les jeunes d’aujourd’hui occupent quant à eux une plus grande place au sein du cyberespace, ils possèdent et maîtrisent les outils de communication et commencent à occuper des postes stratégiques dans des entreprises médiatiques ou développent des médias alternatifs qui ont une influence certaine. On n’a qu’à penser à l’excellent travail fait sur le terrain par CUTV, la webtélévision des étudiants de Concordia, lors des récentes manifestations.

Je vois habituellement d’un assez bon œil une telle occupation de l’espace numérique par une jeunesse soucieuse de se faire entendre alors que, inexorablement, la voix des sondages de masse jouera le plus souvent contre elle, démographie oblige.

Toutefois, si on peut difficilement contester que les jeunes – et, donc, les étudiants – parviennent à gagner quelques parcelles de terrain inoccupées par les médias de masse tout en effectuant de bonnes percées au sein des bulletins de nouvelles, il y a de quoi s’interroger sur les résultats obtenus quant à la qualité du débat public. Certes, nous avons maintenant des moyens alternatifs de communication, mais peut-on en déduire que nous obtenons ainsi un débat public renouvelé, voire enrichi?

Rien n’est moins sûr.

Il semble que dans bien des cas, on mette plus d’énergie à singer l’ennemi qu’à développer une réflexion et une information bonifiées. Les dénonciations en règle de ceux qui osent déroger au port du carré rouge, par le biais de photomontages pas toujours réussis et de hauts cris rarement convaincants, partagés et repartagés, répondent le plus souvent, comme un miroir, aux sottises sur les étudiants proférées par le maire Gendron à la télévision. Il ne faut pas chercher bien longtemps pour découvrir, dans les médias sociaux, des apôtres du martinisme, nouvelle école de pensée selon laquelle il faut tirer sur tout et le plus vite possible sans réfléchir. Il suffit de voir comment on traite ceux qui s’aventurent à demander des injonctions pour contester la suspension des cours – ce qui est leur droit le plus strict –, l’argument ad hominem n’étant plus désormais un moyen, mais une fin en soi. Arielle Grenier, par exemple, cette étudiante «verte» qui a fait la manchette notamment lors de son passage à Tout le monde en parle, est vite devenue la tête de Turc. C’est une conne et c’est tout. Même la couleur de ses cheveux a pu, pour certains, servir d’argument. Plus inquiétant encore, des personnalités plus connues, assez promptes en temps normal à en appeler à la pensée critique et assez fières de leur prose qu’elles proclament originale, ont vite trouvé leur place dans ce concert d’insultes joué à l’unisson, criant chaque fois à l’antidémocratisme et à la bêtise. Rien de moins, mais surtout rien de plus.

On a trouvé peu d’espace et de temps, dans cette foire d’empoigne sous le chapiteau des médias sociaux, pour discuter du droit d’association – qui inclut sans aucun doute le droit de non-association – et du sens du mot «démocratie» au sein duquel «démo» ne signifie pas «majorité» et encore moins «sondage favorable»… Mieux encore, il semble même que le fond du débat et les choix de société inhérents à l’éducation aient été complètement ensevelis par une partie de ping-pong de spins et d’évidences éclatantes.

Se pourrait-il que face au bruit incessant des médias de masse, où se succèdent des bribes de pensées en clips et des commentaires à la va-comme-je-te-pousse-jusqu’à-la-météo, nous n’ayons rien trouvé d’autre comme solution de rechange que de tenter de crier plus fort? Se pourrait-il qu’alors que les puissants outils informatiques mis à notre disposition devraient faciliter la tenue d’un débat «citoyen», nous en soyons réduits à reproduire individuellement le même jaunisme que nous dénoncions quelques clics plus tôt?

Posons la question en clair: si les médias de masse sont devenus des appareils idéologiques d’État – critique chère à la gauche dans la seconde moitié du 20e siècle –, se peut-il que les médias sociaux deviennent lentement, peu à peu, des appareils idéologiques personnels?

Cette question est loin d’être banale. Dans la même chronique citée ci-haut, Dominique Payette, professeure et auteure du récent rapport sur l’avenir de l’information au Québec, affirmait, en remettant en question l’objectivité des médias dans le conflit étudiant, qu’il est «extrêmement difficile pour un citoyen de se construire une vision critique d’un débat polarisé parce qu’à moins d’être un journaliste, on lit généralement un seul média, celui qu’on aime».

Celui qu’on aime… L’idée est lancée et, assez curieusement, elle englobe l’essentiel des liens dans les médias sociaux. Il ne s’agit plus de s’intéresser à un média, une firme, un mouvement ou une personnalité… Il est désormais question d’aimer! Tout le réseau où circule l’information à l’ère des nouveaux médias repose sur des liens «amoureux». Le problème pointé par Dominique Payette, qui concerne le rapport du lecteur avec son média favori, se trouverait ainsi, peut-être, reproduit à grande échelle… On lit certes plusieurs personnes, plusieurs canaux, mais toujours ceux qu’on aime. Nous avons peut-être diversifié les sources, créant ainsi un sentiment de voix alternatives, mais ce faisant, il est loin d’être acquis que nous ayons créé un climat favorable au discernement et à la critique.

Il semble que pour quelque temps encore, dans le feu de l’action, nous soyons d’une certaine manière condamnés à ne pas réfléchir. C’est de bonne guerre. Nous sommes encore, sans doute, assourdis par le bruit médiatique auquel il faut répondre au jour le jour par tous les moyens possibles. C’est le même genre de technique qu’utilisent les policiers pour disperser les foules… Le bruit, le plus fort possible. Espérons qu’à terme, alors qu’il sera plus facile de prendre une certaine distance critique, nous serons à même de briser les maillons du réseau qui, loin de permettre une réelle réflexion sociale, ne font que refermer les cercles restreints des amours virtuelles.