Voix publique

Steak, blé d’Inde, patates

Do you speak English? Do you REALLY speak English? I mean, do you speak it well enough to study at the prestigious Hautes études commerciales?

La question se pose puisqu’en septembre, l’école des HEC affiliée à l’Université de Montréal offrira une maîtrise entièrement en anglais.

Selon Kathleen Grant, directrice des communications, «ça risque d’attirer plus d’étudiants étrangers. Il y a beaucoup de demandes venant de Chine et d’Inde».

Et le français? C’est zéro pouvoir d’attraction selon les HEC?

Mais n’ayez crainte. Mme Grant d’ajouter que les étudiants étrangers iront «à la cafétéria manger du « pâté chinois » et non du « Chinese pâté »». Ça ne s’invente pas.

Beau programme pour une grande école francophone de gestion: venez goûter à la langue de Molière avec un bon pâté chinois. Pourquoi pas leur apprendre aussi à pousser un non moins pédagogique «steak, blé d’Inde, patates!» comme on le fait dans La Petite vie? C’est n’importe quoi.

Surprenant, tout ça? Malheureusement, non.

Les HEC comptent déjà un MBA in English only et autres programmes bilingues ou trilingues. Ces choix participent de l’image multilingue projetée par les HEC au Canada et à l’étranger. Dixit son propre site Internet: «le bilinguisme est une richesse»; «plusieurs programmes sont offerts dans plus qu’une langue».

Les étudiants étrangers – 32% de sa clientèle – s’y font aussi expliquer l’environnement des HEC. «Pour comprendre la mosaïque linguistique de HEC Montréal, y lit-on, il faut la voir dans son contexte canadien, québécois et montréalais.»

Le Canada leur est donc présenté comme un «pays bilingue»; le Québec, «une des dix provinces de la fédération canadienne»; le français, «la seule langue officielle»; et Montréal, «une ville internationale et bilingue». Dans la version anglaise, elle devient même une «multilingual city». On dirait presque un catalogue d’Air Canada.

Les étudiants étrangers sont invités à étudier et à vivre dans un «environnement multilingue». Bref, on y parle de «mondialisation» et d’«ouverture sur le monde».

Or, ce genre de discours à la mode où l’on confond ouverture sur le monde et anglicisation, alimente un contexte où le français recule à Montréal – dans les milieux de travail, l’affichage et les commerces.

Même Lysiane Gagnon de La Presse le notait: «C’est une chose de vouloir que les Québécois apprennent l’anglais. C’en est une autre que d’angliciser nos institutions.»

Pour les Québécois, le message est tout aussi clair: l’anglais est en voie de redevenir ici la langue des affaires, de la réussite, de l’argent. Bref, la langue de la mobilité sociale. For French, press 2.

Les plus jeunes l’ignorent peut-être, mais avant l’adoption de la loi 101 en 1977, 85% des enfants allophones allaient à l’école anglaise – primaire et secondaire. Je répète: 85%. Pourquoi?

Essentiellement parce que leurs parents immigrants désiraient la réussite de leurs enfants. Normal. Et ils comprenaient vite que l’anglais serait la clé de leur mobilité sociale. Point.

Depuis, la loi 101 oblige les enfants des nouveaux arrivants à fréquenter l’école française, primaire et secondaire. Hormis, bien sûr, cette aberration d’écoles «passerelles» où des parents peuvent acheter à leur enfant le droit à l’école anglaise subventionnée en leur payant un bref séjour dans une école anglaise privée non subventionnée. Il reste que ces passerelles portent le même message: l’anglais, ça se paie et ça paie. Plus que le français.

Le gouvernement tente aussi d’imposer l’anglais intensif en 6e année dans les écoles françaises. Et ce, sans la moindre prise en compte de la réalité montréalaise où le français et l’anglais s’y concurrencent encore comme langue d’intégration auprès d’une clientèle dont la majorité n’a pas le français comme première langue.

Le danger est qu’avec le temps, à part pour ceux dont il est la langue maternelle nonobstant leurs origines, le français finisse comme une espèce de troisième langue glorifiée. Une langue utilitaire, apprise pour s’en servir lorsque nécessaire, mais non pas une langue nationale, de culture, de vie et de travail. Comme une lente dépanneurisation du français – une langue pouvant toujours servir à dépanner au dépanneur…

Ou même assez bonne pour se taper un bon pâté chinois dans la cafétéria d’une grande école francophone de gestion où l’on peut étudier en anglais seulement.

Come on. You can do it. Repeat after me: «steak, blé d’Inde, patates». There you go. I knew you could do it. Now, have some more pâté chinois. It’s so good…