Voix publique

S’occuper de ses affaires

Les gens votent de moins en moins. En bonne partie, parce qu’ils perdent confiance en une classe politique plus encline à protéger certains intérêts privés que le bien commun.

Résultat: de nouvelles formes d’action apparaissent. Par nécessité. Par réflexe de légitime défense collective.

Exemple: le mouvement Occupy Wall Street. Ou, si vous préférez, l’art de s’occuper de ses affaires – celles des citoyens.

Depuis presque un mois, les «Indignés» – des hommes et des femmes de tous horizons socioéconomiques – occupent un parc de New York.

Multipliant les messages d’indignation, ils se lèvent surtout contre une crise économique de trop.

Une crise où, à même des fonds publics massifs, les banques, la haute finance et leurs empereurs en sont sortis les poches pleines pendant que des hordes de travailleurs se retrouvaient sur la paille.

L’objectif de Occupy Wall Street: sortir les gens de leur isolement individuel et de leur profond sentiment d’impuissance. Autant pour les manifestants que pour tous ceux et celles qui, de leurs foyers, voient leur colère s’exprimer – enfin – au grand jour.

Pas de consensus sur le consensus…

Ce qui, en passant, les change du ronron consensuel des médias dits grand public. Ceux-là mêmes qui s’entêtent à comparer un mouvement populaire, progressiste, non violent, sans leader ni organisation autre qu’Internet avec les populistes du Tea Party commandités à grands frais par le milieu des affaires.

Occupy Wall Street dérange parce qu’il dénonce les monarques de la finance et de la grande entreprise. Parce qu’il demande aux gouvernements d’agir pour protéger le bien commun. Parce qu’il perdure. Parce qu’il dessine les contours d’une nouvelle forme de protestation et qu’il s’étend à plusieurs villes.

En cela, il prend exemple sur l’Europe.

Il traverse même la frontière jusqu’ici. En fait, c’est de par le monde – incluant à Montréal et devant la Bourse de Londres -, qu’on annonce plusieurs «occupations» semblables pour le 15 octobre.

Car il y a matière à s’indigner des iniquités croissantes produites par une économie follement déréglée et déréglementée par plusieurs gouvernements depuis l’ère Reagan-Thatcher des années 1980.

Même au Canada, on craint qu’avec un gouvernement Harper majoritaire, de nouvelles injustices finissent par s’y multiplier.

Au Québec, la bougie d’allumage est cette atmosphère de corruption, collusion, braderie des ressources naturelles et détournement massif de fonds publics dans des projets d’infrastructures payés trop cher à un groupe restreint d’entrepreneurs généreux envers les partis.

Notez qu’un des éléments qui coalisent tous ces mouvements d’«occupation» est justement l’opposition au retour du pouvoir de l’argent auprès des élites politiques…

Autre élément en commun: la dénonciation du syndrome de la «bête affamée». Traduction: à force d’imposer des compressions répétées aux services publics, les gouvernements ont permis au secteur privé d’offrir ces mêmes services, mais pour un prix plus élevé.

Plus élevé pour les gouvernements qui leur sous-traitent leurs responsabilités. Et plus élevé pour les gens dont l’accès aux services est restreint par les compressions et les coûts d’aller au privé. Pensons seulement au système de santé…

Autre élément: la précarisation du marché du travail, dont tous ces hommes et ces femmes appelés à vieillir, longtemps, sans fonds de pension, ni épargnes suffisantes.

Bref, l’inquiétude monte face à un système économique multipliant les crises et les récessions sans pour autant se réformer. Bien au contraire.

Un système schizophrène où coexistent une économie «réelle» où on produit des biens et des services et une économie «virtuelle» où une infime minorité s’enrichit scandaleusement par des transactions et la spéculation. Et ce, sans payer d’impôts. Ou si peu…

Dès 1987, le personnage de Michael Douglas dans le film prémonitoire Wall Street l’annonçait: «greed, for lack of a better word, is good»! («La cupidité est une bonne chose»).

Reste maintenant à voir si l’«occupation» durera. Que ce soit à New York, Montréal, Londres, Calgary, Boston, Vancouver, etc.

Mais une chose est certaine: de plus en plus d’hommes et de femmes n’acceptent plus de laisser les voraces de la haute finance semer un peu partout ces raisins de la colère.

Le paradoxe étant qu’en même temps, plus de citoyens devront aussi se réintéresser à la politique, aux partis, aux élus, au processus électoral.

Parce que c’est la classe politique elle-même qui a mis la table pour tous ces gloutons…

Et, parce que ce faisant, elle a trahi sa mission première. Une mission décrite en ces mots par Jacques Parizeau: «protéger son monde».