Théologie Médiatique

François Legault en 140 caractères

Il paraît que François Legault, à l’approche de la campagne électorale, est très présent sur Twitter et sur les médias sociaux. Au grand plaisir de certains partisans d’ailleurs qui y voient une réaffirmation de son souhait maintes fois répété de «faire de la politique autrement» et de représenter une solution de rechange face aux vieux partis. C’est en tout cas ce que Mario Asselin, candidat dans Taschereau pour la CAQ, écrivait cette semaine: «À titre de consultant dans cet univers du Web participatif, je me réjouis fortement de l’arrivée d’un politicien de gros calibre derrière le clavier, en conversation directe avec les citoyens.» Il terminait cette missive en vantant l’audace de son chef et son «désir de faire de la politique autrement».

Je dois vous avouer que je suis aussi très content. Non pas pour cette fameuse «politique autrement», une expression tellement usée qu’elle ne signifie plus rien. Je ne sais pas pour vous, mais j’ai la vague impression que de simplement la brandir, c’est déjà un peu faire de la politique comme tout le monde.

Mais bon, je m’égare. Je vous disais que je suis aussi ravi que François Legault soit sur Twitter car mon rythme de vie ne me permet guère de fréquenter les soupers spaghettis et les diverses activités où il ira, comme ses adversaires, serrer des mains en compagnie de ses candidats tout souriants de se faire prendre en photo et d’avoir pu ramasser une somme d’argent suffisante pour confirmer leur potentiel politique.

Un résumé en 140 caractères me sied donc tout à fait. De toute façon, il s’agit essentiellement du même comportement. On a simplement troqué la louche, la sauce, les pâtes et les assiettes en styromousse contre un téléphone intelligent. C’est plus propre, plus jeune, mais c’est la même bonne vieille recette.

Le plus amusant, c’est qu’il s’en trouve pour s’imaginer que la participation du politicien à la grande «conversation directe avec les citoyens» serait en quelque sorte un anticorps efficace contre l’idéologie des relations publiques qui produit depuis tant d’années des discours formatés et dépourvus de toute profondeur. Nous aurions enfin trouvé un remède contre la langue de bois.

C’est pourtant loin d’être le cas. On a simplement troqué cette idéologie contre une autre, celle de la médiasocialisation.

La médiasocialisation est plus insidieuse pour deux raisons fondamentales.

D’une part, elle donne l’impression que la seule utilisation de la technologie est garante d’une certaine valeur ajoutée. On ne cesse d’évaluer la simple «présence» sur les médias sociaux, qui se suffit à elle-même pour engager comme par magie les notions de dialogue et de transparence. Des sympathisants caquistes se vantaient cette semaine à qui mieux mieux de voir leur chef être le premier à tweeter en campagne, comme si cela pouvait signifier quelque chose de mieux que d’être le premier à servir des hot-dogs dans un souper du club Optimiste ou à crier des lettres et des chiffres dans un bingo de paroisse.

D’autre part, et c’est plus grave encore, l’idéologie de la médiasocialisation, parce qu’elle ne semble justement impliquer qu’une simple utilisation d’outils informatiques, se dissimule comme idéologie. Elle se camoufle dans une certaine aura de neutralité technologique. Les ordinateurs et les réseaux, dit-on, ne pensent pas, ils ne sont que ce qu’on en fait.

Pourtant, même avant qu’on en fasse quoi que ce soit, le réseau signifie, comme on vient de le voir. Sinon, quelle importance peut bien avoir le fait d’y être le premier et comment peut-on y voir de l’audace et de la «politique autrement» avant même qu’on y ait dit quoi que ce soit?

Nous vivons une époque formidable et rocambolesque où l’usage de la technologie est devenu un gage d’authenticité. Être branché en temps réel est devenu synonyme d’ouverture au dialogue et d’audace.

À l’inverse, on reprochera simultanément à d’autres politiciens leur absence des médias sociaux, celle-ci étant synonyme, dans l’esprit des zélotes numériques les plus motivés, de couardise, d’opacité, de refus du dialogue ou, pire, d’une sorte de censure par anticipation ou de propagande par omission.

Je ne voudrais pas briser votre bel enthousiasme, mais ce qui manque à nos politiciens, notamment aux chefs de partis, ce ne sont pas des gadgets électroniques, des jouets 2.0 ou encore des occasions de scander les slogans tirés de leurs programmes qu’ils répéteront au mot près lors du débat des chefs.

Ils manquent de poésie.

Cruellement.

À ce titre, François Legault est aussi inspirant et incarne autant le renouveau politique qu’un ananas en conserve. Sa présence sur Twitter ou sur Facebook n’y changera rien. Un spin beige demeure un spin beige, peu importe le canal qu’on utilise pour le véhiculer.

De l’audace, vous dites? Allez, répétez-le sans rire… Il faut tout sauf de l’audace pour diffuser à tous les vents des photos de soi, spatule à la main devant un BBQ, faisant griller du pain et des saucisses entre deux attaques envers ses adversaires.

…Un peu de bonne vieille politique comme on l’a toujours connue suffit.