Haut les coeurs! : Coup de coeur
Cinéma

Haut les coeurs! : Coup de coeur

Multipliant les difficultés, SOLVEIG ANSPACH les contourne toutes, et signe, avec Haut les coeurs!, un premier film étonnant de maîtrise, d’émotion et de justesse.

Il y a des films dont il est difficile de parler sans risquer de faire peur aux lecteurs; des films (comme ceux de Kieslowski, par exemple) qu’on a spontanément tendance à éviter, précisément parce qu’ils explorent trop bien des choses auxquelles on préfère ne pas penser.

Sans être un drame particulièrement dur ou difficile, Haut les coeurs!, le très beau film de Solveig Anspach, risque fort de passer pour une de ces oeuvres-là. Pourquoi? D’abord parce que ce premier long métrage raconte l’histoire d’une jeune femme enceinte (Karin Viard) qui apprend soudainement qu’elle est atteinte du cancer du sein. On se dit que le film a d’excellentes chances d’être déprimant… Ensuite, parce qu’il est réalisé par une documentariste qui a vécu (elle ne s’en cache pas) les événements que le film raconte. On se dit donc que ça risque fort d’être nombriliste. Finalement, parce que si on décrit Haut les coeurs! comme un film «vivant sur la mort», on pourrait le faire passer pour un mélo bébête et gnangnan (voir Terms of Endearment ou Dying Young). Bref, l’exemple parfait du genre de film dont la seule description fera fuir à peu près tout le monde. Et pourtant…

Pourtant, Haut les coeurs! est un premier film étonnant et sobre, sensible (bien sûr) mais beaucoup plus tonique encore, qui évite habilement les pièges de l’autobiographie larmoyante et du chantage à l’émotion. En somme, un premier film très réussi, qui témoigne d’une maîtrise surprenante, d’autant plus admirable qu’elle n’est jamais mise de l’avant…

À quoi tient donc la magie particulière du film? Sans doute à sa manière assez originale d’illustrer (sans effet et subtilement) le perpétuel combat de la vie contre la mort. De fait, lorsque Emma (l’excellente Karin Viard) rejette la suggestion d’un médecin (qui lui recommande de se faire avorter) pour choisir de mener de front sa grossesse et sa chimiothérapie, le film devient beaucoup plus que la simple chronique d’une maladie. Il devient le portrait d’une guerre à finir entre la vie et la mort, où Emma décide de jouer à quitte ou double: elle s’en tirera avec sa fille, ou bien (et le film maintient le suspense presque jusqu’au bout…) elle mourra avec elle. Et l’inégalité du combat rend sa lutte encore plus poignante…

Si le cinéma est (comme on l’a dit très souvent) un art qui filme la mort au travail, Solveig Anspach, elle, s’en sert plutôt pour filmer la vie luttant contre le travail de la mort. Non pas que son film nous épargne les étapes du calvaire d’Emma. Au contraire, nous assistons aux problèmes sexuels et affectifs qu’elle traverse avec son ami Simon (Laurent Lucas, lui aussi excellent dans un rôle ingrat), ainsi qu’aux innombrables séances de chimiothérapie et aux rencontres avec les spécialistes. Mais Anspach filme aussi bien la sortie d’Emma (nouvellement chauve) dans une discothèque; ses monologues aigres-doux destinés au bébé qu’elle porte; et sa relation maternante avec son petit frère Olivier (une sorte de Fredo Corleone aux airs de Gaston Lagaffe, très bien joué par Julien Cottereau).

Du coup, le film communique moins le lent travail de la mort que l’acharnement discret de la vie. Et il le fait d’une manière qui pourrait presque en faire (s’il avait ce genre de prétentions) une oeuvre emblématique de sa génération. «On est condamnés d’avance? semble dire le film. Eh bien, cela ne devrait pas nous empêcher de vivre en attendant!» Comme le suggère son titre à double sens – qui peut se voir comme un cri de dégoût, mais aussi comme un cri de ralliement – , Haut les coeurs! est un film grave mais serein, direct mais gracieux, modeste et généreux.

S’il n’est pas exempt de défauts (les médecins d’Emma sont tous d’une douceur et d’une gentillesse quasi utopiques, et le film a parfois un côté militant un peu naïf), Haut les coeurs! finit par nous les faire oublier grâce à ses qualités originales et au talent de Karin Viard. Ceux qui ont déjà vu l’actrice dans Adultère mode d’emploi ou dans Les Randonneurs savent qu’elle est une des interprètes les plus talentueuses et les plus toniques du nouveau cinéma français. Dans Haut les coeurs!, elle prête son étrange mélange de robustesse et de grâce au personnage d’Emma, et incarne littéralement l’énergie vitale qui anime le très beau film d’Anspach. Grâce à elle, ce qui aurait pu être une méditation désincarnée sur la mort devient une oeuvre vibrante sur la vie, qui montre que si la mort est une chose inévitable, la vie peut parfois l’être aussi…

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