La Veuve de Saint-Pierre : Acte d'amour
Cinéma

La Veuve de Saint-Pierre : Acte d’amour

La rumeur a couru jusqu’à l’essoufflement: Patrice Leconte mijote quelque chose avec le Québec. Eh bien, le plat a fait plus que mijoter, il a presque refroidi: voilà déjà un an que le film est sorti en France.

La rumeur a couru jusqu’à l’essoufflement: Patrice Leconte mijote quelque chose avec le Québec. Eh bien, le plat a fait plus que mijoter, il a presque refroidi: voilà déjà un an que le film est sorti en France. Le réalisateur n’en finit plus de parler de cette coproduction franco-canadienne. Patrice Leconte, c’est entre autres Monsieur Hire, Le Mari de la coiffeuse et La Fille sur le pont. Trois histoires d’amour tragiques mais aussi trois histoires d’espoir candide. Deux thèmes indissociables de ses univers. Et pour tous ceux qui verraient autre chose dans son dernier film (comme un fervent plaidoyer contre la peine de mort), le cinéaste insiste: "L’essence même du film est une histoire d’amour qui sous-tend la mort, ce qui la rend pathétique et émouvante." La faucheuse guettera et sévira. Mais pour apprécier l’oeuvre, il est nécessaire de laisser son cynisme au vestiaire.

Après un superbe travelling d’introduction (on lui pardonnera le zoom final, digne d’un apprenti cameraman) nous révélant une Juliette Binoche narratrice, les éléments prennent place, d’abord maladroitement. On recule dans le temps. Étendu sur l’herbe, le capitaine (Daniel Auteuil, excellent), prince amer et insolent, cajole amoureusement sa femme, Madame La (Juliette Binoche). Plus tôt, ils avaient croisé les auteurs d’un crime absurde. "Abrutis par l’alcool, ils ont fait un pari idiot et un geste de trop", s’empresse de les défendre le cinéaste.

Des deux assassins, le premier succombera à un lynchage alors que Neel, le deuxième (le réalisateur yougoslave Emir Kusturica), promis à un trépas imminent, séjournera dans la cour du capitaine en attendant la guillotine qui l’achèvera. C’est qu’en ce milieu du 19e siècle, la lame a déclassé la potence depuis que le docteur Guillotin a mis sa science au service de la jeune République. Sauf qu’à Saint-Pierre, petite île enneigée de l’Atlantique, on ne compte ni veuve (terme argotique pour guillotine) ni bourreau. Madame La se prendra alors de compassion pour le condamné. Critiqué, le capitaine endossera quand même les actes de sa femme. Leconte avoue avoir flanché pour ce personnage romantique, archétype d’une autre époque, qui se sacrifie par loyauté sentimentale.

Le réalisateur peut remercier ses muses de lui avoir inspiré Auteuil pour ce rôle central. Il porte tout le film pratiquement à lui seul. S’il n’eût été de sa droiture militaire, de son jeu magistral et de son verbe incisif, le tout s’écroulerait. Interprétation d’autant plus appréciable qu’elle se démarque sans peine du jeu fade d’une Binoche alternant mollement béatitude et crispation. Quant à Kusturica, sa gueule joue pour lui. Peu bavard, il n’en est pas moins touchant. Leconte se plaît à raconter comment il en est arrivé à ce choix: "Je cherchais un grand gaillard maritime, cabossé, presque animal. Un gars assez physique mais qui dégagerait un charme fou."

Un film en costumes d’époque empèse-t-il une mise en scène? "Non, rétorque-t-il. J’ai un principe de base et c’est de m’intéresser aux gens qui sont dans les costumes. Tous les jours, je m’ingéniais à oublier qu’il s’agissait d’un film d’époque. Bref, je voulais éviter le film de "gardien de musée" qui regarde la scène de loin." Là-dessus, il a partiellement gagné son pari car, malgré une mise en scène un brin prévisible et un montage laissant à désirer, son film affiche une esthétique audacieuse qui mérite une mention.

Leconte n’hésite pas à empoigner sa caméra à l’épaule et à casser ses cadrages. Ces scènes "hâtives comme des croquis", en plus de fuir l’image rigide du film d’époque, tentent surtout de briser la ligne d’horizon: "Dans une oeuvre maritime, si on retire l’horizontalité, on provoque une attention particulière. Ça donne du vertige." Une désobéissance à la rectitude qui n’est pas sans évoquer le triomphe des sentiments sur les jugements que propose le film, avant qu’une mécanique infaillible ne rattrape cette bouffée de candeur.

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