Sade-Benoît Jacquot : Un homme et son péché
Cinéma

Sade-Benoît Jacquot : Un homme et son péché

Étude de moeurs minimaliste et pudique, le Sade de BENOÎT JACQUOT déroute et séduit par sa sobriété. Une approche rigoureuse et une mise en scène méticuleuse, peut-être plus près qu’on ne le croit de la pensée du divin Marquis.

Donatien Alphonse François, comte de Sade, dit le Marquis de… partage avec Sacher-Masoch l’insigne honneur d’être si connu que son nom a donné naissance à un mot courant, alors que ses écrits ne sont connus que de quelques-uns. Hormis la lecture, à l’adolescence, au fond d’une allée de bibliothèque municipale, des passages brûlants de La Philosophie dans le boudoir, et, pour certains, de la biographie de Jean-Jacques Pauvert, ou de Soudain, un bloc d’abîme, Sade, essai incontournable d’Annie Lebrun, qui peut se targuer de connaître la vie et la pensée du divin Marquis? Certainement pas Benoît Jacquot qui, avec Sade, a voulu dessiner un portrait imaginaire. "Le film est un portrait de mon Sade, explique le cinéaste, rencontré au Festival des Films du Monde. On part d’un nom, d’une opinion sur ce nom, et d’un savoir plus ou moins précis. À partir de là, c’est un peu comme un test psychologique: Dis-moi qui est Sade pour toi, et je te dirai qui tu es."

Cinq ans après la prise de la Bastille, en 1794, les idéaux de pureté de Robespierre ont mené à la Terreur, et Sade (Daniel Auteuil) est incarcéré à Picpus. Dans cet ancien couvent transformé en geôle de luxe, le Marquis jouit – malgré la guillotine qui menace – d’une relative sécurité, grâce à la protection de sa maîtresse (Marianne Denicourt), épouse d’un député de la Convention (Grégoire Colin). N’abdiquant en rien ses convictions, Sade va réinventer son petit théâtre dans cette prison dorée qui sent la mort, et "éduquer" Émilie de Lancris (Isild Le Besco), une pucelle aristocrate dont l’esprit et le caractère sont aussi bien tournés que le corps.
À l’instar du Casanova de Fellini, ce film-ci aurait pu s’appeler "Le Sade de Jacquot". Très librement inspiré de La Terreur dans le boudoir, Sade met en scène un personnage absolu et social, à la recherche d’une certaine vérité intérieure, et qui entretient, avec le monde et ses semblables, des rapports faits de séduction, de heurts, de curiosité et de révolte. Un misanthrope humaniste comme on en retrouve dans La Fille seule, Le Septième Ciel et L’École de la chair. "Mon Sade est un homme d’une cinquantaine d’années, plongé dans un monde violent et troublé, et qui vit dans la solitude. Il est fascinant de constater que cet être, qui a inventé une façon nouvelle d’être libre, a passé les deux tiers de sa vie en prison. Comme si l’enfermement était une condition à la liberté. Pourtant, il ne refuse pas le rapport social, mais il dérange parce qu’il ne croit qu’en la réalisation sans concession du désir de chacun. C’est un véritable anarchiste, au sens archaïque du mot. Ce qui l’intéresse, c’est comment les désirs de chacun et de chacune peuvent s’organiser entre eux. Dans ce sens-là, c’est une sorte de metteur en scène."

Que les voyeurs passent leur chemin, et aillent se rincer l’oeil avec Baise-moi ou Romance: à l’exception d’une scène de dépucelage, Sade est un film très pudique. Certains lui ont même reproché cette pudeur, pourtant tout à fait conséquente avec l’approche minimaliste du cinéaste. "Si l’on me proposait d’adapter un livre de Sade, la première question qui me viendrait, ce serait: Je montre tout ou rien? Mais pour ce film-là, la question se posait de façon moins virulente. Le cinéma est un appareil qui a plus de force par ce qu’il cache que par ce qu’il montre. Le paradoxe – qu’on pourrait appeler la mise en scène -, c’est que moins on montre, plus on montre. L’image cinématographique n’est pas photographique. C’est une image en mouvement, et qu’elle soit habitée par le temps fait qu’elle se dérobe. C’est ce glissement des choses montrées dans un hors-champ où on ne les voit plus, ou pas encore, qui donne sa force à ce qu’on montre."

Quand on endosse un tel parti pris, il faut être rigoureux et précis, deux qualités de ce film maîtrisé, qui tient plus de l’esquisse que de la fresque, et dont la seule subversion réside dans une sobriété pleinement assumée. Ce que montre Jacquot, c’est une pensée au travail bien plus qu’un dérèglement des sens. Écrit par Jacques Fieschi et mis en images par Benoît Delhomme, Sade est un film d’époque résolument contemporain aux dialogues intemporels; et cadré avec un souci de modernité qui fait écho à la pertinence du discours "sadien". Alors que Geoffrey Rush l’incarnera dans Quills, de Philip Kaufman, on peut se demander pourquoi Sade semble connaître un regain d’intérêt, dix ans après être apparu dans La Pléiade. "Sade évoque le contraire de la sexualité cool, avance le réalisateur. Après une trentaine d’années passées à promouvoir l’harmonie des sexes et des corps, avec le sida, et le retour du puritanisme, je pense qu’il y a une dimension dramatique du sexe que les gens sont de nouveau prêts à voir."

Véritable étude de moeurs, précise et généreuse, Sade offre à Auteuil un rôle sur mesure, celui d’un homme paradoxal. Entre le charnel et l’opacité, l’athéisme et mysticisme, le comédien trouve là un personnage à la hauteur de son talent. "Les grands acteurs ont une présence très forte, et, en même temps, une réserve qui produit de l’absence. C’est très beau à filmer. Daniel Auteuil joue comme on pose une question: on sent bien qu’il a la réponse, mais il la garde pour lui, il la dérobe, ce qui permet au spectateur de trouver la sienne. Quand je fais un film sur Sade avec Auteuil, je fais autant un film sur Sade que sur Auteuil. Dire qu’un acteur se met dans la peau d’un personnage est une des choses les plus sottes que j’aie entendues. Un acteur donne, ou prête, sa peau à un personnage. Je ne fais des fictions que pour atteindre cette dimension de documentaire sur des acteurs en train de jouer cette fiction."

Sade d’Auteuil autant que de Jacquot, ce Sade-là n’est ni exhaustif ni définitif. Il n’est qu’une escale de plus dans ce voyage sans fin que composent l’exploration et l’interprétation de l’oeuvre du divin Marquis. Un film intègre et stimulant, en forme de question. À chacun d’y trouver sa réponse…

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