Thomas est amoureux/Pierre Paul Renders : N'ajustez pas votre appareil…
Cinéma

Thomas est amoureux/Pierre Paul Renders : N’ajustez pas votre appareil…

Par une grammaire visuelle piquée au monde technologique, à travers la lorgnette de l’ordinateur, PIERRE PAUL RENDERS réussit une histoire d’amour émouvante et sincère, et une critique sociale qui n’a rien de futuriste…

Tout sage dans son fauteuil, Pierre Paul Renders a plus l’air d’un fils de bonne famille féru d’informatique ou d’un as du marketing que du réalisateur de Thomas est amoureux, une réflexion sur l’image et sur notre société, à la fois charmante et dérangeante, triste et coquine. Mais à bien y regarder, ce Belge est plutôt un fantaisiste doublé d’un philosophe: une déformation étudiante, selon son C.V. Et il a du talent.

À l’heure des nouvelles technologies qui se fondent plus aisément que prévu dans le cinéma traditionnel, un film comme Thomas est amoureux vient soulever des lièvres autrement plus passionnants. Dans le réseau de plus en plus complexe et déshumanisé de la communication, la société a du mal à trouver ses repères. On pourrait même dire qu’elle dérive parfois. De ce maelström orwellien, Renders tire une petite fable qui a le mérite d’aller au bout de son idée et de le faire avec émotion et vivacité; ce qui lui a valu plusieurs prix dont celui de la FIPRESCI à Venise. Thomas (Benoît Verhaert) a 32 ans, il souffre d’agoraphobie aiguë et n’est pas sorti de chez lui depuis huit ans. Toutes ses relations avec le monde extérieur se font par l’intermédiaire de l’ordinateur. On vient lui livrer sa bouffe à travers un sas qui lui sert de porte d’appartement; sa vie est gérée par un assureur (Alexandre Von Sivers); sa maman (Micheline Hardy) lui souffle ses bougies d’anniversaire en direct; et son psy (Frédéric Topart), un rien découragé, l’a abonné à un club de rencontre. Colère de Thomas, mais curiosité aussi, puisque ses relations cybersexuées avec Clara, une bimbo virtuelle, commencent à l’ennuyer. Thomas se retrouve soudainement face à de vraies femmes: Mélodie (Magali Pinglault), puis Eva (Aylin Yay), qui aimeraient une vraie rencontre. Et, comble de malheur, il tombe amoureux…

Sur le plan de la réalisation, Renders n’a pas eu froid aux yeux: il a plongé. L’écran de cinéma se confond pendant près de deux heures avec l’écran de l’ordinateur de Thomas. De Thomas lui-même, on n’aura que la voix, plutôt séduisante. Rien d’autre. Mais on verra le monde à travers ses yeux. Comment Renders fait-il pour ne pas endormir et/ou agacer le spectateur? Il tourne en vidéo et retravaille l’image en fonction des personnages et des aléas de la connexion informatique: pixels, images qui sautent, problèmes de réglage, bonne ou mauvaise lumière, etc. Seul lien entre les individus: l’image vibre et réagit à chaque soubresaut. Et l’exercice ne lasse que si le spectateur arrive aubout de son voyeurisme. "C’est peut-être bizarre pour un premier film, mais je pars du même principe que le film américain Denise Calls up (où des amis ne correspondent entre eux que par fax et téléphone), explique le réalisateur. Et puis c’était un défi extraordinaire et un scénario génial." Vrai: ce scénario parfaitement huilé est signé par le romancier et dramaturge Philippe Blasband, scénariste d’Une liaison pornographique de Fonteyne, autre ami de monsieur Renders. Bref, un petit bijou de drôlerie et d’émotion.

"On part du principe que ce n’est pas tout à fait de la science-fiction, raconte Renders. Nous avons juste extrapolé en nous basant sur le présent. De toute façon, les films de science-fiction ne parlent pas du futur, mais des craintes d’aujourd’hui. Nous voulions montrer que plus on se civilise, plus on se sépare des espèces humaines." Renders ne dénonce pas pour autant les nouvelles technologies avec lesquelles il joue (et Clara, cette poupée virtuelle pour adultes consentants, est un superbe jouet); il s’inquiète plutôt pour l’humain: "C’est l’image d’une société qui se tourne tellement vers l’avenir qu’elle en oublie l’Histoire; c’est un homme qui ne fonctionne pas s’il n’a pas de profil social convaincant; c’est croire qu’on peut se développer seul, alors que si on ne progresse pas ensemble, quelque chose ne suivra pas dans l’ouverture intellectuelle." Et Renders y va d’une critique sociale des symptômes de ce mal-être: les assurances omniprésentes qui bouffent la vie, la folie de la psychanalyse, le bio à toutes les sauces, l’imaginaire gavé, les besoins comblés (des prostituées pour handicapés), les philosophies malléables à base de zen (voir les petits tatouages sur le visage de Mélodie) et la solitude quasi impossible à consoler. Et la barrière de l’écran, qui nous permet de tout voir, mais aussi de percevoir le monde de façon égocentrique et indolore, comme protégé d’un espace dangereux, devient le symbole idéal de nos solitudes mises à l’écart les unes des autres. Ce que The Center of the World, de Wayne Wang, n’a pas réussi à faire…

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