À l'ombre d'Hollywood : La menace fantôme
Cinéma

À l’ombre d’Hollywood : La menace fantôme

Affalé sur la banquette arrière d’une auto qui file dans Paris, Bertrand Tavernier parle de ses coups de coeur d’adolescent cinéphile. Cette entrée en matière pourrait laisser croire que le documentaire À l’ombre d’Hollywood, de Sylvie Groulx, s’annonce nostalgique, rabat-joie, plein de soupirs et de vieilles stars…

Affalé sur la banquette arrière d’une auto qui file dans Paris, Bertrand Tavernier parle de ses coups de coeur d’adolescent cinéphile. Devant une banque ou un magasin de chaussures, il se souvient des cinémas de quartier disparus, des westerns flamboyants, de L’Extravagant Mr. Deeds… Hollywood était La Mecque et les cinéphiles du monde entier, de valeureux pèlerins. Cette entrée en matière pourrait laisser croire que le documentaire À l’ombre d’Hollywood, de Sylvie Groulx, s’annonce nostalgique, rabat-joie, plein de soupirs et de vieilles stars. Les flonflons s’arrêtent là et les souvenirs de Tavernier servent au moins à éclairer deux faits: le rapport amour-haine que l’on entretient avec Hollywood et le constat d’une industrie en pleine mutation. Les salles de cinéma d’art et d’essai ont disparu en vingt ans, la construction des méga-complexes – où le cinéma n’est qu’un divertissement parmi d’autres – est exponentielle; et les cinématographies nationales sont mortes ou moribondes. Avec l’aide d’intervenants bien choisis, Sylvie Groulx (Le Grand Remue-ménage, J’aime, j’aime pas) fait le tour du problème et, surtout, état du ras-le-bol: Hollywood a mis en place des stratégies commerciales aussi solides que sophistiquées et ce, dès la fin du siècle dernier; et cette hégémonie n’en finit plus de perturber les cinématographies nationales. «On n’a rien contre le cinéma américain! explique la cinéaste. Mais comment continuer à faire des films quand, dans un multiplexe de vingt salles, on offre presque uniquement des films américains!»
Daniel Toscan du Plantier, directeur d’Unifrance, pontifie comme à l’accoutumée, mais reste précis dans l’anecdote historique; Alain Tanner s’indigne toujours, et Jean-Charles Tachella se rebelle. Agnieszka Holland et Andrzej Wajda se désolent d’une industrie nationale en totale perdition, au point où Wajda déclare le plus calmement du monde que s’il avait vingt ans aujourd’hui, il ne ferait pas du cinéma en Pologne. Le producteur Marin Karmitz parl d’un cinéma US qui apprauvit de plus en plus les imaginaires; et Arthur Penn et Milos Forman reconnaissent avec humour cette attitude mercantile américaine, à la fois redoutable et candide, où les États-Unis n’ont que faire de l’homogénéisation des cultures. «Bon an, mal an, les Américains consomment seulement 1 % de cinéma étranger, précise Sylvie Groulx. J’ai rencontré la productrice de Happiness qui me disait carrément que ça ne l’intéressait pas de voir des films français, italiens ou allemands!»
Avec esprit et simplicité, la réalisatrice ne joue pas la carte de l’antiaméricanisme primaire, mais elle tire la sonnette d’alarme. «L’Europe représentait pour moi la diversité des cultures et je regrette que, par le biais du système actuel, les plus jeunes ne soient pas habitués à voir autre chose, qu’ils n’aient pas de lieux pour découvrir d’autres films.»
Par des extraits et des archives, entre Denys Arcand et Margarethe Von Trotta, Groulx cherche les traces d’un cinéma de l’authenticité. Plus qu’un film sur le cinéma, c’est un coup de gueule contre l’effacement du réel, contre l’appauvrissement culturel généralisé. Au cas où personne ne l’aurait remarqué, le cinéma, art et industrie, est une denrée économique assujettie aux lois du marché. Les politiques devraient aussi savoir qu’il est porteur de ce que nous sommes.

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