Fantasia : Melting-pot
Cinéma

Fantasia : Melting-pot

Depuis cinq ans qu’il existe, Fantasia a su développer un public fidèle, mélange hétéroclite d’amateurs de gore, de fans d’animation, d’adeptes du psychotronisme et de cinéphiles avides de découvrir des cinéastes asiatiques qui, autrement, resteraient inconnus ici.

Depuis cinq ans qu’il existe, Fantasia a su développer un public fidèle, mélange hétéroclite d’amateurs de gore, de fans d’animation, d’adeptes du psychotronisme et de cinéphiles avides de découvrir des cinéastes asiatiques qui, autrement, resteraient inconnus ici. L’association, cette année, avec le festival Juste pour rire (mariage de raison ou alliance naturelle comme le prétendent les organisateurs? C’est un autre dossier…) annonce bien la direction que Pierre Corbeil, directeur du festival, et ses programmateurs comptent emprunter. Tout festival qui perdure doit, à une étape de sa croissance, choisir entre l’hyper-spécialisation ou l’ouverture. Événement mixte depuis le début, Fantasia ne fait qu’enfoncer le clou en intégrant des comédies à son programme, des films indiens, et des films plus «sérieux», de cinéastes dont les noms pourraient figurer à n’importe quel palmarès de festivals plus généralistes – celui des Films du Monde ou celui du Nouveau Cinéma, par exemple…

Parmi ces réalisateurs d’envergure, Johnnie To est un maître. Découvert à Montréal, l’an dernier, avec A Hero Never Dies, le cinéaste hyperactif (26 films depuis 1986, dont trois en 1999!) présente cette année The Mission (dont on vous a parlé la semaine dernière), et Running Out of Time. Fin suspense psychologique, ce polar existentiel sur un flic caractériel et un voleur de diamants à qui il ne reste que trois jours à vivre, et qui jouent au chat et à la souris pendant 72 heures, est représentatif de la manière To. Baigné d’une musique lyrique à la Morricone, Running Out of Time a de l’élégance, du style, une ironie mordante, une mélancolie prenante, et un rythme d’une précision et d’une efficacité redoutables. De plus, les deux principaux comédiens (Andy Lau, en Arsène Lupin condamné, et Lau Ching-Wan, qui sera présent à Fantasia) sont de classe internationale. À quand une distribution montréalaise des films de Johnnie To?

Autre grand cinéaste de Hong-Kong, Ringo Lam est de retour aec Victim, un film pratiquement sans musique, plus introspectif que ce à quoi nous a habitués ce spécialiste de l’action. On suit une enquête sur un homme kidnappé (Lau Ching-Wan), qui pourrait bien être possédé par l’esprit d’un mari jaloux ayant tué sa femme et son enfant; mais qui pourrait aussi être le complice de ses ravisseurs. À moins que ce ne soit les deux? La première moitié, assez envoûtante, est plus efficace que la seconde, plus traditionnelle; mais Lau Ching-Wan s’amuse comme un petit fou dans ce rôle à contre-emploi.

Dans un autre style, Dead or Alive, du Japonais Takashi Miike, semble, a priori, relever d’une esthétique néo-punk survitaminée. Sang qui gicle, rythme frénétique, cadavres à profusion, guitares fuzzy, autoroute de coke, danseuses topless, fusillades à répétition, type qui se fait égorger tandis qu’il en encule un autre dans les chiottes: ça démarre en trombe avec une séquence d’anthologie, véritable catalogue express d’images-chocs. Ça en devient presque de l’abstraction. Et puis, le ton change radicalement, ça se calme, mais on sent une indéniable vitalité, à mi-chemin entre Scorsese et Kusturica. Hélas, Dead or Alive ne tient pas la route, et devient beaucoup plus traditionnel, s’achevant sur une séquence à la Terminator où le héros n’en finit plus de mourir. Drôle de film qu’on dirait réalisé par trois cinéastes différents…

L’Espagne présente un autre film qui démarre bien, mais qui se ramollit en cours de route: The Nameless, de Jaume Balaguerò. Cinq ans après que sa petite fille eut été retrouvée morte, et horriblement mutilée, une femme reçoit un appel de la fillette. Elle contacte un flic tout juste retraité, dont la femme vient de mourir, et les deux éplorés se lancent sur une piste qui les mènera à une secte prônant la souffrance comme chemin vers la connaissance. On aurait pu invoquer Sade et Dieu, dans cette histoire mystique sur la douleur, mais on n’a droit qu’à un téléfilm moyen, alourdi par de nombreuses séquences verbeuses et explicatives.

Nous vous en avons parlé la semaine dernière, mais ils sont présentés cette semaine, et sont, chacun à sa manière, à voir. D’abord I.K.U., ce délire techno-porno-expérimental de la Japonaise Shu Lea Cheang, qui ne ressemble à rien d’autre; et Wisconsin Death Trip, du Britannique James Marsh, mosaïque impressionniste sur la folie meurtrière qui s’est emparée des habitants d’une petite ville américaine, à la fin du XIXe siècle. Entre Dead Man, Days of Heaven et The Blair Witch Project, cette rêverie poético-morbide en noir et blanc a tout du film-culte.

Fantasia ne serait pas ce qu’il est sans quelques classiques psychotroniques. Cette année, on pourra voir, entre autres, Santo contre les momies de Guanajuanto, ou les délirantes aventures du lutteur masqué mexicain; The Convent, de l’Américain Mike Mendez, qui promet «des nonnes, des revolvers et de l’essence»; Rebirth of Mothra 3, dans lequel un Godzilla au féminin côtoie des geishas chantant sur les ailes d’un papillon géant; et Muthu, burlesque comédie musicale d’action indienne, qui est au cinéma ce que Normand L’Amour est à la chanson! Dépaysement et fou rire assurés.

Parmi les films que nous n’avons pas pu voir, mais qui promettent ou intriguent, on retrouve The Terrorist, film indien de Santosh Sivan, diffusé en terre d’Amérique grâce à John Malkovich; et Wisdom of Crocodile, film de vampires modernes, avec Jude Law et Elina Löwensohn, déjà vue dans Amateur et Sombre; et Tuvalu, de l’Allemand Veit Helmer, avec Denis Lavant, film qui, selon les programmateurs de Fantasia, évoque l’univers inquiétant et poétique des oeuvres de Jeunet et Caro.

Avec ce qu’on a déjà vu des films programmés, Fantasia confirme sa crédibilité et sa pertinence, élargissant sa palette un peu plus chaque année, faisant découvrir de nouveaux cinéastes, et gardant les films bouche-trous à un minimum. Il ne reste plus maintenant qu’à songer sérieusement au sous-titrage en français, électronique ou autre, ain que le public montréalais francophone, unilingue ou presque, puisse profiter de films tels que ceux de Johnnie To…

Jusqu’au 31 juillet
Voir calendrier Événements