Voix publique

Dommages collatéraux

Au moment de mettre sous presse, le conflit s’enlise. La ministre de l’Éducation Line Beauchamp démissionne. Michelle Courchesne la remplace et convoque les leaders étudiants à une ultime rencontre.

Les manifs continuent. Des campus envahis par des escouades antiémeutes ont des airs d’état de siège. De nouveaux blessés s’ajoutent. Les injonctions provoquent des confrontations.

Jean Charest décrète que la patience a assez duré. Le réflexe de répression semble plus fort que jamais. Ce discours musclé de la loi et l’ordre, les caquistes le reprennent comme des automates.

C’est le retour d’un certain discours autoritaire devant des étudiants osant lui tenir tête. Pas étonnant que la presse internationale y porte attention.

Question: pourquoi ce réflexe de répression s’est-il installé au fil de la grève? Première raison: la ligne dure sur la hausse de 82% des droits de scolarité a profité au PLQ dans les sondages.

La seconde: l’ajout de la hausse à leur long collier d’augmentations de tarifs tient de l’idéologie – une idée néolibérale ou néoconservatrice, si vous préférez. Le but: faire du citoyen-contribuable un utilisateur-payeur.

Bref, si l’intransigeance du gouvernement est électoraliste, elle est également idéologique. D’où cette grève devenue conflit social. Rappelons que le très britannique quotidien The Guardian l’a même décrite comme le «symbole de la plus puissante remise en question du néolibéralisme» du continent.

Au gouvernement, on le comprend très bien. D’où cet entêtement de trois mois à ne pas régler. D’où ce réflexe de répression face à un mouvement qui, tout en s’opposant à la hausse, rejette l’idéologie dont elle émane.

Question: comment ce discours autoritaire a-t-il pu gagner une tranche importante de l’opinion?

1er élément d’explication: un discours gouvernemental manipulateur visant à diviser l’opinion. Comment? En banalisant la question de l’accessibilité. En sortant de l’équation sa propre gestion entachée d’allégations de copinage. En présentant ces étudiants comme des enfants gâtés ne payant pas leur «juste part». En tentant de diviser les associations. En associant la CLASSE à la violence. Le tout, antagonisant d’autant plus l’opinion.

Le discours fut efficace. Parce que basé sur des préjugés déjà existants contre les «enfants-rois». Parce que relayé et amplifié à répétition par certains commentateurs campant clairement à droite et profitant amplement de leurs tribunes médiatiques.

L’opinion publique, ils l’ont labourée intensément. Sous-estimer leur pouvoir d’influence durant cette crise serait une erreur.

Au lieu de tenir des débats articulés entre points de vue divergents, des tribunes plus populistes ont cultivé les montées de lait criardes, l’anti-intellectualisme primaire, l’amalgame et la caricature. Bref, la désinformation.

Le mouvement étudiant y fut associé aux communistes, anarchistes, anarcho-communistes, terroristes, marxistes, et j’en passe. Le message: gare à ces révolutionnaires capables de renverser l’ordre établi par la force! Les perles de délire ont fusé.

Question: à qui tout cela profite-t-il? Au gouvernement et tous ceux qui, comme le pathétique maire de Montréal, prônent une répression plus grande de la liberté d’expression sous prétexte de sauver la paix sociale. Dans la même catégorie: l’accusation très politique portée contre quatre étudiants pour avoir fait «craindre» un acte «terroriste» en posant un engin fumigène dans le métro.

Bref, ce conflit aura profité à la droite, incluant même des groupuscules logés à droite de la droite…

Des tribunes médiatiques populistes à grande écoute en ont redemandé. Même un gestionnaire du ministère des Affaires municipales postait sur le site du quotidien Le Soleil un texte appelant les opposants à la grève à s’inspirer des mouvements fascistes des années 1930-40! (Une fois alerté, Le Soleil retirait le texte et s’en excusait.)

Pendant que M. Charest exigeait de la CLASSE de condamner des gestes de violence dont elle n’était pas responsable, personne au gouvernement ne condamnait cet appel fascisant à la violence pourtant logé par un fonctionnaire.

Sur les réseaux sociaux, individus et groupuscules de droite ont aussi multiplié les insultes harcelantes contre ceux osant exprimer une vision critique de la hausse.

Bref, quel que soit le dénouement éventuel de la crise – conciliant ou musclé – la droite aura bénéficié de ce gâchis. À compter parmi les dommages collatéraux du conflit. Du moins, dans l’immédiat. Car sans minimiser le contenu inquiétant de leur discours, les franges plus extrêmes de la droite, même si certains médias en raffolent, sont bruyantes, mais peu nombreuses.

Et malgré ces voix stridentes que toute société ne peut ignorer qu’à ses risques et périls, les chances sont que la société québécoise sorte un jour de cette crise changée pour le mieux.

Du mouvement étudiant lui viendront des leaders plus progressistes. En attendant, bien des gens auront repris la parole pour contester les mains néoconservatrices posées sur le volant qui les gouverne.

Ici et à Ottawa…