Voix publique

Au royaume des ni-ni

La propension de certains politiciens à prendre les gens pour des valises ne cesse d’étonner. Une bien fâcheuse habitude. Surtout lorsqu’on prétend incarner le changement.

Rien de plus insultant pour l’intelligence que d’entendre un politicien se cacher derrière une montagne de «lignes» préscriptées pour mieux dire tout et son contraire. Sauf ce qu’il pense vraiment.

Exemple: François Legault et sa Coalition Avenir Québec (CAQ). Son truc: hypnotiser les Québécois en leur faisant croire qu’il transcende ce qu’il appelle avec dédain les «étiquettes» politiques.

Et donc, il se dit ni de droite, ni de gauche – seulement «pragmatique». En politique, c’est un grand classique pour faire passer ses adversaires pour des bornés dépassés et ses propres idées pour du «gros bon sens».

La réalité, par contre, est une autre histoire. Dans les faits, ce que la CAQ propose est essentiellement une vision comptable et conservatrice. Donc, de droite. Du moins, si les mots ont encore un sens.

Des vingt «actions» que sa CAQ propose, le chef adéquiste Gérard Deltell reconnaît lui-même qu’une bonne douzaine vient en fait de l’ADQ et que les autres «reflètent notre pensée politique». (La même ADQ que la CAQ vient tout juste d’avaler tout rond.)

M. Legault aura beau se dire ni de droite, ni de gauche, le fait est que sa CAQ vient de fusionner avec l’ADQ – le parti le plus à droite sur l’échiquier. Ça ne ment pas. Un mariage d’intérêt, mais aussi d’idées.

Ce qui explique pourquoi M. Legault, lorsqu’il fustige les groupes de pression, pointe à répétition du doigt les syndicats. Pas le Conseil du patronat…

Bref, si vous avez attrapé le torticolis en entendant le chef caquiste lancer cette perle sans rire – «quand j’ai dit que j’étais de la gauche efficace, c’était un peu pour dire que j’étais de gauche et de droite» -, rassurez-vous.

C’est que vous avez compris jusqu’où un politicien peut aller pour se moquer des électeurs.

François au pays des merveilles

Au royaume des «ni-ni», les muets sont rois. Et donc, M. Legault se dit ni fédéraliste, ni souverainiste. Son mantra: finies les chicanes! Il préfère se dire nationaliste. Pour cause d’accouplement avec l’ADQ, il se dit même autonomiste! Deux synonymes, selon lui.

C’est pourtant avec Charles Sirois qu’il a créé la CAQ – un libéral notoire et un fédéraliste convaincu.

Résultat: la CAQ n’est pas autonomiste pour une miette. Le fait est qu’en se liquéfiant dans la CAQ, l’ADQ renie sa vision autonomiste.

(Rappel: fondée en 1994, l’ADQ est née de l’échec de Meech et du fameux Rapport Allaire produit en 1991 par un comité du PLQ présidé par Jean Allaire. Lorsque Robert Bourassa rejeta ce rapport en 92, Jean Allaire et Mario Dumont quittèrent le PLQ pour fonder l’ADQ.)

Le Rapport Allaire était autonomiste. Pour vrai. Il réclamait le contrôle de 22 champs de compétence, l’abolition du Sénat, une constitution québécoise, etc. Il ne laissait à Ottawa que la défense, les douanes, la monnaie, la péréquation et la dette! Même Duplessis aurait été jaloux.

Encore aujourd’hui, sur le site de l’ADQ, on peut lire que sa vision s’inscrit dans la continuité du Rapport Allaire.

Or, la CAQ de M. Legault ne propose rien. Ni autonomie, ni souveraineté, ni fédéralisme renouvelé. Elle prend le Canada tel quel. Silence, on tourne en rond.

Sa recette pour rebâtir un «rapport de force» avec Ottawa est un conte de fées pour incultes politiques. Sa grande idée: rassembler tous les nationalistes, parler d’une seule voix et convaincre M. Harper que le Québec a des besoins différents. Ça ne s’invente pas.

Stephen Harper doit se pincer de bonheur. «Laissez venir à moi les petits nationalistes innocents», qu’il doit se dire…

Alors, une «nouvelle ère», cette CAQ? Plutôt un ramassis de clichés de la droite doublé d’une acceptation béate du fédéralisme tel quel.

Bref, de la fausse représentation de «ni-ni» qui n’en sont pas. Pas étonnant qu’avec autant de confusion voulue dans le message caquiste – question de séduire un maximum d’électeurs désabusés – le dernier sondage Crop-La Presse montre que les Québécois ne savent plus trop ce que pense vraiment M. Legault.

Or, qui trop embrasse mal étreint. Il se pourrait bien que Jean Charest ait enfin trouvé sa nouvelle «girouette»…

Il existe pourtant des outils pour débusquer les faux «ni-ni». Exemple: La gauche et la droite. Un débat sans frontières – un livre éclairant des politologues Alain Noël et Jean-Philippe Thérien (PUM). De par le monde, notent-ils, il existe un «vocabulaire» qui rend les débats «intelligibles» pour tous: la dichotomie gauche-droite «le plus universel» et le «plus englobant de tous les clivages politiques».

Leur avertissement: sans cette référence partagée, les débats politiques demeurent «fragmentés, centrés sur les personnalités, l’image et le clientélisme».

Tenez… Ça ne vous rappelle pas quelque chose?