Théologie Médiatique

Les indignés de la fiscalité

Au printemps dernier, le Québec vibrait au son des contestations étudiantes. Le gouvernement libéral proposait d’augmenter les droits de scolarité. La mesure avait de quoi déplaire. Il s’agissait, dans les faits, d’une indexation rétroactive. En effet, ce qu’on nous proposait, c’était d’ajuster, dans un très court laps de temps, un gel maintenu depuis des décennies.

On se souvient des motifs d’indignation et des solutions envisagées par les étudiants.

D’abord, il paraissait injuste de remettre en question un choix de société qui avait l’apparence d’un consensus établi depuis des années. Le gel des droits de scolarité avait été, par le passé, décidé démocratiquement par des politiciens élus en bonne et due forme. En faire fi maintenant, en faisant table rase de ces décisions, aurait été inconcevable.

Ensuite, nous avons avancé l’idée que le savoir est un bien commun et qu’en favorisant l’accès à l’éducation, c’est toute la société qui en bénéficie. L’étudiant ne fait pas qu’investir égoïstement dans son plan de carrière. Il participe à une sorte d’écosystème culturel duquel nous tirons tous profit. Il serait donc normal que nous prenions tous part, collectivement, à l’éducation d’un plus grand nombre possible de citoyens.

Finalement, afin de dénouer l’impasse, les associations étudiantes ont proposé de remplacer la hausse des droits de scolarité par une optimisation des processus administratifs des établissements d’enseignement. Selon les principaux protagonistes de la cause étudiante, il y aurait déjà suffisamment d’argent dans le système d’éducation. Il serait simplement mal administré. Il faudrait donc revoir de fond en comble cette gestion des fonds publics plutôt que d’aller fouiller encore une fois dans la poche des contribuables qui souhaitent étudier.

En aparté, aussi, alors qu’une forte odeur de corruption planait sur tout l’appareil politique, nous étions nombreux à considérer qu’il était plutôt temps de faire le ménage et de trouver où, dans nos institutions, certains malfrats utilisaient des fonds publics pour s’en mettre plein les poches. Nous demander de contribuer plus alors que chaque jour, dans l’actualité, nous découvrons des exemples de détournements de fonds, c’est assez fort de café. Que ces allégations soient justifiées ou non, une telle ambiance ne fait que conforter un cynisme peu propice aux sacrifices du «citoyen ordinaire».

J’ai adhéré, et j’adhère toujours, à ces arguments. Sur ces quelques points, les étudiants et les indignés de tous les horizons avaient raison.

Or, ce sont justement ces mêmes arguments qu’avancent aujourd’hui les «indignés fiscaux», si on peut ainsi les nommer, qui sont dénoncés vertement par les «indignés étudiants» du printemps dernier.

D’abord, il est question de rétroactivité. Certains entrepreneurs et investisseurs reprochent au gouvernement Marois de vouloir changer les règles du jeu en remettant en question des décisions prises par le passé, qui plus est dans l’année courante lors du plus récent budget.

Ensuite, de par leurs investissements et leur esprit d’entreprise, ces «mieux nantis» sont persuadés de participer largement au bien commun. Il faut bien entendre cet argument. Richesse n’est pas nécessairement synonyme d’égoïsme. La mythologie populaire veut que quiconque gagnant 150 000$ par année soit engagé dans une course aux profits dans le seul but de manger du pauvre. Pourtant, nombre de petits entrepreneurs et investisseurs stimulent des retombées positives significatives dans leurs communautés. Ils revendiquent, comme le revendiquaient les étudiants – et de bon droit, dans les deux cas – , une participation à une richesse collective.

Finalement, plusieurs citoyens gagnant un salaire enviable demandent exactement la même chose que les étudiants, à savoir qu’avant de venir fouiller dans leurs poches, il conviendrait d’optimiser la gestion de l’État. Si cet argument semblait valable pour le seul secteur de l’éducation et les établissements d’enseignement, pourquoi ne le serait-il pas pour tout l’appareil étatique, de la santé aux parcs nationaux, en passant par les transports et la culture?

En aparté, encore, l’odeur nauséabonde de corruption persiste toujours… Pourquoi demander à d’honnêtes entrepreneurs – et il y en a! – de faire un effort supplémentaire, alors qu’à regarder les nouvelles par les temps qui courent, ils ont le sentiment – comme vous et moi – de se faire joyeusement fourrer! Avant d’aller fouiller dans les poches des honnêtes gens, on devrait peut-être regarder dans les bas de certains élus qui traficotent avec des crapules.

Ainsi se profile la polarisation du débat public par les temps qui courent. Les arguments avancés au printemps par les uns, les étudiants et les indignés investis d’une noblesse «naturelle», semblent aux yeux de ces derniers fallacieux lorsqu’ils sont repris, presque mot pour mot, cet automne par les autres, les indignés fiscaux, porteurs d’une tache originelle qui les rend intrinsèquement fautifs.

On dit la même chose, au fond, mais les uns font le bien, les autres, le mal. C’est comme ça.

Cette situation est une belle illustration de mythologie médiatico-politique. À l’étudiant anarcho-bolchévique, bébé gâté du système, on oppose maintenant le jeune entrepreneur égoïste qui, dans l’imaginaire de la lutte des classes, se trouve amalgamé aux puissants de ce monde qui s’enrichissent en exploitant des sweatshops en Asie. Entre les deux, rien ne peut exister et, surtout, aucune solidarité ne semble envisageable.

Le plus malheureux, c’est que certains élus, peu enclins à user de pédagogie, ne font que dresser un mur d’opacité cimenté à la démagogie entre ces deux entités mythiques, le bon pauvre et le mauvais riche. Gageons qu’au final, les vrais pauvres et les vrais riches, eux, ne risquent pas d’être réconfortés ou inquiétés. C’est ainsi lorsque l’indignation devient un pur outil de marketing idéologique.