Théologie Médiatique

Insultes, dérapages et autres silences d’intolérance

Dimanche dernier, Désautels le dimanche à Radio-Canada. Un reportage d’Akli Ait Abdallah auquel je participais. Mon collègue était parti sur le terrain à la recherche de témoignages de femmes qui se font invectiver sévèrement depuis le début de ce débat sur la charte. Rien de bien joli, pas de quoi se vanter. Les centres de femmes du Québec, apprenait-on, «sont témoins d’une augmentation d’intolérance, de violence et de racisme». Assez pour sourciller. Qu’est-ce que je faisais là, moi? J’y parlais d’interventions de quidams qu’on trouve un peu partout sur le web et qui oscillent entre l’ignorance et la haine. Beaucoup de haine parfois. Toujours trop en tout cas.

Toujours est-il qu’Akli s’est fait réprimander un peu par les voix de Twitter pour ce reportage. Moi aussi, d’ailleurs. Messages, courriels, etc. Les griefs habituels: exagération, sensationnalisme, montée en épingle de banalités. Bref, donner la parole aux femmes dans ce débat, oui, mais pas à toutes. Condamner les crinqués du bonnet, OK, mais surtout ceux des autres s’il vous plaît et, si possible, s’ils portent un machin ostentatoire.

Des cas isolés? Des faits divers? On aime le penser. Ça réconforte.

Et pourtant… Cette semaine, dans la foulée des «Janettes», un mouvement initié par quatre paragraphes de Janette Bertrand et supporté par une poignée de «femmes d’influence», Denise Filiatrault la ramenait elle aussi à coup de «folles» en pleine radio aux heures de pointe à propos des femmes qui disent choisir de porter le voile.

Nous en sommes là. Hier, on se gardait une petite gêne avec l’intolérance. Aujourd’hui, elle est un spectacle. Peut-être même une comédie musicale.

Des faits divers me disiez-vous? Je me demande… À partir de quand peut-on parler de tendance? Est-ce que le citoyen téléspectateur pourra désormais, motivé par un projet de charte bâclé et l’influence d’une «Janette» grand public mal engueulée, se sentir à l’aise de traiter de folles les femmes voilées dans la rue? Au diable les complexes, mettons nos culottes!

Ce débat dérape. Dangereusement, même. Nous avons brisé quelque chose. Nous avons choisi de pointer du doigt, avec des pictogrammes, des spins médiatiques, des ballons de plage idéologiques qu’on lance en l’air en trois passes: «Regardez ce voile et ces machins, sachez les repérer, comprenez la menace.»

La faute à qui? Faut-il pointer des responsables?

Il est naturellement commode de ne pointer personne. On aime se dire que des nonos, il y en aura toujours. Faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Non… Mais il faudrait la jeter l’eau du bain, au moins. Elle est sale.

Les responsables de ce dérapage complet se trouvent au sein du Comité ministériel de l’identité présidé par Bernard Drainville. Un comité qui compte des membres qu’il vaut la peine de nommer: Diane De Courcy, Maka Kotto, Jean-François Lisée et Pierre Duchesne. Ultimement, ce sont ces élus qui avaient pour responsabilité de mettre sur pied un projet de charte et de le présenter à la population. Ils avaient ainsi le devoir d’ouvrir une réflexion et par la suite un débat fondé sur une problématique détaillée.

«Depuis 2006, plusieurs cas d’accommodements religieux très médiatisés ont suscité un profond malaise au Québec. Pour préserver la paix sociale et favoriser l’harmonie, nous devons éviter de laisser les tensions s’accroître.»

Ces deux phrases, c’est le seul état de la question que ce comité sur l’identité a cru bon de proposer au public. Aucune analyse, aucun document, aucun rappel des faits, même pas l’ombre d’une statistique. On parle de «plusieurs cas» «très médiatisés» et ça suffit. Lesquels au juste? On évacue toute une problématique. Elle devient un simple «malaise». Plus rien ne dépasse. Tout devient luisant.

Ces élus n’ont pas invité la population à réfléchir sur la diversité religieuse. Ils ont tout bonnement provoqué une grande expression du malaise, comme ça vient, comme ça sort. Ne rien dire surtout, ne pas intervenir, laisser la population s’exprimer. On raconte que depuis, le ministre Drainville est occupé à lire plus de 25 000 courriels.

J’ai une bonne idée de ce qu’ils contiennent, ces courriels. Ils doivent contenir tout le vide de cette proposition politique qu’est la Charte depuis le début. Il suffit ensuite d’aller badiner à Tout le monde en parle en faisant le comique de fin de semaine pour rappeler à tout le monde que ce débat doit se tenir dans le respect.

Or, ça ne suffit pas. Bernard Drainville et ses collègues ont été élus, ils portent la responsabilité de leur projet. Il leur appartient d’assumer leur rôle politique. Il est peut-être même trop tard. La pâte dentifrice est sortie du tube, elle se répand. C’est brisé. Pas ouvert, brisé.

Le plus triste, c’est que parmi ces ministres de l’identité, il se trouve trois ex-journalistes dont un, Jean-François Lisée, qui a été directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. Comment ont-ils pu devenir si rapidement les complices d’un silence où se faufilent toutes les démagogies?

Ont-ils troqué la pédagogie pour la stratégie?

C’est à pleurer.

Ce projet de charte méritait dès le départ des balises pédagogiques et une mise en question de la diversité religieuse. Où sont les mémoires déposés par les divers intervenants lors de la commission Bouchard-Taylor? Où sont, par exemple, les recommandations que la CSDM diffusait à l’époque? Où sont les études produites par la Commission des droits de la personne? Où est la jurisprudence? Ces textes existent, ils ont été payés par les citoyens. Où sont-ils maintenant dans ce site web sur «nos valeurs» parsemé de pictogrammes? Nulle part. C’est le silence. Le vide.

Un vide qui se meuble tranquillement, mais sûrement, de vapeurs nauséabondes… Comme une odeur fascisante, peut-être.

Peut-être aussi qu’un jour, lorsqu’on nous demandera comment nous en sommes arrivés là, ce seront les visages de quelques politiciens qu’il faudra mettre sur des pictogrammes dans les livres d’histoire.