Voix publique

Vous avez dit « équité intergénérationnelle »?

Les plus de 200 000 étudiants en grève ne sont plus seuls. Manifestations et appuis publics se multiplient: parents, professeurs, artistes, écrivains et même des écoles secondaires!

On débat aussi d’éducation. De quelles universités veut-on? Veut-on qu’elles répondent de plus en plus aux besoins des entreprises ou qu’elles forment des esprits critiques par le partage des connaissances? Les veut-on accessibles sans égard aux revenus des étudiants ou des parents?

Bref, leur accès est-il un droit ou un privilège? Une question essentielle à l’aube de ce siècle du «savoir», mais qui se dessine de plus en plus comme étant celui de l’«avoir».

Au Québec, l’accès à l’université est un droit. Plus besoin, comme avant les années 60, de se qualifier monétairement ou d’avoir de bons contacts avec une religieuse ou un curé!

Or, les hausses prévues risquent de limiter ce droit. En sauvant les recteurs d’avoir à faire le ménage de leur propre gestion, elles placeront sur les épaules de plusieurs étudiants un fardeau que les prêts et bourses ne combleront que partiellement.

Le tout, pour sortir des poches des étudiants moins de 200 millions de dollars. Une gouttelette dans l’océan des finances publiques.

Mais le gouvernement Charest s’entête. Il jure d’augmenter les frais de 75%. D’ici cinq ans, la hausse sera de 1 625$ par an.

Il décline sa justification en trois arguments. 1) Nos universités sont sous-financées. 2) Les droits doivent se rapprocher de ceux du reste du pays. 3) Les étudiants doivent payer leur «juste part» dans la «révolution culturelle» annoncée en 2010 par le ministre des Finances. Oui, oui. L’expression est de lui…

Comme il le dit, ça veut dire que les Québécois doivent s’attendre, en plus des impôts et taxes, à payer une partie des services publics directement de leurs poches. C’est le principe de l’«utilisateur-payeur».

Pour dorer la pilule, on prétend que cela protégera l’«équité intergénérationnelle». Question de tenter de gagner une opinion publique précieuse en période préélectorale.

Mais qu’en est-il de cette équité dont les gouvernements se gargarisent, paradoxalement, pour justifier leurs politiques les plus inéquitables?

Réponse: elle prend le bord. La grève étudiante est le premier véritable «non» opposé de manière aussi forte à l’érosion de l’équité entre les générations.

Pourquoi? Parce que nos gouvernants provinciaux et fédéraux se préparent à léguer des systèmes d’éducation, de santé et de services sociaux de moins en moins équitables. Ils le font en basant de plus en plus l’accès sur la capacité des gens de payer et non sur leurs besoins.

Ce qu’on appelle la marchandisation de l’éducation et de la santé, c’est ça. La part des dépenses privées monte. Celle du financement public diminue. Au Québec, déjà plus de 30% des dépenses en santé sont de nature privées. En éducation, c’est 20%.

Les gouvernements ouvrent ainsi de nouveaux marchés lucratifs au secteur privé pour dispenser des services dits publics.

Pendant ce temps, pour son déficit zéro, le gouvernement demande aux entreprises une contribution d’à peine 8% de l’effort global. Mais il demande aux particuliers de couvrir le reste. Il le fait en haussant les droits de scolarité et plusieurs tarifs. Dont cette taxe santé honteuse de 200$ pour chacun nonobstant ses revenus. Il le fait aussi en coupant dans des services publics.

Bref, c’est un véritable marché de dupes. Le gouvernement refuse de demander aux entreprises de payer leur «juste part». Incluant les minières et gazières pressées de profiter du Plan Nord.

Dans les mêmes années 60, on parlait de créer une société juste – ouverte quant aux droits et équitable au plan socioéconomique. On appelait ça l’égalité des chances: la clé de la mobilité sociale. Aujourd’hui, les mots n’ont plus de sens. On nous parle de juste part et de révolution alors qu’on nous prépare le contraire.

Et les solutions? Il y en a plusieurs. Dont le retour à une fiscalité plus progressive où les entreprises, lesquelles profitent des largesses de l’État de moult manières, auraient aussi à payer, comme elles le faisaient avant les années 80-90, une part plus importante de l’assiette fiscale globale.

Or, le problème est que nos gouvernants sont d’une autre «école». Celle de l’élargissement du rôle du privé.

Pas étonnant alors qu’en plus des manifs étudiantes, le 22 avril prochain, des Québécois marcheront aussi à Montréal pour défendre le «bien commun». Celui qui nous échappe de plus en plus.