Théologie Médiatique

Élections et pêche miraculeuse

Le Québec est désormais tellement polarisé qu’il y a peu de chance que l’on assiste à un revirement spectaculaire au cours de la campagne électorale. Il faut bien le concéder, le Parti québécois a gagné son pari. On l’a dit et redit, mais la stratégie était simple et grosse comme le cosmos. Il faut se reporter au printemps 2012 pour bien la comprendre. À cette époque, Pauline Marois jouait de la casserole en compagnie de tous les insatisfaits et indignés du monde entier. Bernard Drainville portait le carré rouge et on recrutait même Léo Bureau-Blouin, question de faire un peu mode printanière. Première étape: se poser en solution de rechange qui lave plus blanc que blanc. Ça a fonctionné, mais pas assez. Les électeurs étaient plus exaspérés des frasques des uns que convaincus des projets des autres. C’était n’importe qui, n’importe quoi, mais pas le PLQ de Jean Charest. Ça suffisait pour Pauline. Juste assez pour passer à la barre d’un gouvernement minoritaire. Battu dans Sherbrooke, Jean Charest allait retourner dans ses terres, déchu, laissant tout ce qu’il faut de vide pour le remplir avec à peu près n’importe quoi et, surtout, laissant très peu de temps pour passer à la prochaine étape.

Cette dernière allait venir avec le projet de charte. Mais il fallait au moins quelques interludes. Du plus blanc que blanc, il fallait passer au plus bleu que bleu, mais pas trop vite. Pour meubler le temps, on a proposé un projet de loi pour des élections à date fixe. Il vaut la peine de se remémorer les mots de Bernard Drainville à ce sujet en novembre 2012. Je le cite: «En fixant une date d’élection, on fait disparaître la stratégie partisane de la date électorale. Finis les déclenchements en fonction des sondages, finis les déclenchements en fonction des commissions d’enquête. Finie la machine à rumeurs (…). Avec des élections à date fixe, tous les partis partent sur le même pied. Ça met de l’ordre dans les règles du jeu.»

Vous avez oublié ces paroles? Ne vous en faites pas… Lui aussi.

Ensuite, il y a bien eu le Sommet sur l’enseignement supérieur en février 2013. Une formalité. Le peuple fâché ne jouait pas de la casserole pour soutenir les étudiants, mais parce qu’il était contre Charest. L’électeur moyen avait obtenu ce qu’il désirait, la tête du premier ministre. Mieux encore, l’ASSÉ, qui était au cœur des manifestations quelques mois plus tôt, allait se poser comme une bande d’insatisfaits chroniques, refusant de participer aux consultations et appelant à de nouvelles manifestations. Mauvais calcul politique et météorologique. On ne descend pas dans la rue en plein mois de février, surtout pas en sandales. Il aurait mieux valu se pointer à l’intérieur. Pour le téléspectateur, l’affaire était entendue. À l’issue du Sommet, Pauline Marois en profitait pour déclarer que Martine Desjardins, alors présidente de la FEUQ, «serait extraordinaire» comme députée. Un pion sur l’échiquier était avancé. En face, aucun joueur.

Aucun joueur. C’est important de le souligner. Le PQ au pouvoir, plus aucun parti ne pouvait incarner l’insatisfaction. Option nationale, nouveau-né sur l’échiquier politique, n’avait pas réussi à faire élire son seul député vedette, Jean-Martin Aussant. Québec solidaire, bien que fort de l’arrivée de Françoise David à l’Assemblée nationale, n’avait au fond rien de neuf à suggérer pour s’imposer dans les débats. La CAQ de François Legault n’avait plus aucun tonus au lendemain des élections et, surtout, le Parti libéral n’avait plus de chef. Ce parti qui n’avait plus de libéral que le nom se trouvait désarmé. Philippe Couillard allait en être élu chef en mars 2013, mais sans circonscription. Le temps était au beau fixe pour l’été politique qui allait commencer. Jean-Martin Aussant allait quitter son parti en juin 2013, laissant Option nationale à l’abandon. Une aubaine imprévue. On se retrouve à la rentrée.

Vous suivez toujours? Alors voilà. Rentrée 2013, tout est toujours au beau fixe. Le chef du PLQ Philippe Couillard n’est nulle part sur les radars. Il demeurera invisible jusqu’en décembre. C’est le temps d’avancer les pièces sur l’échiquier, rapidement. Les anarcho-communistes carrés rouges ne représentent désormais aucune menace. Les anglo-fédéralistes errent sans parti. Tout devient subitement très facile. Faute d’avoir un adversaire, on peut toujours en inventer un. Quelques turbans et femmes voilées feront l’affaire.

La recette est connue: si vous voulez avoir l’air de bien gérer une crise, rien de mieux que de l’inventer. Tout le monde vous fera subitement confiance.

Je ne réécrirai pas la suite, l’histoire est connue. Le reste n’est que littérature. Il suffisait de laisser aller les médias. Ils trouveront bien deux travailleuses en garderie portant le niqab pour faire le reste et occuper les tribunes radiophoniques et les médias sociaux. Et voilà le travail. C’est ainsi qu’à partir d’une grogne populaire contre la partisanerie et l’opportunisme politique, on peut se construire une popularité dans les sondages avec comme ingrédients… de la partisanerie et de l’opportunisme politique tout en inventant une grogne populaire nouvelle et virtuelle!

Rien de mieux qu’une bonne guerre pour faire oublier les conflits.

Aucun reproche et aucune amertume. C’est le jeu auquel on joue. Méfiez-vous de ceux qui voudraient vous faire croire le contraire.

En passant, si d’aventure vous discutez religion et laïcité au cours de cette campagne électorale, n’oubliez pas de relire l’évangile de Saint-Luc, chapitre 5, versets 1 à 11… Il y est question de la pêche miraculeuse.

L’important, dans cet épisode biblique, vous l’aurez compris, ce n’est pas tant les paroles de Jésus, mais bien les poissons qu’on n’attendait plus…