Stardom : La guerre des étoiles
Cinéma

Stardom : La guerre des étoiles

Avec Stardom, DENYS ARCAND touche à la télévision, au vedettariat et à la mode, mais il n’égratigne rien. Un film très léger, et très périlleux. Entrevue avec un équilibriste.

Si vous savez combien de fois John Galliano a changé de teinture de cheveux, si vous savez ce que mange Schumacher avant une course, et si vous voulez être avisé la prochaine fois que Karl Lagerfeld paiera des impôts: ne vous inquiétez pas, vous êtes comme tout le monde. Accroché au vedettariat à plus ou moins forte adhérence, on subit tous la vie des célébrités via le petit écran. Fasciné par le pouvoir de la télévision, et aussi quelque peu séduit par la beauté, Denys Arcand a découvert l’angle de Stardom dans les coulisses d’un défilé de mode: "J’étais backstage avec ces superbes mannequins. Et je me disais: je les connais! Je connaissais leurs boy-friends, leurs contrats, etc. Et je me suis rendu compte que c’était la télé qui avait fait ça, avec les millions de talk-shows et les émissions de mode. La télé est devenue mon angle d’approche, parce que la beauté seule, c’est tellement vaste… un magma incernable!" Stardom arrive en salle auréolé. Parce que le film a clôturé Cannes et parce qu’il a ouvert le Festival de Toronto, et parce que le réalisateur s’appelle Denys Arcand. Stardom est à l’opposé de son dernier film, Joyeux Calvaire, en 1996: on y traite de l’ascension d’une Cendrillon moderne, Tina (Jessica Paré, 18 ans, sosie de Lyv Tyler), petite fille de Cornwall, Ontario, propulsée sous les feux de la rampe. Top-modèle du jour au lendemain, elle suit le circuit marketing de la mode, de New York à Paris. Sa beauté fait des ravages, et fait craquer un photographe prétentieux (Charles Berling), un restaurateur arriviste (Dan Aykroyd), et un diplomate canadien (Frank Langella). Une belle fille grimpe au sommet, puis retombe dans l’anonymat; impossible de faire plus plat comme récit. "Mais je voulais l’histoire la plus banale possible!" s’esclaffe Arcand. Et ça le fait rire… Sauf que cet étalage de platitudes est vu par l’entremise de divers réseaux de télévision. Stardom est un collage d’écrans, un conte de fées découpé par la télé: une émission du matin pour parler de l’enfance du mannequin, une entrevue avec son agent, un flash aux nouvelles (Patrick Poivre-d’Arvor en acteur…), les talk-shows, les défilés filmés, les caméras à l’épaule des paparazzis, etc. Tina est en couleur dans les actualités, et en noir et blanc dans le film d’un réalisateur ténébreux (Robert Lepage). Et tout ce beau monde qui n’a rien à dire parle à la caméra, nous abreuve de mots vides, nous lance des milliers d’infos superflues. L’équivalent de deux heures d’Entertainment Weekly. Résultat: très agaçant. "Et c’est tant mieux!" de rigoler encore l’auteur!

Un artiste qui veut agacer son public? Le concept frise le snobisme. "J’ai peut-être sous-estimé la puissance du récit, explique le cinéaste. L’histoire n’est pas encore assez banale, pas encore assez convenue. Dans un visionnement focus group, à New York, l’hiver dernier, les gens faisaient leurs critiques: ils voulaient en savoir plus sur l’héroïne, si elle allait être heureuse, etc. Malgré le récit conventionnel, les spectateurs ne voyaient pas le sujet du film. C’est grave. On écoute le récit et on ne voit plus le reste. On avait posé la question sur le point de vue des différents réseaux de télévision, s’ils trouvaient cela intéressant. Ils ont demandé: quels réseaux? Ils n’ont pas vu qu’il y avait des passages en noir et blanc. Et il y en a durant 22 minutes! Je savais confusément que les spectateurs ne faisaient pas attention à la mise en scène, mais je ne l’ai jamais autant vécu que dans ce film-ci. Très peu d’individus sont capables de lire une image. Ils ne la lisent pas: ils la reçoivent dans un contexte d’émotion pure. Ils aiment ou ils n’aiment pas, ils ont peur ou ils n’ont pas peur."

Dangereux, en effet: choisir un prétexte mince comme un fil, qui se passe dans un monde ultrasuperficiel; et le filmer par l’entremise de la fausse séduction du petit écran, tout en sachant que les gens s’en foutent… Cherchez l’erreur. Prenons donc ce film comme une vaste rigolade, un rafraîchissement light qui n’apprend rien, ni sur la mode (ce n’est pas le sujet du film), ni sur le vedettariat (voir Short Cuts), ni sur la télévision ("Jerry Springer, Survivor ou Big Brother, c’est encore plus délirant! reconnaît le réalisateur. Mon film est très discret"), ni sur le talent des acteurs choisis. Stardom est un pied de nez au système du glamour, à la tyrannie de ce qui doit être hot. Pas un coup de poing, juste une tape sur l’épaule. "Si l’on fait un film parce qu’on est hargneux, le sentiment est trop court. À moins de dénoncer une politique, partir d’un sentiment négatif est destructeur", avance Arcand. Avec Prêt-à-porter, Robert Altman s’était cassé les dents en voulant entrer dans le monde de la mode, plus secret que Fort Knox. Avec Stardom, Arcand contourne le problème et en profite pour dessiner quelques traits, sans forcer la caricature; le sang-froid d’un homme d’affaires ou le sang chaud d’une fashion addict se résument bien dans un rictus ou dans la tension aiguë d’une voix. Vaste supercherie de la séduction manigancée: c’est encore et toujours Le Déclin de l’empire américain que nous sert Denys Arcand. Malheureusement, et malgré cette joyeuse idée formelle, Stardom n’agit pas comme vaccin contre la bêtise.
Avis: son réalisateur aimerait cependant que le film revienne en mémoire, par bribes, dans les moments de surdose télévisuelle. Pensons-y donc la prochaine fois que des lobotomisés viendront nous décrire en détail le petit-déjeuner de Cindy Crawford…

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