Théologie Médiatique

Pour qui je vote

D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours annulé mon vote.

Je me rappelle, il y a près de 15 ans, Duchesneau, bien connu aujourd’hui, se présentait à la mairie de Montréal. J’avais convaincu ma blonde d’aller voter.

— Chérie, il faut voter pour Pierre Bourque!
— Pourquoi?
— Ce sera toujours bien moins pire qu’une police!

J’étais jeune et un peu con. J’ai vieilli depuis, mais je n’ai guère changé sur le fond. Toujours est-il que rendu dans l’isoloir, j’ai été pris d’un haut-le-cœur et d’une sorte de malaise à l’estomac. J’ai coché toutes les cases et je suis sorti. La suite de l’histoire est connue. Duchesneau a perdu, même sans mon vote contre lui.

Ça a toujours été comme ça. Je me rendais au bureau de scrutin le jour de l’élection et je votais pour tout le monde, incapable d’accepter de donner un mandat à qui que ce soit pour me représenter.

Pourtant, lors du référendum de 1995, j’ai voté Oui. J’aurais bien voté Peut-être, mais ce n’était pas dans les choix. Parizeau avait quelque chose de convaincant. Ça ne s’est plus reproduit depuis. Pour Parizeau et pour les autres.

Ce n’est pas une tâche facile que de s’abstenir. Il faut, entre autres, se farcir les homélies des partisans convaincus. De vraies litanies! Rien n’y fait. Si l’on s’abstient, on a toujours tort. On a beau leur expliquer, parler de ce cirque électoral au sein duquel on n’a pas envie de jouer le rôle de clown entarté, ils en remettent toujours à propos de l’importance de la démocratie et ce genre de machins maintes fois entendus. «Tu sauras que dans certains pays, ils se battent pour avoir ce droit!»… Je comprends, mais se battre pour avoir le droit de voter ne signifie pas qu’il faille voter pour quelqu’un.

Tout de même, il y a quelques années, un peu fatigué, j’ai voté pour la toute première fois lors d’une élection générale, aux provinciales. Pour Québec solidaire. Surtout, d’abord, parce que je ne suis pas d’accord avec eux. C’est comme ça. Eh oui. Je suis loin d’être convaincu par le spin de gauche d’Amir et Françoise. Mais bon, c’était peut-être le choix le plus libéral que je pouvais faire, soit accepter de laisser un peu la parole à la marge. En choisissant de leur donner mon vote, j’appuyais une troisième voie, un discours alternatif qui allait donner un peu de swing à une Assemblée nationale qui périssait – et périt toujours – de ses vieilles joutes entre péquistes et libéraux.

C’est un peu comme l’homéopathie. Je n’y crois pas une seconde à vos granules de je-ne-sais-trop-quoi absorbé à petites doses, mais je me dis que si ça peut vous faire sourire, alors pourquoi pas. Chaque fois que ma blonde me donne ces granules, elle a l’air heureuse: «Tu vas voir, ça va te faire du bien», si bien que j’en reprends. Quand elle est heureuse, je le suis, alors tout baigne. Je ne guéris pas, mais on est bien.

J’admets que j’y ai pris un peu goût. Au vote, je veux dire. J’ai donc décidé de recommencer. Lors de la dernière élection fédérale, j’ai voté à nouveau. Pour Justin Trudeau cette fois-là. Je sais, vous allez me traiter de con, mais ça m’a fait plaisir. C’était pour vous faire chier. Enfin, un peu… Je l’admets sans amertume. J’ai voté pour ce qui se trouve à l’opposé de votre sacerdoce de la québécitude exacerbée. «Quoi!?!? T’as voté pour le fils à Trudeau!?!?» Si vous aviez vu vos visages quand vous m’avez posé cette question! Ça valait bien un vote! J’en ris encore. Surtout que, somme toute, mon député à moi – car il a été élu – déboule des escaliers à la télévision, traite de piece of shit un député conservateur en pleine chambre et s’adonne même à la boxe amateur contre un adversaire politique! Pas mal mieux que le vôtre, si vous voulez mon avis. Vous, vous ne savez pas ce qu’il a fait, votre député.

Et pour tout dire, le calendrier de Justin qu’on distribue dans mon quartier en début d’année, je ne saurais m’en passer.

Si vous saviez comme je rigole depuis que je vote. J’y prends un réel plaisir. Je crois que je vais recommencer cette fois-ci.

Et encore une fois, je voterai pour Québec solidaire, toujours pour la même raison. Non, je ne suis pas d’accord, mais encourager la diversité des voix est sans doute la meilleure chose que je puisse faire.

Je commence à bien vous connaître. Vous êtes prévisibles comme l’heure de pointe. Vous allez m’accuser de diviser le vote et de favoriser la réélection de Jean Charest. Vous me faites assez rire avec cet argument. Lorsque vous me le servez, vous êtes encore plus cyniques que je pouvais l’être lorsque j’annulais mon vote à toutes les élections. Vous me demandez en quelque sorte de voter aveuglément pour une option à laquelle je n’adhère d’aucune manière au lieu de faire ce que je crois, en mon âme et conscience, être le mieux possible…

…Et vous appelez ça la démocratie. Pincez-moi!

Allez, ne rechignez pas. Vous avez convaincu un abstentionniste de voter. Maintenant, continuez votre bon travail… Il vous reste près de la moitié de la population à convaincre. Je vous souhaite bonne chance.