Cinéma américain 1999 : Nouvelle vague
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Cinéma américain 1999 : Nouvelle vague

Histoires traditionnelles racontées dans le désordre (The Limey), nouvelles technologies enfin bien intégrées (The Matrix), succès commerciaux auparavant impensables (The Blair Witch Project): le cinéma américain semble, en 99, être sorti de sa torpeur. Nouvel âge d’or ou sursaut passager?

1999 aura-t-elle été «l’année qui a changé le cinéma», comme le proclamait récemment un article fort discuté, paru en couverture du magazine Entertainment Weekly? Outre le fait que le «cinéma» dont il y était question se limitait essentiellement à l’Amérique, ce genre d’affirmation semble pour le moins prématurée…

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que 1999 aura été une année de transition importante sur la scène américaine. Pourquoi? Parce qu’elle aura vu l’échec de blockbusters supposément garantis (comme Wild Wild West ou The Haunting) et le succès-surprise de «films difficiles» (comme Being John Malkovich ou American Beauty). Parce qu’elle aura vu la mort de Stanley Kubrick et l’avènement de débutants prometteurs, comme Spike Jonze et Sam Mendes. Et surtout parce qu’elle aura vu le succès monstre (et pour certains monstrueux…) d’un petit film quasi étudiant, intitulé The Blair Witch Projet – dont la percée stupéfiante au box-office (150 millions de dollars en Amérique du Nord seulement, pour un investissement de moins de 65 000 dollars!) a surpris tout le monde et chamboulé les règles du marché.

De là à conclure que ces événements (et la performance au box-office de films comme The Matrix et The Sixth Sense, ou l’audace narrative de films comme Fight Club et The Limey) signalent le début d’un nouvel âge d’or et la fin de 2000 ans de dramaturgie classique, il y a un pas qu’Entertainment Weekly a franchi un peu facilement et beaucoup trop vite.

Après tout, Being John Malkovich et American Beauty sont loin d’être des «petits films» (les deux mettent en vedette des stars confirmées, et le second est même produit par Steven Spielberg!). De plus, The Matrix et The Sixth Sense ne sont certes pas des oeuvres révolutionnaires, et plusieurs des films les plus audacieux formellement cette année (comme Fight Club, Rushmore, Summer of Sam) n’ont jamais rejoint le public. De plus, avant même le boom de Noël, Hollywood a déjà produit, cette année, 17 films ayant franchi le cap des 100 millions de recettes, soit un nouveau record (jusqu’au prochain…). Et cela grâce à des oeuvres aussi «audacieuses» que The Phantom Menace, The Mummy, The General’s Daughter!

Ajoutez à ce tableau l’accueil décevant réservé à des films comme Eyes Wide Shut et Election, et vous verrez que «l’année qui a changé le cinéma» n’a finalement pas changé grand-chose: Star Wars et Austin Powers ont continué d’attirer les foules, Kubrick est demeuré incompris jusqu’au bout, et Hollywood a désormais incorporé le cinéma indépendant au roulement de sa grosse machine.

En fait, s’il y a eu une révolution cette année, elle est moins artistique, narrative ou même économique que purement et simplement technologique. La vidéo a enfin (depuis le temps qu’on en parle…) fini par se fondre vraiment au cinéma, et cela tant sur le plan de l’infrastructure que sur celui de la production; sur le plan des infrastructures, parce que l’année a vu les premières tentatives sérieuses de projection vidéo en salles, alors que quatre cinémas américains ont présenté sur une base régulière – et apparemment avec succès – des projections vidéo à haute définition de The Phantom Menace; sur le plan de la production, parce que le triomphe de The Blair Witch Project a prouvé par A plus B qu’un film tourné partiellement sur support vidéo pouvait non seulement se rendre jusqu’aux salles commerciales, mais aussi y remporter un succès considérable. Il semble d’ailleurs inévitable que l’engouement suscité par la vidéo digitale (avec laquelle des cinéastes comme Spike Lee tournent actuellement leurs prochains films) aura un impact considérable, tant en Amérique qu’à l’étranger.

Pour le reste, si 1999 nous aura semblé une si bonne année du côté américain, c’est probablement parce que la production moyenne s’était autant détériorée depuis plusieurs années. Des films comme Being John Malkovich, Election, Three Kings, American Beauty et Fight Club témoignent de la vitalité d’un cinéma qui s’est fait, en 1999, moins monolithique et plus audacieux qu’au cours de la dernière décennie.

Toutefois, le seul de ces films à avoir remporté un véritable succès public reste American Beauty; ceux de Being John Malkovich et Three Kings sont beaucoup plus relatifs, et les échecs – à différents degrés – d’Eyes Wide Shut, d’Election et de Fight Club sont aussi déplorables que révélateurs. Bref, 1999 aura été une bonne année pour le cinéma américain (certainement plus que pour les autres), mais elle est bien loin d’avoir changé le cinéma, au pays de l’Oncle Sam ou ailleurs. Pour cela, il faudra attendre que la vidéo digitale (un outil simple, léger et relativement accessible) concrétise les perspectives ouvertes par The Blair Witch Projet, et permette à des oeuvres autrement plus intelligentes, personnelles et audacieuses de pénétrer à leur tour l’industrie.