Cinéma

Dr Akagi : Pour le meilleur

Après L’Anguille, SHOHEI IMAMURA, réalisateur de La Ballade de Narayama, dessine le portrait d’un médecin de famille qui incarne le meilleur de l’Homme. Doigté, humour et émotion.

Un petit docteur habillé de lin blanc dévale les ruelles d’un village, et, malgré sa course, il prend le temps de saluer chaque personne croisée… Aussi comique que pathétique, le bonhomme semble filer en vitesse accélérée par rapport aux autres personnages. Cette scène, souvent répétée, renferme tout le charme de Dr Akagi (Kanso Sensei), dernier film de Shohei Imamura: on y parle avec légèreté d’une urgence, on y badine avec la guerre et la mort. S’il est un angle de vue, une orientation, un choix de créateur qui demande un doigté très juste, c’est bien celui-là. Et Imamura a le talent voulu pour y parvenir.

Il faut dire que Dr Akagi se passe quelques mois avant le bombe d’Hiroshima. Hitler n’est plus, l’armée allemande est en déroute; mais les Japonais s’épuisent à maintenir le siège. Dans un village côtier, là où se trouve encore un camp plein de prisonniers alliés, le docteur Akagi (Akira Emoto) se bat contre une épidémie d’hépatite qui décime le village. Selon lui, cette maladie va aussi anéantir le Japon. Or, personne ne l’écoute et tous se moquent de ce «Dr foie». Ses compagnons de combat sont les rejetés de la société: un moine alcoolique (Jyuro Kara), un chirurgien morphinomane (Masanori Sera), une assistante prostituée (Kumiko Aso), et, le temps d’une guérison, un soldat hollandais (Jacques Gamblin).

Comme dans ses films précédents, l’ancien assistant d’Ozu, âgé de 72 ans, porte un regard généreux et tendre sur les démunis, ceux qui se partagent le bas de l’échelle sociale. Ces personnages principaux, qui n’ont plus grand-chose à perdre et qui subissent jugement et châtiment de la part des autres, continuent de s’accrocher. Les paysans, les prostituées, les vieux (La Ballade de Narayama), les victimes de la bombe (Black Rain), les meurtriers (L’Anguille, Palme d’or 1997), et maintenant ce médecin de famille: tous traversent la servilité et le cynisme ambiant pour poser un geste d’homme libre. Pour Akagi, ce sera de se dévouer entièrement, même quand il n’y a plus rien à faire.

Et les mésaventures de ce bon docteur ont le merveilleux avantage de nous surprendre. Avare de paroles et d’expressions, le formidable Akira Emoto est une énigme pour le spectateur, autant qu’Akagi l’est pour ses concitoyens. Plein de sang-froid, il nous traîne dans certaines scènes avec une raideur toute scientifique; désarmé, il est perdu en lisant les lettres de son fils. Puis curieux et pudique, il se laisse aller à un peu de sensualité. Il fonce avec un cour d’humaniste, il doute avec l’âme du patriote… Akagi est un personnage complexe, de la race des «poignants» dont on ne rit pas.

Avec intelligence, Imamura trace ses parallèles. L’hépatite est une maladie du corps et la guerre, une maladie morale, indécente et perverse. Le docteur n’arrive pas à trouver de remède contre l’hépatite; les hommes n’en trouvent pas plus pour la guerre. Faute de mieux, Akagi s’acharne à fabriquer des microscopes; faute de mieux, les hommes se défoulent sur d’autres hommes (d’où des accès de rage sur le pauvre Gamblin). Dans les deux cas, personne ne veut prendre la responsabilité d’endiguer l’épidémie. Si les liens sont évidents, ils sont très finement juxtaposés. La guerre, le docteur en parle peu ou pas, et ne s’y intéresse qu’à cause de son fils, médecin aux armées. Et la médecine, il en fait peu de cas («un médecin de famille doit surtout avoir des jambes», déclare-t-il). Comme si Imamura préférait souligner l’anecdotique, le saugrenu que l’on trouve souvent dans les situations quotidiennes. Les petites histoires servant à construire la grande. Des moments franchement comiques aux radicalement durs, de la plus légère poésie aux instants émouvants: toutes les scènes forment une facette du sujet, comme si, chaque fois, Imamura prenait un autre point de vue pour étaler l’absurdité humaine, sa pédanterie et son aveuglement.

Ce «docteur foie», personnage qui rend hommage au père du cinéaste, qui était médecin dévoué et peu intéressé par l’argent, est un artiste du bénévolat. Imamura prouve avec maestria qu’il est resté celui de la cause humanitaire.

Dès le 9 avril
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