Louise Portal : Femme d'influences
Cinéma

Louise Portal : Femme d’influences

Actrice, auteure, chanteuse… Femme au pluriel et passionnée, LOUISE PORTAL est aujourd’hui présidente des 18es Rendez-vous du cinéma québécois, un nouveau rôle qu’elle prend, comme toujours, à bras-le-corps.

C’est un cliché mais il est inévitable: Louise Portal porte en elle plusieurs femmes. On pourrait évidemment dire la même chose de bien des actrices, mais peu l’affirment aussi directement que la vedette de Taureau, de Cordélia et du Déclin de l’empire américain. «Sur mon dépliant d’actrice, explique-t-elle, c’est écrit: "Quand j’aurai apprivoisé toutes les femmes que je sens naître en moi, je saurai davantage qui est celle assise devant son miroir, démaquillée."»
La formule pourrait faire sourire venant d’une autre, mais pas lorsqu’elle sort de la bouche de cette femme sincère et passionnée, qui semble – avec son air résolu, son regard frondeur et sa bouche gourmande – tout faire avec conviction, franchise et émotion; qu’il s’agisse de plonger tête baissée dans l’univers de la chanson (avec quatre albums et plusieurs spectacles); de tâter de la peinture ou du roman (elle a déjà signé un livre très personnel intitulé Jeanne Janvier); ou d’habiter complètement le destin de ces femmes qui, de Mourir à tue-tête à Sous-sol, lui ont permis «de vivre plusieurs vies en même temps».
À cinquante ans, Louise Portal s’attaque aujourd’hui à un nouveau rôle avec la même détermination: celui de présidente de la 18e édition des Rendez-vous du cinéma québécois, un événement auquel elle a décidé de prêter beaucoup plus que son nom. «Avoir un poste juste pour l’image ou pour la parade, ça ne m’intéressait pas. Si je n’avais pas pu m’impliquer à fond dans les Rendez-vous, je n’aurais jamais accepté la présidence. Mais le cinéma québécois m’a tellement donné qu’il était normal que je lui offre quelque chose en retour. Et ça tombe bien cette année, ajoute-t-elle en souriant, parce que je suis dans quatre films…»
Parmi ces oeuvres, Full Blast, qui est à la fois son dernier long métrage et le tout premier réalisé par Rodrigue Jean. Une histoire de jeunes à la dérive dans une petite ville du Nouveau-Brunswick, qui offre à Louise Portal le rôle d’une barmaid amouruse de David La Haye et qui, par son style et ses thèmes, rappelle agréablement le cinéma québécois des années 70. «C’est vrai, opine l’actrice, qui n’hésite pas à citer Full Blast parmi les meilleures expériences de sa carrière. Quand j’ai lu le scénario, je me suis dit: "Il me semble qu’on aurait pu tourner ça dans les années 70." Mais la quête amoureuse et affective, c’est quelque chose qui ne change pas, qu’on ait été jeune dans les années 70 ou qu’on le soit en l’an 2000. Et puis, c’est un film très personnel, assez audacieux, qui se passe dans un milieu rural, contrairement aux films urbains qu’on retrouve beaucoup en ce moment dans le cinéma québécois.»
De fait, la présence détonnante de Full Blast aux Rendez-vous du cinéma québécois souligne bien la place unique qu’occupe Louise Portal dans notre paysage cinématographique: celle d’une actrice phare qui est aussi à l’aise lorsqu’elle occupe le centre (en tant que présidente) que lorsqu’elle explore la marge (en tant qu’actrice d’un "petit" film comme Full Blast).

Actrice pour l’intimité
Il faut dire que l’actrice, née Louise Lapointe, à Chicoutimi, dans une famille de quatre enfants (dont sa soeur jumelle, Pauline), a exploré à peu près toutes les facettes de la scène artistique québécoise. Après avoir adopté le nom de plume de son père, un médecin qui menait parallèlement une carrière d’écrivain, et avoir tâté du théâtre sur les planches locales, aux côtés de débutants comme Marie Tifo, Ghyslain Tremblay et Rémy Girard, Portal s’est vite imposée comme l’une des actrices les plus prometteuses d’un cinéma dont a elle embrassé les hauts et les bas: passant de divertissements oubliables (comme Les Deux Pieds dans la même bottine) à la révélation de Cordélia, et d’expériences audacieuses (comme Vie d’ange et Larose, Pierrot et la Luce) au triomphe mondial du Déclin de l’empire américain...
La présidente des Rendez-vous estime aujourd’hui que le cinéma québécois traverse depui quelques années une nouvelle phase. «Un peu comme il y avait eu une nouvelle vague avec l’arrivée de gens comme Gilles Carle et Michel Brault, et un peu plus tard avec celle de cinéastes comme Denys Arcand et Jean Beaudin. Mais le malheur avec le cinéma québécois, c’est qu’il y a eu tellement de grands trous entre chaque période qu’on a une évolution en dents de scie. On ne permet pas à nos réalisateurs de tourner assez, ce qui fait qu’ils vont sortir un film tous les cinq ou six ans. Mais la progression n’est possible qu’en autant qu’on travaille beaucoup, qu’on tourne beaucoup…»
Tout en vantant la qualité du cru, en se réjouissant du succès de films hors norme comme Post Mortem, de Louis Bélanger, et en s’émerveillant de la «grande diversité du cinéma québécois», la présidente semble regretter le fait que l’actrice n’ait pas la chance de vivre plus souvent le type d’aventure que lui a offerte un film comme Full Blast. «J’ai retrouvé là ce qui fait que j’aime faire du cinéma. Pour moi, le cinéma, c’est quelque chose d’intime, de très proche du lien amoureux. Et ça, je l’ai redécouvert sur le film de Rodrigue. Pourquoi? Parce qu’on était dans une petite place; parce qu’on était comme une famille; et parce qu’on véhiculait une histoire qui était faite d’émotions, et que c’était pas les gadgets qui étaient importants, mais ce qui se passait en dedans…»
Sans être nostalgique (elle est trop dynamique pour ça…), Portal regrette visiblement de ne pas vivre plus souvent l’intimité de ce genre de tournage. «J’avoue que ça me dérange quand je vois que mon réalisateur n’est pas à côté de la caméra, mais en train de me regarder à travers un moniteur sous une couverture! Après une prise, j’ai besoin que les yeux de mon réalisateur m’accueillent dans ce que je viens de donner. Quand j’ai deux-trois jours de tournage seulement, ça va… Mais j’ai quand même l’impression de partir et de n’avoir rien vécu. Je n’ai pas l’impression d’avoir rencontré un réalisateur; d’avoir développé quelque chose avec li. J’ai juste été un outil – comme une caméra ou un spot. Et l’acteur, c’est pas ça; l’acteur, c’est l’âme d’un personnage, c’est le sang d’une histoire…»
Pour l’actrice, le cinéma est d’abord «une question de rencontre avec un réalisateur et un personnage», «une expérience où le processus compte autant, sinon plus, que le résultat». Lorsqu’elle parle de Full Blast, par exemple, Louise Portal se remémore avec affection sa rencontre avec Rodrigue Jean, ses discussions avec le directeur artistique, la visite de la maison qui servait de décor à son personnage, et la sélection de ses costumes, bijoux et accessoires. «Je suis une actrice très instinctive, qui a une approche très physique du personnage. Je trouve le personnage à travers son nom, son décors, ses costumes. Est-ce que c’est une Gigi ou une Reine? Est-ce qu’elle aime le bleu ou le rouge? Est-ce qu’elle préfère les foulards ou les chandails? Je pars de l’extérieur pour arriver à l’intérieur. J’essaie de me prêter totalement au personnage pour qu’il s’incarne complètement à travers moi.»

Création tous azimuts
On comprend aisément qu’une artiste qui porte aussi intensément ses personnages («Ce sont des vies dans ma vie…») ait cherché à satisfaire sa créativité à l’extérieur de son métier d’actrice. «Pour moi, la chanson, ç’a vraiment été une question de créativité et de prendre la parole personnellement. De ne plus être le haut-parleur d’un auteur, d’un réalisateur ou d’un metteur en scène. Je suis venue à la chanson par besoin de délivrer une douleur que je portais en moi, et ç’a fini par donner naissance à des personnages. Mon métier d’actrice m’a beaucoup servie et c’était merveilleux parce qu’on fabriquait des costumes, on faisait des mises en scène, on partait on the road… Mais j’ai eu de la difficulté à négocier tout l’aspect industrie, parce que je ne vendais pas de disques, et que je n’avais pas de super gros hits qui tournaient à la radio…»
Ses deux carrières parallèles se rejoignirent finalement lrsqu’elle partit en France tourner Mes meilleurs copains, un film de Jean-Marie Poiré, où elle jouait une rockeuse blonde, aux côtés de Christian Clavier, Gérard Lanvin et Jean-Pierre Bacri. Un film qui allait donner à l’actrice un de ses meilleurs rôles tout en amorçant ironiquement le déclin de sa carrière de chanteuse. «À mon retour, on a décidé que je ferais mon quatrième disque en blonde, et là je suis vraiment devenue un personnage. Je n’avais jamais été une chanteuse comme ça avant, mais je me suis prêtée au jeu. Même si je savais que je m’éloignait de mon essence et que je n’étais pas du tout confortable avec ça. Et quand la promotion de cet album-là a été terminée, j’ai tout cessé… Quatre ans plus tard, je suis revenue avec un show intitulé Le Strip-tease dans l’âme, mais ç’a été mon chant du cygne.»
Contrairement à ce que la simple retranscription de ces propos pourrait faire croire, Louise Portal n’est pas amère du tout. Elle semble même faire partie de ces gens qui savent toujours ouvrir une porte au fur et à mesure que d’autres se ferment. Lorsqu’on lui demande si elle a déjà été tentée de passer à la réalisation (comme Denise Filiatrault, dont elle parle souvent avec admiration), l’actrice avoue qu’elle y a songé, même si elle se verrait davantage du côté de la production si jamais on ne lui offrait plus de rôles intéressants. «Pour moi, être actrice, ça reste à la fois un privilège et un outil de connaissance. C’est comme explorer un canal qui permet de puiser en nous des ressources et des émotions qu’on ne pensait pas avoir mais que l’on découvre finalement.»
Pour Louise Portal, ces 18es Rendez-vous semblent étrangement symboliques. Peut-être parce qu’ils sont partiellement dédiés à Clément Perron, le réalisateur de son premier film, Taureau, «sans qui je ne serais pas là aujourd’hui». Peut-être parce que Full Blast (qui a un petit air de parenté avec Taureau) l’associe à une nouvelle génération tout en établissant un pont avec une autre époque. Ou peut-êre parce que cette présidence l’amène à faire le bilan d’une carrière qui dure depuis maintenant près de trente ans. Une carrière dont elle retient une poignée de personnages dont les destins ont recoupé et façonné le sien. «Etre acteur, c’est avoir le privilège de vivre des émotions sans s’y perdre complètement. Parce que même si c’est la violence ou le désespoir, on ne meurt pas à la fin et on n’est pas vraiment désespéré. Mais l’émotion est réelle par exemple! C’est pour ça que je ne suis pas d’accord quand on dit qu’un acteur fait semblant. Au contraire: un bon acteur, un véritable acteur, un grand acteur, c’est quelqu’un qui vit vraiment les émotions de son personnage.» Parmi ceux qui ont marqué son parcours, elle retient la Gigi de Taureau, Cordélia, la Diane du Déclin, la Bernadette de Mes meilleurs copains, la Léa des Amoureuses et la Reine de Sous-sol (elle espère d’ailleurs retrouver bientôt Pierre Gang sur un projet de comédie traitant des femmes dans la cinquantaine).
Après les Rendez-vous et la sortie de Full Blast, on la retrouvera dès le 14 mars au théâtre Prospero dans Le Paradis mobile, une comédie candide écrite et mise en scène par Pascale Rafie. «C’est une pièce musicale sur une troupe de forains qui vont de champ de bataille en champ de bataille, et qui espèrent changer le destin de l’humanité en faisant que l’homme le plus malheureux devienne l’homme le plus heureux.» Un projet qui semble taillé sur mesure pour cette actrice polymorphe qui n’est jamais davantage elle-même que quand elle est une autre. Et qui ne semble pas avoir encore fait le tour de toutes les femmes qu’elle porte en elle…

Voir critique de Full Blast.