The Tailor of Panama : Coupe classique
Cinéma

The Tailor of Panama : Coupe classique

"John Le Carré a adoré mon film, explique John Boorman en entrevue. Il m’a dit qu’en général les adaptations cinématographiques de ses livres restaient beaucoup trop respectueuses, collées au roman. Et là, je m’en suis dégagé. Comme c’est un homme d’une très grande imagination, il a aimé. Il a même dit que c’était le meilleur travail fait sur un de ses bouquins!"

"John Le Carré a adoré mon film, explique John Boorman en entrevue. Il m’a dit qu’en général les adaptations cinématographiques de ses livres restaient beaucoup trop respectueuses, collées au roman. Et là, je m’en suis dégagé. Comme c’est un homme d’une très grande imagination, il a aimé. Il a même dit que c’était le meilleur travail fait sur un de ses bouquins!" Le compliment est immense, quoique peu aimable pour Martin Ritt (The Spy Who Came in from the Cold) et Sydney Lumet (The Deadly Affair), pour ne citer que les plus importants. Qu’importe, ces deux Anglais de même génération étaient faits pour s’entendre. John Le Carré a donc scénarisé sa propre histoire, The Tailor of Panama, et Boorman l’a mise en images.

À la lecture de l’un et au visionnement de l’autre, le jeu des différences n’est pourtant pas évident. Outre les coupures et les ellipses obligatoires, rien ne change dans la carcasse de l’histoire, dans le traitement ou dans les personnages. Boorman a particulièrement bien rendu l’esprit de la ville: on se trouve dans ce no man’s land qu’est Panama City, où richesses et habitants sont coupés en deux dans le sens d’un canal. Ce n’est pas le Berlin d’après-guerre, mais on sent que la cité est hybride, prompte à effacer un passé houleux. Geoffrey Rush y joue le rôle d’un tailleur de Savile Row, installé à Panama City, amoureux de sa femme (Jamie Lee Curtis), et père attentionné. Il habille la jet-set. Débarque un espion britannique envoyé sur cette langue de terre pour expier ses erreurs, un James Bond sur le retour (Pierce Brosnan). Voilà un émissaire en quête d’une histoire, même s’il n’y en a pas; et un tailleur bavard, au passé plus chargé qu’on ne le pense: les petits mensonges deviendront gros et dangereux. "L’histoire raconte un désastre, mais la description est faite sur le ton de l’ironie, de la farce et de la satire", explique Boorman.

On peut aussi appeler cela de l’humour anglais. Boorman comme Le Carré se sont amusés à détruire le mythe d’Ian Flemming, donnant à Brosnan un rôle aux antipodes de 007: il est un faux play-boy, le contraire d’un gentleman, un aventurier sans scrupules sous le vernis de l’élégance. Et Brosnan, qui n’a pas un registre particulièrement large, joue à merveille cette vulgarité déguisée. Poussant la blague, on lance même le nom de Sean Connery entre deux essayages de costumes… Dans le film, comme dans le livre, on sent ce parti pris de légèreté, un rien nostalgique, sur un monde qui s’ennuie: les espions glamour ne sont plus qu’un fantasme, les héros d’hier (personnifiés par un Brendan Gleeson méconnaissable) sont désillusionnés, et les dollars ont remplacé les intrigues. Tout est calme sur les bords du canal. Il faut donc s’inventer une excitation.

Boorman répond vaillamment aux entrevues, laissant sous-entendre que la maison de production, Columbia, ne pousse pas très fort sur le service après-vente du film. C’est clair, The Tailor of Panama ne va pas bouleverser le box-office dès le premier week-end. Hollywood reste craintif devant cet humour british, cette amoralité cynique: voilà deux auteurs qui se moquent des deux mamelles de la culture britannique, Savile Row et James Bond; on voit Brosnan hébété devant un film porno; les militaires du Pentagone sont des Dr Strangelove caricaturaux et, en bouquet final, le méchant file avec le magot.

Certes, l’oeuvre est moins forte que The General ou Hope and Glory, mais elle est bien cousue. Histoire solide, casting de luxe, acteurs en forme (un Geoffrey Rush vif et attachant) et humour noir virant à l’aigre, The Tailor of Panama se laisse regarder sans déplaisir. C’est un peu comme un costume sur mesure, pure laine et quatre saisons: teintes élégantes, coupe classique et passe-partout, avec ce petit détail qui fait la différence. Sans le rendre intemporel, cet esprit légèrement tordu lui confère une qualité hors mode, et The Tailor of Panama dégage les mêmes effluves que Our Man in Havana, un mélange de danger et d’inconscience qui pousse bien sous les tropiques.

Caméra souple qui se faufile parmi les gratte-ciel, belles images, plans serrés dans les intérieurs, contraignant l’espace et les acteurs: le plaisir de filmer ne s’use-t-il pas? "J’aime tourner, j’adore travailler avec des gens choisis comme s’ils étaient des compagnons d’armes, j’aime explorer de nouveaux lieux, lance Boorman. Mais le cynisme ambiant à Hollywood, les comités qui optent pour des productions rassurantes où le réalisateur ne pèse pas lourd: cela m’est plus difficile." Le cinéaste parle même de nouvelle brutalité dans la manière de faire, une façon de travailler qui fait cassure avec le passé. Il a définitivement mis aux oubliettes les aventures de Deliverance, de Zardoz et d’Excalibur, et se montre chiche de compliments: "L’année dernière, j’ai adoré Magnolia, de P. T. Anderson. Cette année?… 2001 n’est pas terminée."

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