Sonatine : L'homme-orchestre
Cinéma

Sonatine : L’homme-orchestre

Film d’action métaphysique, Sonatine constitue le versant punché de Hana-Bi. Yakusas, fusillades et questions existentielles: pas surprenant que TAKESHI KITANO compte Scorsese et Tarantino parmi ses admirateurs. Un cinéaste qui fait flèche de tout bois.

A l’Est, il y a toujours du nouveau, mais ça peut prendre quelques années avant d’arriver dans le champ visuel de l’Occidental. *Takeshi Kitano est un bel exemple de royal insulaire, dont on couronne aujourd’hui la grandeur.

Avec le succès des deux derniers films de Kitano, Sonatine et Hana-Bi, déferle sur l’Occident un monstre médiatique japonais. Ce gars-là est la grande figure de la culture pop japonaise depuis vingt ans. On apprend qu’il a réalisé six films, qu’il fait l’acteur dans plusieurs émissions (sur six chaînes de télévision à la fois!), qu’il est un dur à cuire à l’écran (Merry Christmas, Mr. Lawrence, Johnny Mnemonic, et surtout Violent Cop), qu’il est l’auteur de 53 livres, qu’il est peintre, journaliste sportif, culturel et politique dans plusieurs quotidiens, et qu’il est un comique respecté. Takeshi «Beat» Kitano est un Johnny Carson à la puissance mille, une icône incontournable au pays du Soleil levant. Mais après un terrible accident de moto qui l’a laissé entre la vie et la mort, en 1994, son visage s’est marqué, son esprit s’est ouvert, et les films de ce réalisateur-acteur-monteur-producteur ont pris une tournure plus sombre.

Après Sonatine, primé en Italie, et Hana-Bi, Lion d’or au Festival de Venise, en 1997, Kitano est en train de développer une signature particulière dans la tradition des films de gangs, les yakusas japonais. Avec un ton tranchant, un humour absurde et peu bavard à la Tati, un machisme démodé, et un travail de montage au quart de poil, Kitano est devenu un chouchou de la critique; il a des fans un peu partout, et des sites Internet en son honneur. De Sonatine, film noir traditionnel, seul le titre est une énigme. Un petit boss yakusa, Murakama (Kitano), qui traîne un trop-plein de cadavres et de règlements de comptes à Tokyo, pense à la retraite et n’a plus le cour à l’ouvrage. Il est envoyé à Okinawa avec ses hommes pour régler un différend entre deux bandes rivales. Le différend s’avère une vraie guerre de clans et, après quelques pétarades sanglantes, Murakama se met au vert dans une maison de pêcheur avec le reste de sa troupe. Il passe le temps, jusqu’à ce que les grands chefs le poussent dans ses derniers retranchements et le forcent à «démissionner».

On a droit à un vrai film noir, dans le respect des codes: bagarres sérieuses, rebondissements, période de stagnation et lassitude extrême des protagonistes. Une guerre de gangs avec un pourri vieillissant, une belle fille et quelques lieutenants rapides sur la gâchette. Le propos est usé, mais la manière Kitano est surprenante. Il tient la mise en scène et le montage d’une main de fer. Aiguisé comme une lame dès les premières images, le film séduit tout de suite par un rythme vif et singulier. Générique court au désign soigné, quelques plans d’un bouge en sous-sol, un mafieux qui traîne, et qui écoute distraitement les gros pontes. Le temps se fige sur le visage usé de Kitano de temps à autre, et on repart dans le découpage de sa vie de yakusa. D’ailleurs, le quotidien des bandits, enragés quand les couteaux volent bas, ou ridicules dans un autobus en mangeant des popsicles, est ficelé avec brio.

Une fois leur baraque sur l’océan, le film prend un autre rythme. L’eau et le ciel agrandissent l’espace, et une porte s’ouvre sur l’introspection. Les plans tranquilles se font larges, les humains diminuent dans l’immensité. Les méchants n’ont que le temps à tuer, et l’humour noir se développe: les gars ont un trop-plein de testostérone, quelques pistolets, et pas d’ennemis en vue. En chemise hawaïenne, ils inventent des jeux de guerre idiots, dansent comme des geishas, et s’imaginent sumos dans une scène grandiose. Se développe aussi le propos: que faire d’une vie, avec la mort comme seule alliée? La peur, l’amitié, l’amour et le plaisir pâlissent devant la mort, excitation suprême. Les hommes sont comme des bêtes enragées lâchées dans le vide, tournant en rond pour se mordre la queue.

Là où Hana-Bi avait une écriture complexe et un propos émouvant, Sonatine est un film d’action plus typique, avec une forme simplifiée. A des degrés différents, les deux explorent le monde des yakusas, avec la mort comme compagne de vie. Deux volets d’une même saga, deux approches de la même question philosophique, mais un même soin précis dans la mise en scène. Pour Kitano, la veine semble inépuisable, puisqu’il a, aux États-Unis, deux films en projet sur le sujet: l’un sur des yakusas flirtant avec les Noirs (même combat contre l’homme blanc), et l’autre sur des yakusas contre la mafia américaine (une idée de Tarantino et de Scorsese). Le Parrain contre Godzilla, à voir…

Dès le 5 juin
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