Festival de Toronto : Nouvelle vague
Cinéma

Festival de Toronto : Nouvelle vague

Depuis quelque temps, le centre-ville de Toronto est envahi par les orignaux. Jaunes, rouges ou bleus; rayés, carrelés ou à pois; plus de 350 mooses occupant les trottoirs de la métropole ontarienne. Dans la série Preludes, pour laquelle on a commandé une oeuvre à dix cinéastes canadiens, pour fêter les 25 ans du Festival, Don McKellar a signé un hilarant petit film sur une autre espèce animale: le festivalier, teint blafard, café à la main, horaire chiffonné, et regard un peu fou d’avoir absorbé tant d’images en si peu de temps.

Depuis quelque temps, le centre-ville de Toronto est envahi par les orignaux. Jaunes, rouges ou bleus; rayés, carrelés ou à pois; plus de 350 mooses occupant les trottoirs de la métropole ontarienne. Dans la série Preludes, pour laquelle on a commandé une oeuvre à dix cinéastes canadiens, pour fêter les 25 ans du Festival, Don McKellar a signé un hilarant petit film sur une autre espèce animale: le festivalier, teint blafard, café à la main, horaire chiffonné, et regard un peu fou d’avoir absorbé tant d’images en si peu de temps. Pas étonnant: avec 329 films, plus de 3500 professionnels, des partys monstrueux, des cocktails quotidiens, un marché imposant, et des vedettes comme De Niro, Gwyneth et Richard Gere, le Festival de Toronto est devenu une énorme machine, le plus souvent parfaitement huilée, ce qui n’exclut pas quelques ratés, comme cet hommage à Stephen Frears, talk-show interminable lors duquel une vingtaine de collaborateurs du cinéaste défilèrent sur la scène du Roy Thompson Hall…

Avec limousines, photographes et tapis rouge, Stardom a donc fait l’ouverture de Toronto. Une frénésie médiatique dont l’ironie ravissait Denys Arcand: en effet, son dernier film retrace l’ascension d’un jeune mannequin (Jessica Paré) dans le monde de la mode, et le cirque médiatique qui l’entoure. Plus qu’un film sur la mode ou la célébrité, Stardom est une critique cinglante d’une société phagocytée par les images qu’elle prétend digérer. Encadré par deux séquences traditionnelles, le film est entièrement raconté par le truchement d’images d’actualité, de magazines de mode, de talk-shows et d’un reportage d’une star de la photo (Robert Lepage, savoureux) suivant la jeune vedette montante. Un procédé audacieux qui laisse le spectateur vidé, comme si on regardait 102 minutes de Fashion Television ou d’Entertainment Tonight! Une brillante démonstration de la vacuité de la civilisation de l’image, constat un peu convenu qui laisse sur sa faim.

Précédé d’une excellente rumeur vénitienne, Possible Worlds est adapté d’une pièce du dramaturge John Mighton, dans laquelle un homme (Tom McCamus) semble vivre plusieurs vies parallèles, tombant toujours amoureux de la même femme (Tilda Swinton). Exercice de style existentiel en forme d’enquête policière, le quatrième film de Robert Lepage énonce une fascinante prémisse, voulant que la vie est à la fois ici et ailleurs, riche parabole sur la nature même du cinéma. Hélas, malgré la maîtrise du cinéaste et la richesse du propos, Possible Worlds est d’une cérébralité glaciale, démonstration élégante et floue d’un concept qui ne parvient jamais à s’incarner. Dommage. Le film canadien le plus chaudement accueilli fut certainement Maelström, avec standing ovation pour Denis Villeneuve et son équipe.

Sous le sable, de François Ozon, est, à ce jour, le meilleur film du réalisateur de Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, chronique d’une mélancolie poignante sur le désarroi d’une femme (Charlotte Rampling) dont le mari (Bruno Crémer) disparaît lors d’une promenade sur la plage. La réalisation impeccable d’Ozon marque de façon admirable le retour en force de Charlotte Rampling, présente au générique de trois films présentés au Festival, entre autres Signs and Wonders, de John Lassiter (Sunday), suspense minimaliste à saveur politique, racontant le divorce de deux Américains d’Athènes. Second film d’une jeune cinéaste, Aïe est une comédie hilarante et fine comme on en voit peu, dans laquelle un célibataire un peu perdu (André Dussolier) louvoie entre une ancienne flamme qui vient d’accoucher (Emmanuelle Devos) et une jeune fille étrange, boulimique et mythomane (Hélène Fillières, sidérante). Quelques longueurs dans la seconde partie n’enlèvent rien aux savoureux dialogues, à la fois réalistes et décalés, et au plaisir de découvrir un ton original. À suivre de près.

Le coup de coeur de cette première moitié de Festival est, sans contredit, Crouching Tiger, Hidden Dragons, d’Ang Lee (The Ice Storm), magnifique fresque sur le combat entre le Bien et le Mal, à travers les tribulations de quatre guerriers de la Chine antique (entre autres Chow Yun-Fat et Michelle Yeoh). Par leur grâce et leur légèreté aériennes, les scènes de combats évoquent plus Fred Astaire que Bruce Lee, séquences chaudement applaudies par un public retombé en enfance.

Parmi les déceptions, toujours proportionnelles aux attentes, soulignons The Luzhin Defence, de Marleen Gorris (Antonia’s Line), production d’un classicisme de télésérie, adapté d’un roman de Nabokov, sur les déboires d’un joueur d’échecs, que les talents d’Emily Watson et de John Turturro ne parviennent pas à sauver; To Die (or Not), de Ventura Pons (Le Comment et le Pourquoi), pénible exercice de style sur les drames entrecroisés de sept Catalans; et À la verticale de l’été, de Tran Anh Hung (L’Odeur de la papaye verte), chronique sensuelle des tensions d’une famille vietnamienne, mais qui ne dépasse pas la beauté exceptionnelle de ses images.

Tout festival apporte son lot de découvertes, et l’édition 2000 de celui-ci n’en fut pas avare. Premier film de Pierre-Paul Renders, Thomas est amoureux met en scène un agoraphobe qui ne communique avec l’extérieur que par écrans interposés. Avec un procédé semblable à celui utilisé dans Stardom, ce cinéaste belge signe une délicieuse comédie douce-amère sur la solitude cybernétique. Dans The Goddess of 1967, de Clara Law, un Japonais parcourt les étendues désertiques australiennes dans une DS rose bonbon, accompagné par une mystérieuse jeune aveugle. Du style, de la grâce et des idées pour un film racé et touchant. En 1996, les championnats de volley-ball nationaux thaïlandais furent remportés par une équipe formée de joueurs gais, de quelques travestis et d’un transsexuel! C’est cette incroyable odyssée que raconte The Iron Ladies, de Yongyooth Thongkonthun, une comédie dans la veine de Priscilla, Queen of the Desert et The Full Monty. À partir du classique "boy meets girl", l’Australien Jonathan Teplitzky a signé Better Than Sex, chronique diablement sexy des trois jours d’une aventure apparemment sans lendemain. Symptomatique du nouveau cinéma allemand, Chill Out, d’Andreas Struck, est à la fois l’étude nuancée d’un trio amoureux (un jeune hétéro, une femme dans la trentaine et un gai), et une parabole prenante sur un pays qui se réinvente. Premier film de l’Américain John Shear, Urbania déconstruit une histoire assez simple (un homme à la recherche du meurtrier de son amant) pour en faire un impressionnant puzzle formel, regard pénétrant sur le deuil et les légendes urbaines.
Plus que des cinéphiles traditionnels, des enfants de la télé ou des créateurs aux sensibilités modelées par la pub, une nouvelle génération de cinéastes est en train de se dessiner, des hommes et des femmes ayant assimilé les bases du cinéma classique et les leçons de la Nouvelle Vague, qui ont intégré les acquis de l’esthétique vidéoclip, et qui sont en voie d’inventer une nouvelle grammaire. À l’aube du 21e siècle, l’avenir du 7e art semble s’ouvrir sur de nouveaux horizons. Alléluia!