Les convoyeurs attendent : Méli mélo
Cinéma

Les convoyeurs attendent : Méli mélo

Avec Les convoyeurs attendent, BENOÎT MARIAGE signe une comédie poético-amère entre Lynch, Magritte et Kaurismaki! Un premier long métrage inclassable et fascinant, bien  qu’inégal.

Imaginez une banlieue industrielle déprimante, filmée dans un noir et blanc onirique… Imaginez ensuite le portrait d’une famille belge si cruellement banale qu’elle évoque les chansons de Jacques Brel… Imaginez finalement un père de famille grande-gueule-mais-sympa (Benoît Poelvoorde) qui espère passer à l’Histoire – et gagner du même coup une nouvelle automobile – en poussant son fils (Jean-François Devigne) à réussir un exploit particulièrement stupide: battre le record mondial d’ouvertures et de fermetures de porte (soit 40 824 claquements de porte en 24 heures!)…

Ajoutez à cet étrange tableau les conseils enthousiastes d’un «entraîneur» d’ouverture de portes, obsédé par les «méthodes» américaines; le regard grave d’une fillette silencieuse, perdue comme un ange dans cette famille de fous; ainsi que l’amitié de cette dernière pour un voisin éleveur de pigeons, qui semble porter en lui toute la tristesse du monde; et vous commencerez à avoir une idée du cocktail étrange que vous propose Les convoyeurs attendent – un petit film belge que sa publicité présente comme une comédie (ce qu’il est effectivement parfois), mais qui est d’abord et avant tout une oeuvre parfaitement inclassable: une espèce de chronique familiale, tantôt terre à terre, tantôt presque surréaliste, qui est, selon le point de vue, un mélodrame curieusement tonique ou bien une farce étrangement mélancolique. En somme, un de ces très rares films qu’il est impossible de résumer en une ligne (ou même en 26…).

Premier long métrage de Benoît Mariage (un documentariste qui fut photographe de presse avant de signer des reportages télé pour l’émission Strip-tease), Les convoyeurs attendent a le genre de prémisse qui suggère une comédie populiste à la Waking Ned Devine ou The Full Monty. Mais le film (dont le titre fait référence aux éleveurs de pigeons qui attendent le retour de leurs oiseaux) tord vite le cou à ces attentes de mille et une façons: les images en noir et blanc baignent d’emblée le film dans un climat à la fois néoréaliste et onirique; l’histoire est truffée de personnages effacés aux obsessions excentriques (le père est un photographe de faits divers qui amène sa fille sur des scènes de crimes; le garçon est un fan d’Elvis, obsédé par les erreurs de continuité dans les films); et l’ensemble – qui a un rythme assez lent – offre quelques images étonnamment poétiques (comme cette porte plantée au milieu d’un jardin pour l’«entraînement» du protagoniste, qui fait vaguement penser aux tableaux de Magritte). Bref, un drôle de mélange pour un drôle de film qui laisse décidément sur une drôle d’impression. Pourquoi?

Tout simplement parce que Les convoyeurs attendent est un film qui a les défauts de ses qualités: insaisissable mais un peu trop déroutant, excentrique mais quelque peu maniéré, le film de Benoît Mariage dynamite si bien ce qui aurait pu être une histoire classique (une famille un peu tordue est réunie par une épreuve absurde) qu’il vient dangereusement près de se disperser. Heureusement, la force du jeu de Benoît Poelvoorde (le tueur de C’est arrivé près de chez vous) la singularité des décors et des visages (qui évoquent Lynch et Kaurismaki), et la poésie discrète des images de Philippe Guilbert rachètent largement les faux pas d’un film qui flirte un peu trop (surtout dans le dernier tiers) avec le mélo, et dont la conclusion à l’optimisme forcé est assez peu convaincante.

Ouvre inclassable (et donc assez fascinante), Les convoyeurs attendent est un film décousu, mais toujours sympathique et attachant. Un film inégal, certes, mais dont l’humour mélancolique, la poésie discrète et le désespoir sourd (teinté d’un optimisme fragile) hantent l’esprit avec plus de force que les qualités palpables (et beaucoup plus attendues) de films bien plus prévisibles…

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